Christophe Batardy, Le programme commun de la gauche 1972-1977. C’était le temps des programmes, Presses universitaires de Bordeaux, 2021.


C’est à un mythe que s’est attaqué l’historien Christophe Batardy. Avec son livre issu de sa thèse, Le programme commun de la gauche 1972-1977, il nous replonge dans ces tumultueuses années 1970 qui virent la gauche partir à l’assaut non du ciel, mais du pouvoir central.

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Dans la France bouleversée de l’après-1968, la possibilité de parvenir à un pouvoir qui lui échappe depuis le milieu des années 1950 n’est plus une vue de l’esprit pour la gauche parlementaire. L’unité n’est pas une option pour le Parti communiste et le jeune Parti socialiste mais une nécessité pour vaincre une droite gaulliste et libérale solidement implantée. S’unir mais comment ? Autour d’un programme préfigurant la France que l’on souhaite voir advenir. A partir des archives, nombreuses, et des souvenirs, pour beaucoup inédits, l’auteur nous entraîne au plus près du terrain, là où on discute du contenu précis de ce programme commun, qui touche à la fois au rôle de l’État dans le capitalisme contemporain, à la politique de défense, à la condition féminine, à la réforme de l’éducation nationale où à la question des libertés fondamentales sur laquelle le PC est attendu au tournant.

Construire un programme. L’affaire est d’importance, mais cette importance est à relativiser, car tous les acteurs ne sont pas sur la même longueur d’onde. Certes le programme commun adopté en 1972 est imprimé à des centaines de milliers d’exemplaires, mais chaque parti l’édite de son côté, avec une préface de son cru. Certes, la droite parlementaire comme l’extrême gauche ou les syndicats sont obligés de se positionner par rapport à cette dynamique unitaire qui occupe le champ politique et médiatique. Mais la question de l’hégémonie à gauche demeure et aucune force impliquée dans ce processus n’a envie de servir de marchepied de l’autre, et Christophe Batardy souligne à plusieurs reprises que chacun s’emploie à contenir son partenaire : le PC ne veut pas être concurrencé dans les usines par les cellules socialistes d’entreprise ; le PS ne veut pas de meetings communs car sa puissance militante ne peut rivaliser avec celle de son partenaire. Pour le Parti communiste, le Programme commun est un bréviaire qui engage, alors que pour le PS mitterrandien, il est davantage une source d’inspiration pour une gauche qui parviendrait au pouvoir.

Alors que depuis le printemps 1977, communistes, socialistes et radicaux sont engagés dans des discussions pour actualiser ledit programme, et préciser notamment l’ampleur des nationalisations attendue, le 23 septembre, tout s’écroule. Pourquoi diable en est-on arrivé à la rupture ? A cette question qui demeure sans réponse claire depuis près de 50 ans, l’auteur avance une hypothèse renvoyant à la jeunesse de Georges Marchais. L’affaire est connue et empoisonne le PC qui se présente volontiers comme le parti de la résistance : durant la guerre, disent certains, le premier secrétaire est parti volontairement en Allemagne travailler dans l’industrie de guerre nazie. Il n’est pas le déporté du travail et le réfractaire qu’il prétend être. Le médiatique Marchais a attaqué en diffamation ses calomniateurs et le procès doit s’ouvrir alors que les discussions sur l’actualisation du programme battent leur plein. C’est donc un homme fragilisé qui doit défendre son honneur mais aussi celui de son parti qui, élection après élection, n’a cessé de perdre de l’influence à gauche. Pourquoi défendre plus longtemps une stratégie mortifère pour le parti ? Hypothèse plausible si l’on se fie aux souvenirs des dirigeants communistes et aux archives d’alors, puisque la rupture n’était absolument pas une option envisagée par la direction communiste en ce mois de septembre 19771… C’est donc de sa propre initiative que Marchais aurait mis fin au dit programme…
Ce qui fut « un mythe avant d’être un texte » (Chevènement) et qui l’est demeuré puisque l’on s’en réfère encore un demi-siècle après n’aura vécu que cinq années.

Note 1. Le PC aurait accepté que le document final se contente de faire état des divergences sur la question des nationalisations.