Jean-Marie Pernot, Le syndicalisme d’après. Ce qui ne peut plus durer, Editions du Détour, 2022.

Avant d’être un spécialiste du syndicalisme hexagonal1, Jean-Marie Pernot fut dans les années 1970-1980 un responsable syndical CFDT. Il connaît donc le syndicalisme de l’intérieur. Avec son dernier livre Le syndicalisme d’après. Ce qui ne peut plus durer (Editions du Détour), il dresse un bilan peu enthousiasmant de la situation.

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Il y a douze ans, Jean-Marie Pernot nous offrait Syndicats : lendemains de crise ? dans lequel il s’inquiétait de la « perte générale d’efficacité du syndicalisme », de son incapacité à intégrer les problématiques des jeunes et des femmes dans un contexte de fragmentation du salariat, de la « désaffiliation sociale et politique de larges fractions des couches populaires », et de « l’incapacité des syndicats à trouver entre eux les accommodements suffisants pour proposer aux salariés quelques raisons et aussi le goût d’agir ensemble dans la diversité de leurs points de vue. »
Une décennie plus tard, ses inquiétudes sont toujours présentes. « Le syndicalisme n’inspire plus le respect qui va naturellement aux puissants » écrit-il, ajoutant que « la puissance des manifestations ne vaut pas manifestation de la puissance » ; car tel pourrait être le paradoxe du syndicalisme français : des organisations affaiblies mais capables de mettre dans les rues des centaines de milliers de personnes. Sauf que les gouvernements répondent alors que « ce n’est pas à la rue de gouverner »...

Jean-Marie Pernot rappelle deux choses : la première est l’importance primordiale de l’entreprise comme lieu d’expression de la critique sociale (même si le risque est grand de s’y enfermer) ; la seconde est qu’il faut toujours se méfier des « slogans guerriers vides de contenu tant ceux qui les mettent en avant sont éloignés de toute possibilité concrète d’en esquisser le moindre début de réalisation ».
Si le syndicalisme veut avoir un avenir, il devra « se frayer un chemin entre l’incantation et la résignation », entre les discours enflammés sans prise sur le réel (et qui cachent mal des pratiques souvent très consensuelles) et l’enlisement institutionnel. Il doit se livrer à une rude autocritique, interroger ses pratiques comme ses structures2 afin de devenir « un outil pratique capable de saisir les formes et les statuts de travail au coeur de la dynamique du salariat réellement existant. » C’est un travail de longue haleine mais indispensable.

Puisque le syndicalisme français est fragmenté et, ajouterais-je, que les travailleurs sont incapables de s’affranchir des logiques partisanes, le renouveau du syndicalisme dépend nous dit l’auteur des relations entre CGT et CFDT, ces deux confédérations demeurant centrales sur le terrain des luttes ou du dialogue social ; les autres, avec leurs qualités et leurs limites, étant incapables de peser ou d’incarner une alternative. Cette unité lui semble possible depuis que l’orientation gestionnaire, macrono-compatible3 de la CFDT commence à être questionnée en interne. Problème : pour Jean-Marie Pernot, cette évolution à ses yeux positive, peut être entravée si la CGT n’accompagne pas cette évolution en mettant en sourdine les critiques légitimes qu’elle peut porter sur la politique de son partenaire. Si en finir avec « la spirale du déclin » dépend de la capacité de l’appareil CFDT à rompre avec le social-libéralisme, on mesure à quel point ce pari est incertain...

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1 Il oeuvra longtemps à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES).
2 Quel échelon est le plus « pertinent » pour le syndicalisme d’aujourd’hui : l’échelon local, départemental, régional ? Le bassin d’emploi ? Quant aux fédérations, on sait que certaines sont de véritables Etats dans l’État, qui n’ont donc aucun intérêt à remettre en cause l’existant.
3 Plus de 40 % des syndiqués CFDT ont voté Macron aux premiers tours des deux dernières présidentielles.