Michael Pauron, Les ambassades de la Françafrique. L’héritage colonial de la diplomatie française, Lux, 2022.


Avec son livre « Les ambassades de la Françafrique », le journaliste Michael Pauron nous entraîne dans les lieux feutrés où la France, pays des droits de l’homme et des mille fromages, s’efforce de poursuivre sa mission civilisatrice sur le continent noir avec comme têtes de gondole Bolloré, Areva, la DGSE et l’Armée.
Vous me pardonnerez ces sarcasmes mais il faut en être armé pour ne pas déprimer à la lecture de tels ouvrages. Michael Pauron ne nous apprend rien sur le fond que nous ne sachions déjà. La France gaullienne et ses réseaux ont parfaitement géré les Indépendances, installant des homme-liges ou faisant en sorte que les indociles du moment cessent de l’être. Ce qu’elle parvînt à faire dans les années 1950, elle l’a accompli également au début des années 1990 quand une vague de démocratisation bouleversa l’Afrique de l’Ouest ; démocratisation qui ne fut en fait qu’un processus de décompression autoritaire qui vît les élites d’alors, lâcher du lest et ouvrir l'accès au pouvoir et à ses ressources à d'anciens dominés.

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Tout cela est connu et documenté grâce à des chercheurs et militants africains (comme Mongo Beti ou Achille Mbembé), français (comme François Verschave ou Jean-François Bayart), sans oublier le travail d’associations comme Survie ou de revues comme Politique africaine. Tout cela est connu mais laisse indifférent ou impuissant : on sait, on dénonce mais on laisse faire1.
On laisse faire les ambassadeurs aux ordres multiplier les ingérences afin que Paris ne perde jamais la main sur la destinée de son pré-carré qui prend de plus en plus l’allure d’un Fort Alamo menacé à la fois par des populations excédées, le djihadisme et les offensives économico-politiques des puissances russes et chinoises.

« La grandeur et la splendeur de nos emprises diplomatiques répondent à des considérations stratégiques » écrit Michael Pauron. La France, phare de la civilisation, a besoin de lumière. Une grandeur et une splendeur qui justifient bien quelques accommodements avec le droit du travail. On travaille beaucoup dans les ambassades quand on est un salarié du cru. L’auteur souligne ces entorses au droit qui concernent autant les conditions de travail que les salaires versés, voire même le travail non déclaré, car le temps du boy, corvéable à merci n’est pas révolu... Dans ce monde où tout semble permis, rien d’étonnant à ce que l’on sombre parfois dans le scabreux ; mais parler de ces affaires de viol et de pédophilie, n’est-ce pas donner des armes aux ennemis de la France ?
Business et business. La privatisation des services de visas répond à trois objectifs : générer des revenus (car le visa a un coût pour le demandeur), s’épargner des dépenses de personnel et, accessoirement faire disparaître les longues files d’attente devant les ambassades. Ajoutons-en un quatrième : limiter les migrations officielles. Qu’importe si les prestataires ne sont pas irréprochables dans leur gestion des données personnelles ou si la corruption y trouve là un terrain sur lequel s’épanouir.

Arrogance, impunité, paternalisme… Il n’est pas sûr que la dissolution récente du corps diplomatique change fondamentalement les choses, puisque pour beaucoup de diplomates, « l’Afrique c’est l’Afrique », un territoire à part, qui échappe à l’entendement. Michael Pauron a bien raison de demander en conclusion si la diplomatie française est « en mesure de penser contre elle-même ».

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1 Lire l’excellent entretien entre Jean-François Bayart et Etienne Smith sur l’influence (nulle) des consultants sur la définition de la politique étrangère de la France. Cf. Politique africaine n°166 (France-Rwanda : rapports, scènes et controverses françaises).