Le Monde comme il va

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jeudi, mars 2 2023

Mes lectures de février 2023

Joe Jacobs, Nouvelles du ghetto. Combattre le fascisme à Londres (1925-1939), Syllepse, 2023.
Ralf Ruckus, La voie communiste vers le capitalisme. Luttes sociales et sociétales en Chine de 1949 à nos jours, Les Nuits rouges, 2022.
Pankaj Mishra, L'âge de la colère. Une histoire du présent, Zulma Essais, 2022.
Marcello Musto, Pour lire la Première Internationale, Editions sociales, 2023.
Collectif, L'Usine. Parcours de femmes et d'hommes à Tréfimétaux, Une tour une histoire, 2022.
Déborah Cohen, Peuple, Anamosa, 2023.
Brendan McGeever, L'antisémitisme dans la Révolution russe (1917-1920), Les Nuits rouges, 2022.
Jean-Clément Martin, Les échos de la Terreur. Vérités d'un mensonge d'Etat 1794-2001, Belin, 2018.
George Orwell, La ferme des animaux, Folio, 1993.


mardi, février 28 2023

Robespierre, au coeur des passions

Peter McPhee, Robespierre. Une vie révolutionnaire, Classiques Garnier, 2022.

Avec cet ouvrage, l’historien Peter McPhee nous éclaire sur la vie d’une des personnalités les plus controversées de l’histoire nationale.

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Paru en anglais en 2012 et traduit dix ans plus tard par les éditions Garnier, ce livre trouve son origine dans l’incapacité de l’auteur, alors jeune étudiant, à comprendre le destin posthume de Robespierre : « Comment (était-il) possible qu’un homme qui incarnait les principes les plus élevés de 1789 puisse être considéré comme la personnification du “règne de la Terreur” en 1793-1794 »?
Pour les uns, Maximilien Robespierre était l’Incorruptible, l’intégrité faite homme en ces temps bouleversés. Pour d’autres, il fut un monstre, un tyran sanguinaire. Qui était donc Maximilien Robespierre ?

Peter McPhee nous met dans les pas de ce rejeton de la bourgeoisie d’Arras, né en 1758, dont on ne sait finalement pas grand-chose, sinon qu’il eut une enfance douloureuse et qu’il fut un élève suffisamment brillant pour qu’une bourse lui permette de poursuivre ses études dans un prestigieux collège parisien. Diplômé en droit, il retourne dans sa ville natale où jusqu’à la veille de la Révolution française, il essaie de vivre de son métier. A travers ses plaidoiries, ses écrits, se dessine le portrait d’un homme soucieux de reconnaissance, sensible aux questions sociales comme à l’émancipation féminine ; un homme qui compte peu d’amis dans la noblesse et la bourgeoisie locales. Les nobles critiquent ses idées avancées et les bourgeois goûtent peu sa sollicitude à l’égard du peuple ; d’un peuple pauvre et ignorant dont Robespierre ne cesse de célébrer la vertu !

Robespierre fait partie de ces plus de 600 députés du tiers-état élus et rassemblés à Paris en ce printemps 1789. Il fait entendre sa voix et ne laisse pas indifférent dans cette assemblée de bourgeois. Il est de tous les combats, qu’ils concernent le droit de chasse, le statut des curés ou encore l’esclavage. Il y gagne une réputation d’homme intransigeant voire « inconciliant », austère et orgueilleux : « Le peuple est si convaincu de la vertu de Robespierre, a écrit un de ses amis politiques, (…) qu’il le verrait voler dans les poches du voisin sans y croire. » ; « il a tous les caractères, non pas d’un chef de religion, mais d’un chef de secte, écrit Condorcet. Il se dit l’ami des pauvres et des faibles, il se fait suivre par des femmes et des faibles d’esprit. »

Tel est l’homme qui bientôt sera au premier rang, votant pour l’exécution de Louis XVI, appelant à « exterminer tous les rebelles de la Vendée », et cela au nom de la liberté, de l’égalité, de la défense des opprimés et d’une Révolution attaquée de toute part, y compris de l’intérieur ; combat qui fait de lui un homme « physiquement, émotionnellement et intellectuellement éreinté », nous dit Peter McPhee, en ces temps où l’on ne peut avoir confiance en personne. Il fut tout autant un acteur qu’une victime de la Terreur, quand en juillet 1794, il fut conduit à l’échafaud. La Terreur ne fut pas son œuvre, mais celle d’un pouvoir aux abois, et se débarrasser de lui fut une façon habile pour beaucoup de faire oublier leur implication dans son déploiement1.

Sans verser dans les analyses psychologisantes, Peter McPhee nous livre le portrait d’un homme à la personnalité complexe, ni ange, ni démon, emporté par une Révolution qui se mourrait elle-même.

1. Jean-Clément Martin, Robespierre - La fabrication d'un monstre, Perrin, 2016 ; Les échos de la Terreur : Vérités d'un mensonge d'Etat 1794-2001, Belin, 2018.

samedi, février 18 2023

Le syndicalisme d’après : ce qui ne peut plus durer

Jean-Marie Pernot, Le syndicalisme d’après. Ce qui ne peut plus durer, Editions du Détour, 2022.

Avant d’être un spécialiste du syndicalisme hexagonal1, Jean-Marie Pernot fut dans les années 1970-1980 un responsable syndical CFDT. Il connaît donc le syndicalisme de l’intérieur. Avec son dernier livre Le syndicalisme d’après. Ce qui ne peut plus durer (Editions du Détour), il dresse un bilan peu enthousiasmant de la situation.

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Il y a douze ans, Jean-Marie Pernot nous offrait Syndicats : lendemains de crise ? dans lequel il s’inquiétait de la « perte générale d’efficacité du syndicalisme », de son incapacité à intégrer les problématiques des jeunes et des femmes dans un contexte de fragmentation du salariat, de la « désaffiliation sociale et politique de larges fractions des couches populaires », et de « l’incapacité des syndicats à trouver entre eux les accommodements suffisants pour proposer aux salariés quelques raisons et aussi le goût d’agir ensemble dans la diversité de leurs points de vue. »
Une décennie plus tard, ses inquiétudes sont toujours présentes. « Le syndicalisme n’inspire plus le respect qui va naturellement aux puissants » écrit-il, ajoutant que « la puissance des manifestations ne vaut pas manifestation de la puissance » ; car tel pourrait être le paradoxe du syndicalisme français : des organisations affaiblies mais capables de mettre dans les rues des centaines de milliers de personnes. Sauf que les gouvernements répondent alors que « ce n’est pas à la rue de gouverner »...

Jean-Marie Pernot rappelle deux choses : la première est l’importance primordiale de l’entreprise comme lieu d’expression de la critique sociale (même si le risque est grand de s’y enfermer) ; la seconde est qu’il faut toujours se méfier des « slogans guerriers vides de contenu tant ceux qui les mettent en avant sont éloignés de toute possibilité concrète d’en esquisser le moindre début de réalisation ».
Si le syndicalisme veut avoir un avenir, il devra « se frayer un chemin entre l’incantation et la résignation », entre les discours enflammés sans prise sur le réel (et qui cachent mal des pratiques souvent très consensuelles) et l’enlisement institutionnel. Il doit se livrer à une rude autocritique, interroger ses pratiques comme ses structures2 afin de devenir « un outil pratique capable de saisir les formes et les statuts de travail au coeur de la dynamique du salariat réellement existant. » C’est un travail de longue haleine mais indispensable.

Puisque le syndicalisme français est fragmenté et, ajouterais-je, que les travailleurs sont incapables de s’affranchir des logiques partisanes, le renouveau du syndicalisme dépend nous dit l’auteur des relations entre CGT et CFDT, ces deux confédérations demeurant centrales sur le terrain des luttes ou du dialogue social ; les autres, avec leurs qualités et leurs limites, étant incapables de peser ou d’incarner une alternative. Cette unité lui semble possible depuis que l’orientation gestionnaire, macrono-compatible3 de la CFDT commence à être questionnée en interne. Problème : pour Jean-Marie Pernot, cette évolution à ses yeux positive, peut être entravée si la CGT n’accompagne pas cette évolution en mettant en sourdine les critiques légitimes qu’elle peut porter sur la politique de son partenaire. Si en finir avec « la spirale du déclin » dépend de la capacité de l’appareil CFDT à rompre avec le social-libéralisme, on mesure à quel point ce pari est incertain...

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1 Il oeuvra longtemps à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES).
2 Quel échelon est le plus « pertinent » pour le syndicalisme d’aujourd’hui : l’échelon local, départemental, régional ? Le bassin d’emploi ? Quant aux fédérations, on sait que certaines sont de véritables Etats dans l’État, qui n’ont donc aucun intérêt à remettre en cause l’existant.
3 Plus de 40 % des syndiqués CFDT ont voté Macron aux premiers tours des deux dernières présidentielles.

dimanche, février 12 2023

Une Mandchourie libertaire

Emilio Crisi, Révolution anarchiste en Mandchourie (1929-1932), Editions Noir et Rouge, 2019.

Sept ans avant la Révolution espagnole, des drapeaux noirs flottèrent sur une terre inhospitalière. Emilio Crisi nous en dit plus avec son livre Révolution anarchiste en Mandchourie (1929-1932) publié par les éditions Noir et rouge.

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Si la guerre civile espagnole fut amplement racontée, commentée, analysée, et à raison, le mouvement insurrectionnel mandchou le fut beaucoup moins. Comme le souligne avec regret Emilio Crisi, Argentin de nationalité, « l’historiographie libertaire a montré peu d’intérêt pour des événements s’étant déroulés hors d’Europe »1. Patiemment, l’auteur a rassemblé des matériaux divers émanant de militants anarchistes, communistes ou nationalistes et tenté de lever le voile sur ce mouvement insurrectionnel méconnu.

La Mandchourie est un territoire situé au nord de la Chine, un territoire immense bordé au sud-est par la Corée, alors sous tutelle japonaise. Un pouvoir nippon qui n’a que mépris pour la population coréenne qu’il juge arriérée. La Corée n’est pour lui qu’un grenier à riz et qu’un moyen d’atteindre son ennemi principal : la Chine voisine. Ceci explique à la fois le fort sentiment anti-colonialiste ou anti-impérialiste des Coréens, et les forts mouvements de migration dans la Mandchourie voisine, afin d’échapper aussi bien à la pression fiscale qu’à la répression politique brutale. Dernier élément à ne pas négliger : la Chine des années 1920 est un territoire gigantesque où s’affrontent des seigneurs de la guerre2, des nationalistes et le jeune Parti communiste. Guerres, grèves ouvrières, insurrections paysannes : la Chine est une véritable poudrière, sans unité politique, qui sera incapable de résister à l’invasion japonaise, dont la Mandchourie en 1931 sera la première victime.

La Mandchourie est donc un territoire singulier, hostile sur lequel vivent depuis le début du 20e siècle des populations d’origines diverses que des guérillas protègent des incursions militaires japonaises. C’est dans ce contexte que les anarchistes lancent un mouvement insurrectionnel. En 1929, il crée une commune libertaire, en lien avec une fraction du mouvement nationaliste armé la plus sensible à la question sociale qu’incarne Kim Jwa-Jin, aujourd’hui héros national coréen dont l’historiographie a gommé les liens avec les anarchistes. Le but est double : repousser l’ennemi japonais pour retrouver l’indépendance nationale ; favoriser l’auto-administration et l’autonomie politique et sociale des masses paysannes… ce qui signifie également résister à toute force politique se voulant hégémonique ; le jeune Kim-Il-sun n’aura ainsi que mépris pour cette révolution libertaire exaltant « l’ultra-démocratie et la liberté sans restriction », et les communistes coréens auront un rôle actif dans la liquidation de ladite commune.

Ce mouvement libertaire ne partait pas de rien puisque les militants qui l’animait avaient une décennie d’expérience de lutte derrière eux, en Chine comme en Corée. Il étaient à la fois idéalistes et pragmatiques, conscients que sans recours aux armes, toute résistance était impossible.
En 1932, l’armée japonaise, en lien avec les seigneurs de la guerre chinois, prend le contrôle de toute la Mandchourie. Les communards coréens sont tués, jetés en prison ou poussés à l’exil. Le rêve libertaire prend fin, et la dictature japonaise s’installe : « Les opprimés de la région subirent un régime bien pire d’esclavage, de brimades et de famine. Les entreprises japonaises (…) en vinrent à fusiller les ouvriers grévistes et même les malades, afin d’éviter des frais de santé, pratique déjà utilisée dans la péninsule coréenne. »


1. Domenico Tarizzo (L’anarchie. Histoire des mouvements libertaires dans le monde, Seghers, 1978) n’en parle pas.
2. Jean-Marie Bouissou, Seigneurs de guerre et officiers rouges 1924-1927, Mame, 1974.

mercredi, février 8 2023

Boulanger, figure du populisme

Bertrand Joly, Aux origines du populisme. Histoire du Boulangisme (1886-1891), CNRS Editions, 2022.

Qui était vraiment le Général Boulanger ? Comment qualifier le Boulangisme ? Ce sont à ces deux questions que répond l’historien Bertrand Joly, auteur d’Aux origines du populisme. Histoire du Boulangisme (1886-1891), publié par CNRS Editions.

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Le livre impressionne avec ses 800 pages très denses et ses centaines de notes de lecture, mais cette « enquête magistrale et monumentale » se dévore aisément grâce à la belle plume de l’auteur qui nous plonge, non sans humour parfois, dans cette poignée d’années qui a vu la République être bousculée par un Général qui n’avait pour lui… pas grand-chose !, sinon un physique avantageux et une absence quasi-totale de sens moral.

Georges Boulanger était un arriviste. Ce Breton sorti de Saint-Cyr fit une carrière militaire remarquée, servant en Algérie, en Cochinchine mais aussi à Paris, où il participa sans état d’âme et avec zèle à la répression de la Commune de 1871. C’est en intégrant le ministère de la Guerre, puis en en prenant la tête en 1886 qu’il s’imagine un destin politique exceptionnel et qu’on l’en convainc. Pour beaucoup il est l’homme de la situation parce que celle-ci est catastrophique. Bertrand Joly nous dépeint alors un monde politique affligeant de médiocrité. Les personnalités d’exception sont rares par principe, mais en cette décennie 1880, elles le sont encore plus. Alors que la situation économique se tend et que le mouvement ouvrier s’affirme, à la chambre, les députés passent leur temps en querelles violentes et en croche-pieds, quand certains s’occupent de garnir leurs bas-de-laine… L’instabilité politique est telle qu’elle nourrit un fort sentiment antiparlementaire qu’alimente une presse aussi médiocre que vénale !

C’est sur ce terreau que Boulanger prospère, agrégeant autour de lui essentiellement des républicains radicaux motivés par une haine féroce des républicains modérés et des royalistes, les premiers lui apportant le discours politique capable de séduire l’électorat populaire, et les seconds l’argent nécessaire pour faire carrière ; et cet argent coule à flot, le pays étant inondé de propagande à la gloire du Général, l’homme providentiel, à poigne, que la France attend pour redorer son blason terni par la perte de l’Alsace et de la Lorraine quinze ans plus tôt. Tout le Boulangisme pourrait se résumer à cette ambiguïté : un mouvement qui se présente comme républicain, patriote et social, soutenu financièrement par des forces réactionnaires ! Un mouvement totalement hétéroclite où se côtoient des Juifs et des antisémites, des laïcs forcenés et des catholiques qui le sont tout autant, des militants dévoués et des arrivistes.
Boulanger ? Il ment comme il respire, promet tout et son contraire (officiellement une république renouvelée, officieusement, le retour de la monarchie) et s’investit très peu dans le mouvement qui le porte et lui offre un train de vie très appréciable. Il ne défend aucun programme, car son programme, c’est lui ; il a compris que « la popularité est une question de forme et non de fond », ce qui l’arrange car sa pensée est totalement indigente.
Sa nullité fait un temps sa force, car pour la classe politique républicaine, elle ne peut être que rédhibitoire ! Or, dans les urnes, Boulanger connaît de tels succès qu’il pousse les républicains à mettre enfin en sourdine leurs rivalités et à trouver le moyen d’exclure l’impudent Général du jeu politique. Si la République ne fut jamais « sérieusement en danger », Boulanger l’a ébranlée.

En 1891, il se suicide sur la tombe de sa compagne, son décès signant tout autant celui du boulangisme, mouvement à la fois « logique et irrationnel » nous dit Bertrand Joly, logique puisqu’il « porte une protestation largement fondée sur bien des points », irrationnel parce qu’il n’a rien à proposer sinon une posture et quelques formules vagues. Pour l’auteur, il fut au niveau mondial l’une des premières manifestations « structurées et revendiquées » du populisme.

mardi, janvier 31 2023

Mes lectures de janvier 2023

Jean-François Chanet, Clemenceau. Dans le chaudron des passions républicaines, Gallimard, 2021.
Bertrand Joly, Aux origines du populisme. Histoire du boulangisme (1886-1891), CNRS Editions, 2022.
Peter McPhee, Robespierre. Une vie révolutionnaire, Classiques Garnier, 2022.
Michaël Heinrich, Critique de l'économie politique. Une introduction aux trois livres du Capital de Marx, Smolny..., 2021.
Christophe Batardy et Matthieu Boisdron, 1977. Nantes bascule à gauche, Editions Midi-Pyrénéennes, 2022.
Laurent Joly, L'Etat contre les juifs. Vichy, les nazis et la persécution antisémite, Flammarion, 2020.
Jean-Frédéric Schaub et Silvia Sebastiani, Race et histoire dans les sociétés occidentales (15e - 18e siècles), Albin Michel, 2021.
Politique africaine (Revue), n°166 (France-Rwanda : rapports, scénes et controverses françaises), Karthala, 2022.
Estelle Deléage, Paysans alternatifs, semeurs d'avenir, Le Bord de l'eau, 2023.
Jean-Marie Mayeur, Les débuts de la Troisième République 1871-1898, Seuil, 1973.
Tal Bruttmann et Laurent Joly, La France antijuive de 1936, CNRS Editions, 2006.
Nicolas Machiavel et Simone Weil, La révolte des Ciompi. Un soulèvement prolétarien à Florence au XIVe siècle, CMDE/Smolny, 2013.
Maurice Dommanget, 1793 : les Enragés contre la vie chère / Les curés rouges : Jacques Roux, Pierre Dolivier, Spartacus, 1976.

vendredi, janvier 27 2023

Ces femmes qui "tiennent" la campagne

Sophie Orange et Fanny Renard, Des femmes qui tiennent la campagne, La Dispute, 2022.

Des services publics déliquescents, une population vieillissante, des emplois rares et peu rémunérateurs… La campagne se mourrait-elle ? Contre cette peinture peu enthousiasmante, il faut lire l’ouvrage de Sophie Orange et Fanny Renard : « Des femmes qui tiennent la campagne » (La Dispute).

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Sociologues toutes deux, elles sont allées à la rencontre de jeunes femmes qui font leurs vies dans des espaces ruraux. Loin des discours misérabilistes dans lesquels vivre en ces lieux serait une punition, leur étude nous montre des femmes dynamiques, débrouillardes, volontaires avec une forte capacité d’adaptation à un environnement compliqué ; des femmes qui ne se rêvent pas en mères au foyer mais en femmes indépendantes.

Paraphrasons un vieux barbu du 19e siècle : ces femmes font leur propre histoire mais elles ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par elles, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. Ainsi, leur implication dans les métiers du care, du service à la personne, ne doit rien à leur « nature féminine éternelle » et tout à leur socialisation. En tant que filles, elles ont été habituées à s’occuper des frères, des anciens, à prêter la main à leurs mères pour les tâches ménagères. En tant qu’étudiantes, elles ont dû composer avec une offre de formation bien moins conséquente et variée qu’en ville, et dans laquelle le care est très présent, et pour cause : dans ces espaces ruraux où le travail est rare et les personnes âgées nombreuses, embrasser une carrière dans la santé et le social offre l’assurance de trouver un emploi, tant les besoins sont conséquents.
Se joue alors un jeu subtil entre ces jeunes femmes, en recherche d’un emploi leur assurant une certaine indépendance économique, et certains employeurs, publics comme privés, désireux de s’attacher de façon pérenne une main-d’oeuvre, souvent plus qualifiée que l’emploi proposé ne l’exige ; mais pas facile d’offrir des perspectives quand on n’a à proposer que des contrats courts et des missions d’intérim, des rémunérations faibles, des temps de travail fractionnés auxquels s’ajoutent les trajets pour s’y rendre, donc la nécessité de disposer d’un véhicule personnel en bon état. Une autre dimension entre en ligne de compte pour celles qui aspirent à mettre un pied dans la fonction publique locale, via des contrats courts : la réputation. Etre connue et faire partie d’une vieille famille, « sans histoire » et insérée dans la vie communale depuis longtemps, sont des avantages : « Les recrutements semblent parfois s’appuyer plus fortement sur l’interconnaissance et la réputations que sur des qualifications strictement scolaires ». Pour échapper à cela, certaines font le choix de l’indépendance. Comme le soulignent les autrices, il est plus facile de trouver un salon de coiffure ou une esthéticienne qu’une boulangerie-pâtisserie ou un charcutier dans les bourgs ruraux.

Si les femmes tiennent la campagne, c’est qu’on les retrouve à des endroits stratégiques. Les autrices ne parlent pas seulement de leur présence comme ATSEM à l’école, comme aide-soignante en EHPAD ou patronnes/auto-entrepreneuses dans ces commerces où les potins circulent autant que les tickets de caisse, mais aussi de leur présence dans le maillage associatif, sportif comme culturel, qui font la vie de village : « Si elles tiennent la campagne autant qu’elles tiennent à la campagne, c’est que des institutions locales comme l’école, les missions locales, les entreprises ou encore les collectivités territoriales n’ont pas intérêt à ce qu’elles la quittent ». Elles tiennent autant la campagne que la campagne les tient. Mais jusqu’à quand ces « premières de corvée », qui n’ont pas de structures collectives à portée de mains pour se défendre, accepteront de le faire sans grande reconnaissance ? Telle est la question.

mardi, janvier 24 2023

Mourir de son travail

Anne Marchand, Mourir de son travail aujourd’hui. Enquête sur les cancers professionnels, Editions de l’Atelier, 2022.

« Le travail demeure le grand absent des campagnes de prévention (du cancer) ». Ces mots de l’historienne et sociologue Anne Marchand illustre bien un terrible paradoxe : chaque année, des dizaines de milliers de personnes se découvrent victimes d’un cancer lié a priori à leur passé de travailleur, et pourtant, les campagnes se focalisent sur l’alcool, le tabac et l’alimentation. Le message qui nous est adressé est clair : C’est notre imprévoyance qui est la cause de notre perte.


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Le livre d’Anne Marchand, « Mourir de son travail aujourd’hui. Enquête sur les cancers professionnels », publié par les éditions de l’Atelier, est le fruit d’un septennat de recherche effectué dans le cadre du Giscop 93, (Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle de Seine-Saint-Denis)1. Pour ces chercheurs à l’âme militante, il fallait « comprendre ce qui fait obstacle au recours du droit de la réparation », autrement dit, comprendre pourquoi les victimes souffrent ou meurent en silence.
Les raisons sont nombreuses. Il y a une dimension personnelle : on ne réagit pas de la même façon à l’annonce d’une maladie grave voire incurable, et au lien qui pourrait être fait entre elle et un travail effectué des décennies plus tôt. Certains refusent d’y croire, d’autres sont fatalistes, considérant que tels étaient les risques du métier, ou refusent de se considérer comme victime d’une injustice. Et puis, il y a la famille, dont le rôle est longuement souligné par l’enquêtrice. Se soigner coûte cher pour les classes populaires faiblement assurées, un arrêt-maladie pèse sur les finances familiales, alors, entamer en plus des démarches juridiques, remplir des papiers auquel on ne comprend pas grand chose, recourir à un avocat dans l’espoir hypothétique d’être reconnu comme victime, et attendre alors que l’on sait ses jours comptés… tout cela rajoute de l’inquiétude à l’inquiétude. Les médecins généralistes ? Mal formés, peu informés, routiniers, ils sont de plus totalement ignorants de la façon dont l’activité professionnelle de leur patient s’est très concrètement déroulée. La piste professionnelle est donc très rarement explorée comme source de la pathologie constatée, et quand c’est le cas, un nouvel obstacle apparaît : la difficulté à documenter précisément les différents risques professionnels qu’a affrontés la victime au cours de sa carrière, carrière qui peut s’être déroulée dans mille endroits et mille secteurs industriels différents ; problématique décuplée quand ce sont les ayant-droit qui font les démarches.

Seules, les victimes et leur famille renoncent la plupart du temps à affronter Goliath. Un Goliath qui a les traits du médecin-conseil de la Sécurité sociale. Un Goliath qui a le pouvoir de diligenter des enquêtes auprès des malades mais aussi des employeurs, dont certains, via des avocats spécialisés, sont fort habiles pour multiplier les contentieux, ce qui a un impact sur la façon dont les enquêteurs font leur travail, et donc sur le niveau de reconnaissances en maladie professionnelle.
L’activité du Giscop93 en témoigne : seules l’action collective, l’entraide et la solidarité, sont de nature à briser le mur du silence, à rendre visible ce qui était jusqu’alors invisibilisé. C’est par la pression collective qu’on peut faire évoluer l’incontournable tableau des maladies professionnelles qui établit un lien entre un métier, une maladie et des produits dangereux, mais aussi que la pression peut être mise sur les employeurs-empoisonneurs afin que l’on ne perde plus sa vie à la gagner.

1. Structure initiée par le toxicologue Henri Pézerat et la sociologue Annie Thébaud-Mony dont je vous recommande le dernier ouvrage Politiques assassines et luttes pour la santé au travail. Covid-19, cancers professionnels, accidents industriels (La Dispute, 2021).

mercredi, janvier 18 2023

Autogestion et révolution

Charles Piaget, Autogestion et révolution. Interventions 1974, Editions du Croquant / Les Cahiers de l’Institut Tribune socialiste, 2022.


Piaget. Non pas Jean le psychologue-pédagogue, mais Charles, l’ouvrier horloger. C’est à ce militant, icône furtive du syndicalisme de l’immédiat post-1968 que s’est intéressé Théo Roumier. « Autogestion et révolution » est une courte brochure rassemblant une interview et une intervention publique du syndicaliste bisontin, toutes deux de l’automne 1974, précédées d’une généreuse et indispensable préface : généreuse parce qu’elle occupe plus de la moitié du livre ; indispensable parce qu’elle nous replonge dans cette décennie 1970, décennie tumultueuse marquée par l’insubordination ouvrière1.

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Charles Piaget est le fruit d’une quadruple histoire : celle du syndicalisme jurassien, dominé par l’ouvrier rural à l’esprit communautaire et chrétien2 ; celle de son entreprise, Lip, fleuron national de l’horlogerie française devenu flambeau de l’idéal autogestionnaire3 ; celle de la CFDT, passé du conservatisme chrétien au socialisme démocratique en vingt ans ; celle enfin du PSU, rassemblement hétéroclite de militants, enfant de la Guerre d’Algérie se rêvant comme alternative au stalinisme du PCF et au réformisme de la social-démocratie d’alors.
L’année 1974 est une année importante pour Piaget puisqu’une partie de l’extrême gauche veut faire de lui le « candidat unique des révolutionnaires » pour les Présidentielles qui s’annonce… et dont le décès prématuré de Georges Pompidou précipitera la tenue. Mais Piaget ne recueille ni l’assentiment de la CFDT, qui plaide pour un soutien dès le premier tour à François Mitterrand, ni celui du PSU, son propre parti, qui ne tardera d’ailleurs pas à imploser, certains comme Rocard rejoignant le PS, d’autres optant pour la Ligue communiste.

En cette automne 1974, Piaget développe ses conceptions du combat politique et syndical. Il écrit : « Le problème n’est pas d’offrir un débouché politique aux luttes sociales, il est de tout faire pour que les travailleurs découvrent collectivement ce débouché, qui est la prise du pouvoir par eux-mêmes en tant que classe ». Ainsi, pour ce Piaget aux accents libertaires, les masses en action doivent être le « moteur de la transformation sociale », et le socialisme autogestionnaire et émancipateur qu’il prône ne peut se construire graduellement que par l’action continue des classes populaires et la constitution de contre-pouvoirs dans les usines comme dans les quartiers. On mesure à ces mots tout ce qui le sépare de l’aile droite du parti, mais aussi d’une large partie de la gauche et de l’extrême-gauche qui ne voit dans les classes populaires qu’une masse d’électeurs destinés à être encadrée et dirigée par un parti censé l’incarner.

Cette promotion de « l’action autonome de la classe ouvrière » n’est pas une « coquetterie ouvriériste », nous dit Théo Roumier, mais une « question d’efficacité, de garantie et de cohérence avec le projet politique ». C’est en luttant et en se fédérant qu’on se construit une conscience politique sur laquelle peut ensuite se penser, se développer et se défendre un projet émancipateur, car comme le souligne Piaget, « un consensus populaire n’a rien à voir avec un compromis entre organisations ».

Notes
1. Xavier Vigna, L’insubordination ouvrière dans les années 68. Essai d’histoire politique des usines, PUR, 2007.
2. Piaget est père de six enfants dont s’occupe son épouse, Annie, militante elle-aussi qui lui rappelle à l’occasion que l’autogestion concerne également les tâches ménagères…
3. Donald Reid, L’Affaire LIP 1968-1981, Presses universitaires de Rennes, 2020.

mardi, janvier 10 2023

Les ambassades de la Françafrique

Michael Pauron, Les ambassades de la Françafrique. L’héritage colonial de la diplomatie française, Lux, 2022.


Avec son livre « Les ambassades de la Françafrique », le journaliste Michael Pauron nous entraîne dans les lieux feutrés où la France, pays des droits de l’homme et des mille fromages, s’efforce de poursuivre sa mission civilisatrice sur le continent noir avec comme têtes de gondole Bolloré, Areva, la DGSE et l’Armée.
Vous me pardonnerez ces sarcasmes mais il faut en être armé pour ne pas déprimer à la lecture de tels ouvrages. Michael Pauron ne nous apprend rien sur le fond que nous ne sachions déjà. La France gaullienne et ses réseaux ont parfaitement géré les Indépendances, installant des homme-liges ou faisant en sorte que les indociles du moment cessent de l’être. Ce qu’elle parvînt à faire dans les années 1950, elle l’a accompli également au début des années 1990 quand une vague de démocratisation bouleversa l’Afrique de l’Ouest ; démocratisation qui ne fut en fait qu’un processus de décompression autoritaire qui vît les élites d’alors, lâcher du lest et ouvrir l'accès au pouvoir et à ses ressources à d'anciens dominés.

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Tout cela est connu et documenté grâce à des chercheurs et militants africains (comme Mongo Beti ou Achille Mbembé), français (comme François Verschave ou Jean-François Bayart), sans oublier le travail d’associations comme Survie ou de revues comme Politique africaine. Tout cela est connu mais laisse indifférent ou impuissant : on sait, on dénonce mais on laisse faire1.
On laisse faire les ambassadeurs aux ordres multiplier les ingérences afin que Paris ne perde jamais la main sur la destinée de son pré-carré qui prend de plus en plus l’allure d’un Fort Alamo menacé à la fois par des populations excédées, le djihadisme et les offensives économico-politiques des puissances russes et chinoises.

« La grandeur et la splendeur de nos emprises diplomatiques répondent à des considérations stratégiques » écrit Michael Pauron. La France, phare de la civilisation, a besoin de lumière. Une grandeur et une splendeur qui justifient bien quelques accommodements avec le droit du travail. On travaille beaucoup dans les ambassades quand on est un salarié du cru. L’auteur souligne ces entorses au droit qui concernent autant les conditions de travail que les salaires versés, voire même le travail non déclaré, car le temps du boy, corvéable à merci n’est pas révolu... Dans ce monde où tout semble permis, rien d’étonnant à ce que l’on sombre parfois dans le scabreux ; mais parler de ces affaires de viol et de pédophilie, n’est-ce pas donner des armes aux ennemis de la France ?
Business et business. La privatisation des services de visas répond à trois objectifs : générer des revenus (car le visa a un coût pour le demandeur), s’épargner des dépenses de personnel et, accessoirement faire disparaître les longues files d’attente devant les ambassades. Ajoutons-en un quatrième : limiter les migrations officielles. Qu’importe si les prestataires ne sont pas irréprochables dans leur gestion des données personnelles ou si la corruption y trouve là un terrain sur lequel s’épanouir.

Arrogance, impunité, paternalisme… Il n’est pas sûr que la dissolution récente du corps diplomatique change fondamentalement les choses, puisque pour beaucoup de diplomates, « l’Afrique c’est l’Afrique », un territoire à part, qui échappe à l’entendement. Michael Pauron a bien raison de demander en conclusion si la diplomatie française est « en mesure de penser contre elle-même ».

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1 Lire l’excellent entretien entre Jean-François Bayart et Etienne Smith sur l’influence (nulle) des consultants sur la définition de la politique étrangère de la France. Cf. Politique africaine n°166 (France-Rwanda : rapports, scènes et controverses françaises).

mardi, janvier 3 2023

Rojava : regards critiques

Pierre Crétois et Edouard Jourdain (sldd), La démocratie sous les bombes. Syrie-Le Rojava entre idéalisation et répression, Le Bord de l’eau, 2022.

Depuis une poignée d’années, les espoirs révolutionnaires de certains se situent dans le Nord de la Syrie, dans une région appelée Rojava. Là-bas, le mouvement révolutionnaire kurde s’efforce de mettre en place le confédéralisme révolutionnaire, une nouvelle doctrine imaginée par son leader, Abdullah Ocalan, qui a abandonné le marxisme-léninisme pour une pensée nourrie d’apports libertaires1.

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« La démocratie sous les bombes », publié par Le Bord de l’eau, rassemble les contributions à un colloque universitaire tenu à Bordeaux en 2021 ; contributions importantes puisqu’elles entendent poser un regard critique plutôt qu’un discours apologétique sur cette expérience.

Il revient à Pierre Bance et Rémi Carcélès d’ouvrir le bal en nous rappelant dans quel contexte extrêmement défavorable a émergé ce projet qui troque le vieux rêve d’un Etat-nation kurde indépendant pour un espace autonome et émancipateur qui n’est pas sans rappeler le graduelisme révolutionnaire d’Errico Malatesta : « Réclamer et exiger, même par la force, notre pleine autonomie et le droit et les moyens de nous organiser à notre manière pour expérimenter nos méthodes »2. Le contexte ? C’est tout d’abord la guerre, effroyable, qui les met aux prises avec l’État syrien et Daesh. C’est aussi le conservatisme, politique, et le rigorisme religieux des populations locales, le clientélisme et les logiques tribales sur lesquels reposent le pouvoir des élites du Rojava3. C’est encore la composition pluri-ethnique du territoire avec tout ce que cela sous-entend de siècles de relations conflictuelles ou de rapports de domination, ce que rappelle la contribution d’India Legedanck. Et puis il y a le discours porté par les révolutionnaires kurdes, discours que décode Davide Grasso, nous rappelant que les mots (comme peuple ou Etat) ne recouvrent pas les mêmes réalités là-bas qu’ici, et soulignant la dimension éthique, éducative et pragmatique du projet.

L’émancipation proposée s’adresse ici à toutes et tous, pas à une classe sociale en particulier : le prolétariat industriel (d’ailleurs si peu répandu au Rojava) n’est pas le sujet révolutionnaire. En revanche, la femme est au coeur du processus révolutionnaire : « La libération des femmes est prioritaire à celle de la nation ou de la classe ». Ces mots d’Ocalan, aussi bien icône que leader charismatique4, rappelés par Somayeh Rostampur, en atteste. Réside ici la grande singularité du confédéralisme démocratique : un féminisme radical s’appuyant sur la pensée d’un homme vénéré par toutes et tous au sein du mouvement, et sur laquelle les femmes kurdes peuvent s’appuyer pour imposer des changements profonds.

Il ne s’agit pas d’idéaliser le processus en cours mais d’en souligner les limites et la très grande fragilité qui doivent autant à la situation politico-militaire qu’aux réticences locales au dit projet qui entend remettre en question tous les rapports de domination. Ce livre nous y aide. Et puisque ce projet émancipateur doit énormément à la personne d’Ocalan, une question se pose : pourra-t-il survivre à la disparation de ce dernier ?.


1. Essentiellement le municipalisme libertaire promu par Murray Boockchin.

2. « Graduelisme », article paru dans Le Réveil n°678 (10/1925). On peut le retrouver dans Gaetano Manfredonia, La pensée de Malatesta. Textes réunis et présentés, Editions du groupe Fresne-Antony, 1996.

3. Cette question est remarquablement traitée dans le contexte irakien par Arthur Quesnay (La guerre civile irakienne. Ordres partisans et politiques identitaires à Kirkouk, Karthala, 2021).

4. Ocalan a 73 ans, est enfermé depuis de 20 ans, subissant des conditions de détention s’apparentant à de la torture puisqu’il est privé de tout contact avec l’extérieur. Cette réclusion a renforcé son statut d’icône au sein du mouvement.

lundi, janvier 2 2023

Lectures 2022

Emilio Crisi, Révolution anarchiste en Mandchourie (1929-1932), Noir & Rouge, 2019. --- Ma chronique.
Olivier Martin, Chiffre, Anamosa, 2022.
Michael Pauron, Les Ambassades de la Françafrique. L'héritage colonial de la diplomatie française, Lux, 2022. --- Ma chronique.
Sylvain Boulouque, Le peuple du drapeau noir. Une histoire des anarchistes, Atlande, 2022.
Jean-Marie Pernot, Le syndicalisme d'après. Ce qui ne peut plus durer, Editions du détour, 2022.
Sophie Orange et Fanny Renard, Des femmes qui tiennent la campagne, La Dispute, 2022. --- Ma chronique.
Pierre Crétois et Edouard Joudain (sldd), La démocratie sous les bombes. Syrie-Le Rojava entre idéalisation et répression, Le Bord de l'eau, 2022. --- Ma chronique.
Anne Marchand, Mourir de son travail aujourd'hui : enquête sur les cancers professionnels. Un fléau évitable, Ed. de l'Atelier, 2022. --- Ma chronique.
Nicolas Da Silva, La Bataille de la Sécu. Une histoire du système de santé, La Fabrique, 2022. --- Ma chronique.
Charles Piaget, Autogestion et révolution. Intervention 1974, Editions du Croquant, 2022. --- Ma chronique.
Christophe Batardy, Le Programme commun de la gauche 1972-1977. C'était le temps des programmes, Presses universitaires de Bordeaux, 2021. --- Ma chronique.
Reyes Casado Gil, La transition en rouge et noir. CNT (1973-1980), Le Coquelicot, 2022. --- Ma chronique
Francis Dupuis-Déri, Panique à l'université. Rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires, Lux, 2022.
Mohammed Harbi, L'Autogestion en Algérie. Une autre révolution ? (1963-1965), Syllepse, 2022. --- Ma chronique.
Noam Chomsky, Une vie de militantisme, Ecosociété, 2022.
Gaëlle Krikorian, Des Big Pharma aux communs. Petit vadémécum critique de l'économie des produits pharmaceutiques, Lux, 2022. --- Ma chronique.
Dimitri Manessis et Jean Vigreux, Rino Della Negra footballeur et partisan, Libertalia, 2022.
Laurent Denave, S’engager dans la guerre des classes, Raisons d’agir, 2021.
Christopher Stone, Les arbres doivent-ils plaider ?, Le Passager clandestin, 2022.
Alain Deneault, Moeurs de la gauche cannibale à la droite vandale, Lux, 2022.
Daniel Benamouzig et Joan Cortinas Munoz, Des lobbys au menu. Les entreprises agro-alimentaires contre la santé publique, Raisons d’agir, 2022. -- Ma note.
Tristan Poullaouec et Cédric Hugrée, L'université qui vient. Un nouveau régime de sélection scolaire, Raisons d'agir, 2022. --- Ma chronique.
Henry Fielding, Ecrits sur la pauvreté et le crime. L'enquête de 1751 et le Projet de 1753, Classiques Garnier, 2022. -- Ma note.
Wu Ming 1, Q comme complot. Comment les fantasmes de complot défendent le système, Lux, 2022.
Moyen-Orient (Revue), n°55 (Bilan géostratégique 2022. Le Moyen-Orient à l'ombre de l'Ukraine), 2022.
Moyen-Orient (Revue), n°54 (Talibans. Le grand retour...), 2022.
L'Economie politique (Revue), n°94 (Peut-on échapper au capitalisme de surveillance ?), Alternatives économiques, 2022.
Jean-François Bayart, Ibrahima Poudiougou, Giovanni Zanoletti, L'Etat de distortion en Afrique de l'Ouest. Des empires à la nation, Karthala, 2019.
Atelier des passages, Révolutionnaires. Récits pour une approche féministe de l’engagement, Editions du Commun, 2022. --- Ma chronique.
Roland Pfefferkorn, Laïcité : une aspiration émancipatrice dévoyée, Syllepse, 2022. --- Ma chronique.
Anne-Catherine Schmidt-Trimborn, La ligue d'Action française. Organisations, lieux et pratiques militantes, Ed. Petere Lang, 2022. --- Ma chronique.
Yasnaya Elena Aguilar Gil, Nous sans l'Etat, Ici-bas, 2022.
Howard Zinn, Combattre le racisme. Essais sur l'émancipation des Afro-Américains, Lux, 2022. --- Ma chronique.
Alternatives Sud (Revue), n°29 (Fuir l'Amérique centrale), Centre tricontinental.
Alain Supiot, La justice au travail, Seuil, 2022.
Nicolas Hatzfeld, Les Frères Bonneff, reporters du travail. Articles publiés dans L'Humanité de 1908 à 1904, Garnier, 2021. -- Ma note.
Albert Londres, Terre d'ébène. La traite des Noirs, Payot, 2022.
Louisa Yousfi, Rester barbare, La Fabrique, 2022.
Mathieu Léonard, L'ivresse des communards. Prophylaxie antialcoolique et discours de classe (1871-1914), Lux, 2022. --- Ma chronique.
Pierre Stambul, Contre l'antisémitisme et pour les droits du peuple palestinien, Syllepse, 2021. -- Ma chronique.
Maud Chirio (sldd), Mon cher Lula. Lettres à un président en détention, Anamosa, 2022. --- Ma chronique.
Régis Meyran, Obsessions identitaires, Textuel, 2022.
Gilles Moreau, S'asseoir et se regarder passer. Itinéraire(s) d'un sociologue de province, La Dispute, 2022.
Boris Souvarine, Cauchemar en URSS. Les procès de Moscou 1936-1938, Smolny..., 2021. -- Ma chronique.
Paul Mattick, Les limites de l'intégration. L'homme unidimensionnel dans la société de classe, Grévis, 2021.
Elodie Edwards-Grossi, Bad Brains. La psychiatrie et la lutte des noirs américains pour la justice raciale (20-21e siècles), PUR, 2021. --- Ma chronique.
Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, Race et sciences sociales. Essai sur les usages publics d'une catégorie, Agone, 2021.
Vincent Gay, Pour la dignité. Ouvriers immigrés et conflits sociaux dans les années 1980, PUL, 2021. -- Ma chronique.
Alternatives Sud (Revue), Un système alimentaire à transformer, Centre Tricontinental, 2021.
Arthur Quesnay, La guerre civile irakienne. Ordres partisans et politiques identitaires à Kirkouk, Karthala, 2021.
Nicolas Delalande et Blaise Truong-Loï, Histoire politique du 19e siècle, Presses de SciencesPo, 2021. --- Ma chronique.
Alternatives Sud (Revue), Violences de genre et résistances, Centre Tricontinental, 2021.
Guy Dechesne, Un siècle d'antimilitarisme révolutionnaire. Socialistes, anarchistes, syndicalistes et féministes 1849-1939, ACL, 2021.
Adam Baczko, La guerre par le droit. Les tribunaux Taliban en Afghanistan, CNRS Editions, 2021.
José Berruezo, Contribution à l'histoire de la CNT espagnole en exil, Le Coquelicot, 2021. --- Ma chronique.
Nathaniel Flakin, Un Juif berlinois organise la résistance dans la Wehrmacht. "Arbeiter und soldat", Syllepse, 2021. --- Ma chronique.
Joao Bernardo, Ils ne savaient pas encore qu'ils étaient fascistes, Editions NPNF, 2022.
Michael Lowy, Dialectique et révolution. Essai de sociologie et d'histoire du marxisme, Anthropos, 1971.
Jules Lermina, L'ABC du libertaire, Mille-et-une-nuits, 2004.
Maurice Pianzola, Lénine en Suisse, La Librairie nouvelle, 1952.
Robert Marjolin, L'évolution du syndicalisme aux Etats-Unis de Washington à Roosevelt, Alcan, 1935.
H. E. Kaminski, Céline en chemise brune ou Le mal du présent, Champ libre, 1983 (1938).
Noam Chomsky et ES Herman, Bain de sang - L'Archipel Bloodbath, Seghers/Laffont, 1974.
L'homme et la société (Revue), Les mille peaux du capitalisme (I), L'Harmattan, 2015.
Pascal Picq, Nouvelle histoire de l'Homme, Perrin, 2005.
Georges Sorel, Matériaux d'une théorie du prolétariat, Ressources, 1981. Elise Marienstras, Wounded Knee ou l’Amérique fin de siècle, Ed.Complexe, 1992.
Larry Watson, Montana 1948, 10/18, 1999.
Joël Michel, Colonies de peuplement. Afrique 19-20e siècles, CNRS Editions, 2018.
Romain Bertrand, Le long remords de la conquête. Manille Mexico Madrid : l’affaire Diego de Avila (1577-1580), Seuil, 2015.
Didier Eribon, Retour à Reims, Flammarion, 2018.
Myriam Revault d'Allonnes, La faiblesse du vrai. Ce que la post-vérité fait à notre monde commun, Seuil, 2018.
Rémi Gueyt, La mutation tchécoslovaque analysée par un témoin (1968-1969), Editions ouvrières, 1969.
Paul Mattick, Intégration capitaliste et rupture ouvrière, EDI, 1972.
Farhad Khosrokhavar et Olivier Roy, Iran : comment sortir d'une révolution religieuse, Seuil, 1999.
Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé. Quand l'impossible est certain, Seuil, 2002.
David Riazanov, Marx et Engels. Conférences faites aux cours de marxisme près l'Académie socialiste en 1922. Anthropos, 1967.
Chatriot/Hordern/Tuffery-Andrieu (sldd), La codification du travail sous la Troisième République. Elaborations doctrinales, techniques juridiques, enjeux politiques et réalités sociales, PUR, 2011.
Alain Bouc, La Chine à la mort de Mao, Seuil, 1977.
Simon Leys, Ombres chinoises. Essais sur la Chine, Laffont, 1998.
Roger Dupuy, La politique du peuple. Racines, permanences et ambiguïtés du populisme, Albin Michel, 2002.
Henri Lefebvre, Problèmes actuels du marxisme, PUF, 1970.
Christine Delphy, Pour une théorie générale de l'exploitation. Des différentes formes d'extorsion de travail aujourd'hui, Syllepse, 2015.
Colin Turnbull, Les Iks. Survivre par la cruauté : Nord-Ouganda, Plon, 1987.
Gérard Noiriel, Le massacre des Italiens. Aigues-Mortes, 17 août 1893, Hachette, 2018.
Nicolas Lebourg et Isabelle Sommier (sldd), La violence des marges politiques des années 1980 à nos jours, Riveneuve, 2017.
Collectif, Pour quoi faire la révolution, Agone, 2012.
Franco Lo Piparo, Les deux prisons de Gramsci, CNRS Editions, 2014.
Maurice Rajsfus, Sois Juif et tais-toi ! 1930-1940 : les Français "israélites" face au nazisme, Ed. EDI, 1981.
Pierre Sorlin, L'antisémitisme allemand, Flammarion, 1969.
Robert Castel, L'ordre psychiatrique. L'âge d'or de l'aliénisme, Editions de Minuit, 1976.

vendredi, décembre 30 2022

Mes lectures de décembre 2022

Emilio Crisi, Révolution anarchiste en Mandchourie (1929-1932), Noir & Rouge, 2019.
Olivier Martin, Chiffre, Anamosa, 2022.
Michael Lowy, Dialectique et révolution. Essai de sociologie et d'histoire du marxisme, Anthropos, 1971.

mardi, décembre 20 2022

Contribution à l’histoire de la CNT espagnole en exil

José Berruezo, Contribution à l’histoire de la CNT espagnole en exil, Le Coquelicot, 2021.

A partir de janvier 1939, des centaines de milliers d’Espagnols traversent les Pyrénées, fuyant l’avancée des troupes franquistes ; et parmi eux de nombreux militants anarcho-syndicalistes. José Berruezo était l’un d’eux. Avec Contribution à l’histoire de la CNT espagnole en exil, livre achevé en 1966 et édité en 2021 par Le Coquelicot, nous en savons un peu plus sur l’activité de ces proscrits durant la Seconde Guerre mondiale.

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La vie des Espagnols parqués dans des conditions innommables dans les camps de concentration français est bien documentée, et depuis longtemps. Comme l’a écrit Vladimir Pozner1, « Nous ignorons les intentions de ceux qui ont créé et qui dirigent les “centres d’accueil”. Mais s’il s’agissait, avec un minimum de moyens et dans un minimum de temps, de créer de toutes pièces, chez un demi-million d’êtres humains, la haine de la France, ce but a presque été atteint. »
José Berruezo eut la chance de sortir très vite de cet enfer, enfer sur lequel d’ailleurs il ne s’étend pas. Le quadragénaire abandonne le camp de Bram (Aude) pour la grisaille du Cantal où il est affecté dès la fin 1939 à la construction du barrage de l’Aigle, sur la Dordogne. C’est de là qu’il tente, avec d’autres, de fédérer les anarcho-syndicalistes ibériques éparpillés sur le territoire national. Oeuvre difficile, et qui l’est encore plus avec la victoire militaire de l’Allemagne en juin 1940. Comment communiquer, comment se déplacer sans éveiller les soupçons de la police française ou de la Gestapo ?

« La plupart de ces militants n’auraient pas su construire et prononcer des discours, ni écrire de brillants articles de journaux, mais ils savaient penser et sentir avec cette grandeur d’âme si commune dans le milieu confédéral », écrit Berruezo. Peu d’intellectuels donc, mais des militants ouvriers, idéalistes mais pragmatiques, austères2, expérimentés ou nés avec la Guerre civile, déterminés à réorganiser la CNT depuis l’exil, tout en prenant langue avec la Résistance française car tous sont persuadés que la défaite de l’Allemagne et de l’Italie entraînera inévitablement la chute de Franco ; d’où leur volonté de favoriser l’entrée des Espagnols dans les maquis…
Mais sur quelles bases se reconstituer ? Car les anarcho-syndicalistes, en exil comme en Espagne, sont profondément divisés, comme ils le furent dès les années 1920. Deux orientations s’opposent vigoureusement. La première considère que la Révolution sociale n’est pas à l’ordre du jour et qu’en conséquence la CNT doit faire des compromis et nouer des alliances avec les « forces démocratiques » en exil. La seconde ne veut ni des uns ni des autres ! Querelle qui porte en elle les germes d’une scission qui n’interviendra qu’après la Libération et fracturera à jamais le mouvement libertaire espagnol de part et d’autre des Pyrénées. Berruezo a beau expliquer qu’il s’est efforcé de « garder au récit un ton de sérénité objective » et de se « placer au-dessus des querelles », le septuagénaire qu’il est n’a pas de mots assez durs pour critiquer ces puristes intransigeants, aventuristes, parfois à la moralité douteuse qui le traitent de « nouveaux judas », de traîtres, de politiciens et de laquais de la bourgeoisie.

Témoin engagé de ces années tourmentées, Berruezo demeura toute sa vie un militant ouvrier au service d’une CNT qui n’était déjà plus que le fantôme de ce qu’elle fut.

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1 Vladimir Pozner, Un pays de barbelés. Dans les camps de réfugiés espagnols en France (1939), Editions Claire Paulhan, 2020.
2 L’auteur insiste beaucoup sur la droiture morale des militants de base de la CNT : « tous ceux qui étaient là étaient des travailleurs et nous n’en connaissons aucun qui pensait à un genre de vie différent de celui que fournit un travail honnête. ».

mercredi, décembre 14 2022

L'Université qui vient

Cédric Hugrée et Tristan Poullaouec, L’université qui vient. Un nouveau régime de sélection scolaire, Raisons d’agir, 2022.


En finir avec Parcoursup mais ne pas s’en contenter. Telle pourrait être la leçon à retenir du livre de Cédric Hugrée et Tristan Poullaouec « L’université qui vient. Un nouveau régime de sélection scolaire » publié par les éditions Raisons d’agir.

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Le constat est sans appel, et la solution, évidente. Trop d’étudiants échouent lors de leur premier cycle universitaire. Afin qu’ils ne perdent plus leur temps dans les amphithéâtres et qu’ils cessent de s’illusionner sur leur potentiel, confions à Parcoursup le soin de leur indiquer la voie la plus raisonnable à suivre. C’est donc pour le bien commun que l’on fait « accepter à une partie de l’opinion publique la sélection à l’entrée à l’université ».
Les sociologues Hugrée et Poullaouec ont pris à bras-le-corps le problème posé dans le but de « rouvrir le débat sur le droit à la réussite », conscients qu’il ne « suffit plus de réaffirmer la liberté de choisir l’université pour tous les bacheliers (mais de) trouver comment lever les obstacles qui les empêchent d’y étudier correctement ».

La culture anti-école n’existe plus qu’à l’état fragmentaire dans les classes populaires1. Aller jusqu’au bac, voire au-delà, fait partie des attentes parentales, mais tous les rejetons des dites classes ne sont pas logés à la même enseigne. Les classes populaires forment un univers fragmenté où se côtoient des propriétaires et des locataires, des ouvriers et des petits fonctionnaires, des urbains et des ruraux, des diplômés, et tous ces clivages, sans oublier évidemment les capacités financières à assumer les études supérieures, jouent sur la scolarité des enfants2 ; d’où la nécessité de s’intéresser au « passé scolaire » et pas seulement social des étudiants en échec, car « c’est bien avant leur entrée à l’université que se joue pour l’essentiel (leur) réussite ». Les auteurs le rappellent : « seuls 15 % des licenciés sont entrés en sixième en figurant parmi la moitié des élèves les moins performants », autrement dit, « la principale raison du décrochage reste la difficulté scolaire précoce ».

Dans la cohorte annuelle des étudiants, beaucoup sont ainsi des rescapés que la plongée dans ce nouvel univers fragilise. Les bacheliers des filières technologiques et professionnelles3 sont du lot surtout s’ils doivent conjuguer études et petits boulots. Et ils sont d’autant plus fragilisés que l’université est incapable de les aider puisqu’elle manque de tout, d’agents d’entretien comme d’enseignants-chercheurs ou de bibliothécaires. Comme le soulignent les auteurs, « la licence générale est en passe de devenir le parent désargenté du premier cycle ». Si l’on veut que davantage d’étudiants réussissent, il faut augmenter le montant des bourses pour leur apporter une plus grande autonomie financière, et mieux les encadrer, en leur accordant du « temps d’enseignement supplémentaire (afin de) les entraîner continûment aux techniques du travail intellectuel ». Il faudra également en finir avec Parcoursup, qui n’a en rien réglé les problèmes d’orientation mais renforcé la sélection et ajouté de l’angoisse à l’incertitude. Les auteurs avancent même une idée audacieuse : la création d’un bac unifié de « haut niveau de culture commune » dans un « lycée unique » afin de « rompre avec l’école de classe à la française ». Vaste programme !


Notes
1 Rappelons-le, les parents des classes populaires sont très impliqués dans le destin scolaire de leur progéniture. Ils ne sont pas démissionnaires comme on l’a longtemps entendu.
2 « Les étudiants issus des classes populaires qui obtiennent une licence viennent le plus souvent des familles les plus qualifiées de ces milieux sociaux ».
3 Lors de sa création en 1985, le bac pro n’était pas pensé comme voie d’accès à la fac.

jeudi, décembre 1 2022

A bas l'Etat social !

Nicolas Da Silva, La Bataille de la Sécu. Une histoire du système de santé, La Fabrique, 2022.

« A bas l’État social ! » Tel aurait pu être le titre du livre de Nicolas Da Silva. Mais cet économiste a préféré une accroche moins provocatrice. « La bataille de la Sécu. Une histoire du système de santé », publié par La Fabrique est un livre passionnant qui nous offre une « histoire de la production de soin de santé en France depuis la Révolution française » ; une histoire qui pourrait se résumer par l’affrontement de deux logiques antagoniques : l’État social d’un côté et ce qu’il appelle « La Sociale » de l’autre. Tout cela mérite explication…

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Longtemps, le pouvoir ne s’est guère préoccupé de l’état sanitaire des gueux. C’est le temps de la bienfaisance et de la charité toute chrétienne, où les hôpitaux sont davantage des mouroirs où l’on stocke malades et indigents que des lieux de soin véritables. La Révolution française ne remet pas fondamentalement en question la situation. Ne reconnaissant que des individus libres et autonomes, il revient à chacun de se prendre en charge, de se prémunir contre les aléas de la vie qui se nomment maladie, vieillesse et chômage ; trois fléaux qui sont telle une épée de Damoclès au-dessus de la tête d’une population laborieuse à qui l’on interdit de défendre collectivement ses intérêts.



Qu’importe, au 19e siècle, la classe ouvrière naissante crée ça-et-là des sociétés de secours mutuels, autrement dit des mutuelles qui se chargent de collecter des ressources et de les distribuer à leurs adhérents. Cette dynamique d’auto-organisation populaire, c’est ce que l’auteur appelle « La Sociale » ; une dynamique que le pouvoir combat… avant de la récupérer : d’ « institution d’émancipation dirigée contre le capital et l’Etat », la mutuelle devient une « institution de gestion de la souffrance créée par le capitalisme industriel », gérée par des militants, issus du monde ouvrier, mais de ses franges les moins radicales.

Le grand basculement s’opère avec la Première Guerre mondiale. Certes, les décennies passées, certains s’alarmaient de l’état de santé précaire des jeunes ouvriers dont on allait faire des soldats, mais c’est la guerre qui pousse véritablement l’État à se faire « Etat social », autrement dit à prendre en main le destin sanitaire du peuple du berceau à la mort. Cela passe par l’adoption de grandes lois sociales relatives aux retraites et à la maladie, mais aussi de politiques natalistes, de campagnes de vaccination, de prise en charge des veuves ou des mutilés... L’État doit composer avec les mutuelles, les professionnels de santé ou encore les syndicats dont les approches sont évidemment divergentes. Il compose mais entend bien être le maître du jeu. La création de la Sécurité sociale à la sortie de la Seconde Guerre mondiale en est une parfaite illustration. Elle fut le fruit d’un combat très rude entre la CGT qui se bat pour une protection sociale organisée par les travailleurs eux-mêmes et ceux qui s’y opposent : les mutuelles qui ne veulent pas disparaître, le syndicalisme chrétien opposé à l’affiliation à une caisse unique au nom de la liberté individuelle, politiciens et technocrates persuadés que seuls des spécialistes aux ordres d’un pouvoir élu doivent gérer les sommes colossales en jeu. Depuis 60 ans, l’histoire de la Sécurité sociale est donc celle d’une reprise en main graduelle par l’État de la protection sociale, de sa gestion quotidienne comme de la définition des politiques de santé, pour le plus grand bonheur de l’industrie pharmaceutique. Contre ce « capitalisme sanitaire » qui a fait de la santé un business juteux et prouvé son incurie (ce qu’atteste l’état de l’hôpital public aujourd’hui), l’enjeu, pour l’auteur, n’est ainsi pas de défendre la Sécu mais bien plutôt de se la réapproprier et d’« embrasser à nouveau l’idéal de la Sociale ».

mercredi, novembre 30 2022

Mes lectures de novembre 2022

Michael Pauron, Les Ambassades de la Françafrique. L'héritage colonial de la diplomatie française, Lux, 2022.
Sylvain Boulouque, Le peuple du drapeau noir. Une histoire des anarchistes, Atlande, 2022.
Jean-Marie Pernot, Le syndicalisme d'après. Ce qui ne peut plus durer, Editions du détour, 2022.
Sophie Orange et Fanny Renard, Des femmes qui tiennent la campagne, La Dispute, 2022.
Jules Lermina, L'ABC du libertaire, Mille-et-une-nuits, 2004.
Maurice Pianzola, Lénine en Suisse, La Librairie nouvelle, 1952.
Robert Marjolin, L'évolution du syndicalisme aux Etats-Unis de Washington à Roosevelt, Alcan, 1935.
H. E. Kaminski, Céline en chemise brune ou Le mal du présent, Champ libre, 1983 (1938).
Noam Chomsky et ES Herman, Bain de sang - L'Archipel Bloodbath, Seghers/Laffont, 1974.
L'homme et la société (Revue), Les mille peaux du capitalisme (I), L'Harmattan, 2015.
Pascal Picq, Nouvelle histoire de l'Homme, Perrin, 2005.

jeudi, novembre 24 2022

Le programme commun de la gauche

Christophe Batardy, Le programme commun de la gauche 1972-1977. C’était le temps des programmes, Presses universitaires de Bordeaux, 2021.


C’est à un mythe que s’est attaqué l’historien Christophe Batardy. Avec son livre issu de sa thèse, Le programme commun de la gauche 1972-1977, il nous replonge dans ces tumultueuses années 1970 qui virent la gauche partir à l’assaut non du ciel, mais du pouvoir central.

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Dans la France bouleversée de l’après-1968, la possibilité de parvenir à un pouvoir qui lui échappe depuis le milieu des années 1950 n’est plus une vue de l’esprit pour la gauche parlementaire. L’unité n’est pas une option pour le Parti communiste et le jeune Parti socialiste mais une nécessité pour vaincre une droite gaulliste et libérale solidement implantée. S’unir mais comment ? Autour d’un programme préfigurant la France que l’on souhaite voir advenir. A partir des archives, nombreuses, et des souvenirs, pour beaucoup inédits, l’auteur nous entraîne au plus près du terrain, là où on discute du contenu précis de ce programme commun, qui touche à la fois au rôle de l’État dans le capitalisme contemporain, à la politique de défense, à la condition féminine, à la réforme de l’éducation nationale où à la question des libertés fondamentales sur laquelle le PC est attendu au tournant.

Construire un programme. L’affaire est d’importance, mais cette importance est à relativiser, car tous les acteurs ne sont pas sur la même longueur d’onde. Certes le programme commun adopté en 1972 est imprimé à des centaines de milliers d’exemplaires, mais chaque parti l’édite de son côté, avec une préface de son cru. Certes, la droite parlementaire comme l’extrême gauche ou les syndicats sont obligés de se positionner par rapport à cette dynamique unitaire qui occupe le champ politique et médiatique. Mais la question de l’hégémonie à gauche demeure et aucune force impliquée dans ce processus n’a envie de servir de marchepied de l’autre, et Christophe Batardy souligne à plusieurs reprises que chacun s’emploie à contenir son partenaire : le PC ne veut pas être concurrencé dans les usines par les cellules socialistes d’entreprise ; le PS ne veut pas de meetings communs car sa puissance militante ne peut rivaliser avec celle de son partenaire. Pour le Parti communiste, le Programme commun est un bréviaire qui engage, alors que pour le PS mitterrandien, il est davantage une source d’inspiration pour une gauche qui parviendrait au pouvoir.

Alors que depuis le printemps 1977, communistes, socialistes et radicaux sont engagés dans des discussions pour actualiser ledit programme, et préciser notamment l’ampleur des nationalisations attendue, le 23 septembre, tout s’écroule. Pourquoi diable en est-on arrivé à la rupture ? A cette question qui demeure sans réponse claire depuis près de 50 ans, l’auteur avance une hypothèse renvoyant à la jeunesse de Georges Marchais. L’affaire est connue et empoisonne le PC qui se présente volontiers comme le parti de la résistance : durant la guerre, disent certains, le premier secrétaire est parti volontairement en Allemagne travailler dans l’industrie de guerre nazie. Il n’est pas le déporté du travail et le réfractaire qu’il prétend être. Le médiatique Marchais a attaqué en diffamation ses calomniateurs et le procès doit s’ouvrir alors que les discussions sur l’actualisation du programme battent leur plein. C’est donc un homme fragilisé qui doit défendre son honneur mais aussi celui de son parti qui, élection après élection, n’a cessé de perdre de l’influence à gauche. Pourquoi défendre plus longtemps une stratégie mortifère pour le parti ? Hypothèse plausible si l’on se fie aux souvenirs des dirigeants communistes et aux archives d’alors, puisque la rupture n’était absolument pas une option envisagée par la direction communiste en ce mois de septembre 19771… C’est donc de sa propre initiative que Marchais aurait mis fin au dit programme…
Ce qui fut « un mythe avant d’être un texte » (Chevènement) et qui l’est demeuré puisque l’on s’en réfère encore un demi-siècle après n’aura vécu que cinq années.

Note 1. Le PC aurait accepté que le document final se contente de faire état des divergences sur la question des nationalisations.

mercredi, novembre 23 2022

Algérie : le rêve autogestionnaire

Mohammed Harbi, L’autogestion en Algérie. Une autre révolution ? (1963-1965), Syllepse, 2022.

« L’autogestion, c’est pas d’la tarte ». Tel était le titre d’un livre paru en 1978. Le dernier ouvrage proposé par le militant et historien Mohammed Harbi nous en offre une nouvelle illustration. A dire vrai, le presque nonagénaire Mohamed Harbi nous propose avec « L’autogestion en Algérie » un ensemble documentaire de grande valeur qui nous permet de mieux comprendre les premières années de l’Algérie indépendante ; des documents parfois inédits, inaccessibles ou depuis longtemps oubliés que l’auteur et l’éditeur, Syllepse, ont exhumés, et parmi ceux-ci de remarquables rapports d’enquête qui nous entraînent au plus près du terrain, là où l’autogestion est censée se déployer.
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Proche des trotskystes, conseiller d’Ahmed Ben Bella, avant de devenir un historien reconnu et respecté de l’histoire de l’Algérie contemporaine, Mohammed Harbi fut l’un des acteurs majeurs du Front de libération nationale, notamment de la tendance socialiste qui entendait donner la terre aux fellahs et l’usine aux ouvriers. La révolution devait être l’affaire du peuple délivré du joug colonial et non celle d’une élite politico-militaire. Le FLN n’avait de front que le nom, car derrière la façade unitaire, des clans ne tardèrent pas à se déchirer et seul le coup d’État de Houari Boumédiene en 1965 mettra fin à trois années d’affrontements politiques.
L’Algérie indépendante ne pouvait sortir indemne de huit années de conflit ouvert. Il faut tout reconstruire, notamment à la campagne. Il faut faire avec un matériel défaillant quand il n’a pas tout simplement disparu, l’absence d’encadrants techniques et, en même temps, gérer le retour des deux millions de fellahs rassemblés autoritairement par l’État français dans des camps loin des exploitations agricoles1 ou réfugiés en Tunisie ou au Maroc. Il faut faire avec un Etat en pleine reconstruction, miné, de haut en bas, par l’arrivisme, et souffrant d’un manque de personnel compétent. Il faut faire avec les bureaucrates, pour beaucoup anciens combattants, qui prennent place dans les nouvelles institutions étatiques ou autogestionnaires (comme les comités de gestion), accaparent les terres ou y placent leurs amis et font régner l’ordre d’autant plus facilement que la plupart des fellahs, habitués à obéir sans mot dire et tenus par la faim, ignorent tout de leurs droits nouveaux. Comme l’écrit un rapporteur, « le comité de gestion (…) permet surtout à ses membres de ne rien faire, sans être contrôlés ». La journaliste Juliette Minces parlera à leur propos de « nouvelle bourgeoisie inculte, arrogante, avide, pour qui l’indépendance de l’Algérie n’avait été que le moyen de s’enrichir. » Et comme l’a écrit dès 1963 Mohammed Harbi lui-même dans un article paru dans Révolution africaine, « (aux bureaucrates coupés du peuple) il est temps d’enseigner la différence entre le socialisme et la promotion administrative ».

La dynamique autogestionnaire fut ainsi phagocytée dès le départ par ceux qui ne voulaient pas que se développe l’action autonome des masses, et elle fut insuffisamment soutenue par une masse paysanne, peu instruite et politisée, pour laquelle la Réforme agraire signifiait avant tout partage des grands domaines coloniaux. L’autogestion ne fut donc pas l’« école de démocratie » tant espérée par ses promoteurs. Et si l’auteur refuse de parler d’échec à son sujet, elle en a pourtant le goût.


1 Fabien Sacriste, Les camps de regroupement en Algérie. Une histoire des déplacements forcés (1954-1962), Presses de SciencesPo, 2022.

jeudi, novembre 17 2022

La laïcité dévoyée

Roland Pfefferkorn, Laïcité : une aspiration émancipatrice dévoyée, Syllepse, 2022.

En moins de 100 pages, avec « Laïcité : une aspiration émancipatrice dévoyée », le sociologue Roland Pfefferkorn, fait entendre sa crainte de voir un tel combat tourner le dos « aux principes de liberté et d’égalité et à la séparation des Eglises et de l’Etat ».

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Cette brochure s’inscrit dans l’excellente collection Coup pour coup des éditions Syllepse dont le format est aussi carré qu’un pavé. Il s’agit d’être concis, synthétique et d’aller à l’essentiel. Roland Pfefferkorn, spécialiste des inégalités sociales, s’est prêté au jeu en revisitant deux siècles de combats pour faire de la laïcité le socle sur lequel bâtir une société tolérante, respectueuse.

Il rappelle tout d’abord ce que la laïcité doit au conflit interne au christianisme, la réforme protestante ayant « rendu possible l’affirmation de la liberté de conscience en matière religieuse », et bien sûr à la philosophie des Lumières qui, bien que non anti-religieuse, remet en question la prétention des religions à régenter la vie des peuples et des Etats.
De la Révolution française de 1789 à l’adoption de la loi de séparation des églises et de l’Etat de 1905, la laïcité sera au cœur de bien des combats politiques et sociaux. Avec la fondation de la troisième République, nous entrons dans une nouvelle phase durant laquelle l’Etat républicain s’efforce de tenir à distance l’église catholique : le contrôle des âmes est au centre des préoccupations de l’un et de l’autre.
Mais toutes les âmes ne sont pas logés à la même enseigne. L’auteur rappelle que l’émancipation humaine promue par les républicains de gouvernement ne se préoccupe guère des femmes, privées notamment du droit de vote, des peuples colonisés, trop immatures pour se passer d’une bienfaisante tutelle, ou encore des Alsaciens et Mosellans puisque le régime concordataire adopté en 1801 ne fut pas remis en question par la loi de 1905, une loi de compromis qui voulait mettre l’Etat et non plus l’église au centre du village.

La question laïque fut et demeure en grande partie une question scolaire. Pendant longtemps, la gauche a flétri cette « catho-laïcité » qu’illustre le financement de l’enseignement privé par des fonds publics. Aujourd’hui, ce combat ne fait plus recette, car depuis 1989 et l’affaire dite de Creil, c’est la question du foulard, de sa présence en milieu scolaire, qui déchaîne les passions.
Roland Pfefferkorn rappelle judicieusement que le port du foulard dans l’enceinte scolaire n’était pas contraire au principe de la laïcité, et que c’est l’« emballement politico-médiatique » autour de cette affaire anodine et en passe d’être réglée par le dialogue entre les parents et l’institution1 qui a permis que quinze ans plus tard une loi bannisse tout signe religieux ostensible de l’école. L’auteur rappelle que certains, au mépris de l’histoire, ont considéré cette loi comme fidèle à l’esprit de 1905 alors qu’elle était le symbole d’un « dévoiement identitaire et autoritaire de la laïcité historique ». N’est-il pas significatif de voir des forces politiques conservatrices, réactionnaires se faire soudainement les défenseurs acharnés d’une laïcité qualifiée de ferment de l’identité française ? Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que cette rhétorique a fait de la loi de 2004 l’« arme d’une guerre culturelle » contre le « musulman », travesti pour les besoins de la cause en islamiste à coup sûr belliqueux. Pendant ce temps, depuis 2007, tous les présidents de la république se sont offert au moins un pèlerinage au Vatican. Etonnant, non ?

Note 1 : Un accord avait été trouvé très rapidement avec les parents, les jeunes filles gardant leur foulard dans la cour, mais pas en classe.

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