Charles Piaget, Autogestion et révolution. Interventions 1974, Editions du Croquant / Les Cahiers de l’Institut Tribune socialiste, 2022.


Piaget. Non pas Jean le psychologue-pédagogue, mais Charles, l’ouvrier horloger. C’est à ce militant, icône furtive du syndicalisme de l’immédiat post-1968 que s’est intéressé Théo Roumier. « Autogestion et révolution » est une courte brochure rassemblant une interview et une intervention publique du syndicaliste bisontin, toutes deux de l’automne 1974, précédées d’une généreuse et indispensable préface : généreuse parce qu’elle occupe plus de la moitié du livre ; indispensable parce qu’elle nous replonge dans cette décennie 1970, décennie tumultueuse marquée par l’insubordination ouvrière1.

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Charles Piaget est le fruit d’une quadruple histoire : celle du syndicalisme jurassien, dominé par l’ouvrier rural à l’esprit communautaire et chrétien2 ; celle de son entreprise, Lip, fleuron national de l’horlogerie française devenu flambeau de l’idéal autogestionnaire3 ; celle de la CFDT, passé du conservatisme chrétien au socialisme démocratique en vingt ans ; celle enfin du PSU, rassemblement hétéroclite de militants, enfant de la Guerre d’Algérie se rêvant comme alternative au stalinisme du PCF et au réformisme de la social-démocratie d’alors.
L’année 1974 est une année importante pour Piaget puisqu’une partie de l’extrême gauche veut faire de lui le « candidat unique des révolutionnaires » pour les Présidentielles qui s’annonce… et dont le décès prématuré de Georges Pompidou précipitera la tenue. Mais Piaget ne recueille ni l’assentiment de la CFDT, qui plaide pour un soutien dès le premier tour à François Mitterrand, ni celui du PSU, son propre parti, qui ne tardera d’ailleurs pas à imploser, certains comme Rocard rejoignant le PS, d’autres optant pour la Ligue communiste.

En cette automne 1974, Piaget développe ses conceptions du combat politique et syndical. Il écrit : « Le problème n’est pas d’offrir un débouché politique aux luttes sociales, il est de tout faire pour que les travailleurs découvrent collectivement ce débouché, qui est la prise du pouvoir par eux-mêmes en tant que classe ». Ainsi, pour ce Piaget aux accents libertaires, les masses en action doivent être le « moteur de la transformation sociale », et le socialisme autogestionnaire et émancipateur qu’il prône ne peut se construire graduellement que par l’action continue des classes populaires et la constitution de contre-pouvoirs dans les usines comme dans les quartiers. On mesure à ces mots tout ce qui le sépare de l’aile droite du parti, mais aussi d’une large partie de la gauche et de l’extrême-gauche qui ne voit dans les classes populaires qu’une masse d’électeurs destinés à être encadrée et dirigée par un parti censé l’incarner.

Cette promotion de « l’action autonome de la classe ouvrière » n’est pas une « coquetterie ouvriériste », nous dit Théo Roumier, mais une « question d’efficacité, de garantie et de cohérence avec le projet politique ». C’est en luttant et en se fédérant qu’on se construit une conscience politique sur laquelle peut ensuite se penser, se développer et se défendre un projet émancipateur, car comme le souligne Piaget, « un consensus populaire n’a rien à voir avec un compromis entre organisations ».

Notes
1. Xavier Vigna, L’insubordination ouvrière dans les années 68. Essai d’histoire politique des usines, PUR, 2007.
2. Piaget est père de six enfants dont s’occupe son épouse, Annie, militante elle-aussi qui lui rappelle à l’occasion que l’autogestion concerne également les tâches ménagères…
3. Donald Reid, L’Affaire LIP 1968-1981, Presses universitaires de Rennes, 2020.