Roland Pfefferkorn, Laïcité : une aspiration émancipatrice dévoyée, Syllepse, 2022.

En moins de 100 pages, avec « Laïcité : une aspiration émancipatrice dévoyée », le sociologue Roland Pfefferkorn, fait entendre sa crainte de voir un tel combat tourner le dos « aux principes de liberté et d’égalité et à la séparation des Eglises et de l’Etat ».

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Cette brochure s’inscrit dans l’excellente collection Coup pour coup des éditions Syllepse dont le format est aussi carré qu’un pavé. Il s’agit d’être concis, synthétique et d’aller à l’essentiel. Roland Pfefferkorn, spécialiste des inégalités sociales, s’est prêté au jeu en revisitant deux siècles de combats pour faire de la laïcité le socle sur lequel bâtir une société tolérante, respectueuse.

Il rappelle tout d’abord ce que la laïcité doit au conflit interne au christianisme, la réforme protestante ayant « rendu possible l’affirmation de la liberté de conscience en matière religieuse », et bien sûr à la philosophie des Lumières qui, bien que non anti-religieuse, remet en question la prétention des religions à régenter la vie des peuples et des Etats.
De la Révolution française de 1789 à l’adoption de la loi de séparation des églises et de l’Etat de 1905, la laïcité sera au cœur de bien des combats politiques et sociaux. Avec la fondation de la troisième République, nous entrons dans une nouvelle phase durant laquelle l’Etat républicain s’efforce de tenir à distance l’église catholique : le contrôle des âmes est au centre des préoccupations de l’un et de l’autre.
Mais toutes les âmes ne sont pas logés à la même enseigne. L’auteur rappelle que l’émancipation humaine promue par les républicains de gouvernement ne se préoccupe guère des femmes, privées notamment du droit de vote, des peuples colonisés, trop immatures pour se passer d’une bienfaisante tutelle, ou encore des Alsaciens et Mosellans puisque le régime concordataire adopté en 1801 ne fut pas remis en question par la loi de 1905, une loi de compromis qui voulait mettre l’Etat et non plus l’église au centre du village.

La question laïque fut et demeure en grande partie une question scolaire. Pendant longtemps, la gauche a flétri cette « catho-laïcité » qu’illustre le financement de l’enseignement privé par des fonds publics. Aujourd’hui, ce combat ne fait plus recette, car depuis 1989 et l’affaire dite de Creil, c’est la question du foulard, de sa présence en milieu scolaire, qui déchaîne les passions.
Roland Pfefferkorn rappelle judicieusement que le port du foulard dans l’enceinte scolaire n’était pas contraire au principe de la laïcité, et que c’est l’« emballement politico-médiatique » autour de cette affaire anodine et en passe d’être réglée par le dialogue entre les parents et l’institution1 qui a permis que quinze ans plus tard une loi bannisse tout signe religieux ostensible de l’école. L’auteur rappelle que certains, au mépris de l’histoire, ont considéré cette loi comme fidèle à l’esprit de 1905 alors qu’elle était le symbole d’un « dévoiement identitaire et autoritaire de la laïcité historique ». N’est-il pas significatif de voir des forces politiques conservatrices, réactionnaires se faire soudainement les défenseurs acharnés d’une laïcité qualifiée de ferment de l’identité française ? Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que cette rhétorique a fait de la loi de 2004 l’« arme d’une guerre culturelle » contre le « musulman », travesti pour les besoins de la cause en islamiste à coup sûr belliqueux. Pendant ce temps, depuis 2007, tous les présidents de la république se sont offert au moins un pèlerinage au Vatican. Etonnant, non ?

Note 1 : Un accord avait été trouvé très rapidement avec les parents, les jeunes filles gardant leur foulard dans la cour, mais pas en classe.