Bertrand Joly, Aux origines du populisme. Histoire du Boulangisme (1886-1891), CNRS Editions, 2022.

Qui était vraiment le Général Boulanger ? Comment qualifier le Boulangisme ? Ce sont à ces deux questions que répond l’historien Bertrand Joly, auteur d’Aux origines du populisme. Histoire du Boulangisme (1886-1891), publié par CNRS Editions.

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Le livre impressionne avec ses 800 pages très denses et ses centaines de notes de lecture, mais cette « enquête magistrale et monumentale » se dévore aisément grâce à la belle plume de l’auteur qui nous plonge, non sans humour parfois, dans cette poignée d’années qui a vu la République être bousculée par un Général qui n’avait pour lui… pas grand-chose !, sinon un physique avantageux et une absence quasi-totale de sens moral.

Georges Boulanger était un arriviste. Ce Breton sorti de Saint-Cyr fit une carrière militaire remarquée, servant en Algérie, en Cochinchine mais aussi à Paris, où il participa sans état d’âme et avec zèle à la répression de la Commune de 1871. C’est en intégrant le ministère de la Guerre, puis en en prenant la tête en 1886 qu’il s’imagine un destin politique exceptionnel et qu’on l’en convainc. Pour beaucoup il est l’homme de la situation parce que celle-ci est catastrophique. Bertrand Joly nous dépeint alors un monde politique affligeant de médiocrité. Les personnalités d’exception sont rares par principe, mais en cette décennie 1880, elles le sont encore plus. Alors que la situation économique se tend et que le mouvement ouvrier s’affirme, à la chambre, les députés passent leur temps en querelles violentes et en croche-pieds, quand certains s’occupent de garnir leurs bas-de-laine… L’instabilité politique est telle qu’elle nourrit un fort sentiment antiparlementaire qu’alimente une presse aussi médiocre que vénale !

C’est sur ce terreau que Boulanger prospère, agrégeant autour de lui essentiellement des républicains radicaux motivés par une haine féroce des républicains modérés et des royalistes, les premiers lui apportant le discours politique capable de séduire l’électorat populaire, et les seconds l’argent nécessaire pour faire carrière ; et cet argent coule à flot, le pays étant inondé de propagande à la gloire du Général, l’homme providentiel, à poigne, que la France attend pour redorer son blason terni par la perte de l’Alsace et de la Lorraine quinze ans plus tôt. Tout le Boulangisme pourrait se résumer à cette ambiguïté : un mouvement qui se présente comme républicain, patriote et social, soutenu financièrement par des forces réactionnaires ! Un mouvement totalement hétéroclite où se côtoient des Juifs et des antisémites, des laïcs forcenés et des catholiques qui le sont tout autant, des militants dévoués et des arrivistes.
Boulanger ? Il ment comme il respire, promet tout et son contraire (officiellement une république renouvelée, officieusement, le retour de la monarchie) et s’investit très peu dans le mouvement qui le porte et lui offre un train de vie très appréciable. Il ne défend aucun programme, car son programme, c’est lui ; il a compris que « la popularité est une question de forme et non de fond », ce qui l’arrange car sa pensée est totalement indigente.
Sa nullité fait un temps sa force, car pour la classe politique républicaine, elle ne peut être que rédhibitoire ! Or, dans les urnes, Boulanger connaît de tels succès qu’il pousse les républicains à mettre enfin en sourdine leurs rivalités et à trouver le moyen d’exclure l’impudent Général du jeu politique. Si la République ne fut jamais « sérieusement en danger », Boulanger l’a ébranlée.

En 1891, il se suicide sur la tombe de sa compagne, son décès signant tout autant celui du boulangisme, mouvement à la fois « logique et irrationnel » nous dit Bertrand Joly, logique puisqu’il « porte une protestation largement fondée sur bien des points », irrationnel parce qu’il n’a rien à proposer sinon une posture et quelques formules vagues. Pour l’auteur, il fut au niveau mondial l’une des premières manifestations « structurées et revendiquées » du populisme.