Nicolas Delalande et Blaise Truong-Loï, Histoire politique du 19e siècle, Presses de SciencesPo, 2021.

Avec leur « Histoire politique du 19e siècle », publiée par les Presses de SciencesPo, les historiens Nicolas Delalande et Blaise Truong-Loï nous invitent à parcourir avec un œil nouveau ces décennies qui changèrent le monde. Je dois l’avouer, pendant trop longtemps, mon intérêt pour le 19e siècle s’est limité à l’émergence du socialisme et à la Commune de Paris. C’est la lecture du formidable livre de Jarrige et Fureix, La modernité désenchantée1 qui m’a poussé à m’intéresser davantage à cette période de bouleversements profonds des sociétés.

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Le travail de Delalande et Truong-Loï est foisonnant. En 400 pages très denses et douze chapitres, les auteurs nous parlent de l’Europe, ce « laboratoire politique », des Empires aux destins contrastés, bousculés par des mouvements sécessionnistes désireux de faire d’un peuple une nation, des contradictions du libéralisme plaidant pour l’égalité tout en tenant à distance les dominés, notamment ce prolétariat, produit par l’industrialisation et appelé à transformer radicalement des sociétés massivement rurales.

L’ouvrage n’est pas francocentré. Quand les auteurs s’attardent sur quelques moments forts et significatifs de l’histoire nationale comme l’Epopée napoléonienne, les révolutions de 1830 et 1848, l’expansion coloniale, c’est pour les penser dans un ensemble plus vaste ; et c’est peut-être pour cela qu’ils consacrent peu de lignes à la Commune de Paris. Certes l’Europe occidentale et centrale est au coeur du livre mais les auteurs n’oublient pas pour autant la Chine et le Japon, la Russie impériale et l’Empire ottoman. Seules l’Océanie, l’Asie du sud-Est et l’Amérique latine (après les Indépendances) me laissent avoir été délaissées.
Delalande et Truong-Loï nous invitent ainsi « à relire de manière plus circonstanciée la prétention des Européens à incarner seuls la modernité ». Modernité et civilisation ! N’est-ce pas en leurs noms que des puissances européennes plantèrent leurs drapeaux ça-et-là sur le globe ? Cupidité et Morale ont toujours fait bon ménage.

Le 19e siècle fut un siècle d’affirmations : peuples de sujets se refusant à le demeurer et se battant pour devenir citoyens ; esclaves secouant le joug au nom d’une égalité dont on entend les priver ; prolétariats explorant les chemins de l’émancipation par l’émeute, la grève ou la création d’outils solidaires (coopératives, syndicats, sociétés de secours mutuels...) ; femmes se rêvant citoyennes à part entière ; élites marginalisées mobilisant les peuples au nom d’une indépendance nationale à arracher ; capitalistes affirmant leur puissance et s’épanouissant à l’ombre des Etats sur toute la surface du globe. Mais aussi Etats-nations et Empires repensant leur domination en développant l’administration, l’éducation, la conscription ; temps de réformes profondes donc, menés de façon autoritaire ou avec pragmatisme, qui transforment des populations en nations et en masses.

Les auteurs nous offrent ainsi une plongée passionnante dans un siècle tumultueux, né au temps des révolutions politiques et s’éteignant à la veille de la première conflagration mondiale. Plongée qui souligne également la vigueur de la recherche en sciences sociales et l’intérêt d’appréhender cette période historique avec des lunettes moins conventionnelles.

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1 La modernité désenchantée. Relire l'histoire du XIXe siècle français, La Découverte, 2015.