Atelier des passages, Révolutionnaires. Récits pour une approche féministe de l’engagement, Editions du Commun, 2022.

Elles s’appellent Andréa, Camille, Marisa, Anne-Catherine, Maryvonne ou encore Herma. Elles sont d’ici ou d’ailleurs et sont au coeur de ''Révolutionnaires. Récits pour une approche féministe de l’engagement', livre publié par les Editions du Commun.
En 1970, le MLF avait mené une action durant laquelle il avait arboré deux banderoles. Sur la première, on pouvait lire : « Il y a plus inconnu que le soldat (inconnu), c’est sa femme » ; sur la seconde, ces mots : « Un homme sur deux est une femme », slogan qui mit la maréchaussée en colère puisqu’elle pensa que ces pétroleuses traitaient de pédés la moitié du sexe dit fort ! C’était le temps où les femmes en tant que femmes n’avaient pas d’histoire puisque celle-ci les maintenait en lisière.

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L’Atelier des passages rassemble des trentenaires et quadragénaires qui ont décidé de tendre leurs micros à des militantes des générations précédentes afin qu’elles partagent leurs expériences et leurs combats pour l’émancipation.
Elles s’appellent donc Andréa, Camille, Marisa, Anne-Catherine, Maryvonne ou encore Herma, et non, Rosa comme Luxemburg, Alexandra comme Kollontaï, Louise comme Michel ou Gisèle comme Halimi. Ce ne sont donc pas des militantes de premier plan, mais qu’importe : elles sont des « figures inspirantes » pour les nouvelles générations.

Elles sont donc six à avoir accepté de parler de leurs engagements politiques et sociaux. Certaines n’ont jamais cessé de militer depuis leur adolescence quand d’autres ont fait des pauses, traversé des déserts pendant longtemps avant de renouer avec l’activisme. L’une a connu la guérilla, la clandestinité et l’exil, puis le retour sur sa terre natale, retour difficile puisqu’elle fut incapable de renouer avec son militantisme initial ; une seconde a expérimenté la vie communautaire de l’autre côté du rideau de fer, avant cette « année de folie » que fut pour elle 1989, mais surtout ensuite dans une communauté du réseau Longo Maï ; une troisième a tâté en Suisse de la politique institutionnelle ; deux se sont investis dans le syndicalisme...

Trajectoires diverses donc, mais cependant deux choses les unissent. Elles ne tiennent pas au féminisme et à son histoire qui ne m’ont pas paru centrales dans leurs récits. Elles ne tiennent pas plus à une quelconque nostalgie pour un âge d’or militant ; je pense bien évidemment aux années 1970 où comme le dit Camille, « nous ne séparions pas la lutte et la vie, nous étions tout le temps en lutte ». Il y a tout d’abord le rejet du militantisme gauchiste et du modèle léniniste, le rejet du verbalisme révolutionnaire et du carcan doctrinaire, à laquelle elles préfèrent désormais l’expérimentation sociale, ce que l’on appelle les « alternatives », capables de toucher et d’interpeler les gens bien plus que nombre de discours intellectuels abscons. Comme le dit Anne-Catherine, « Nous avions été la génération du militantisme sacrificiel, préparant dans l’austérité des lendemains radieux ».

Il y a enfin la certitude que l’utopie est mobilisatrice : « Le plus grand problème dans la vie, dit Herma, c’est le manque de perspective, quand il n’y a soudainement plus rien de possible » ; c’est pourquoi « Il faut avoir des rêves » comme le dit Marisa, capables de faire naître des « alternatives qui ne soient pas récupérables » par le capitalisme, passé maître dans l’art d’ingérer la critique et de la reformuler à son profit..