Daniel Benamouzig et Joan Cortinas Munoz, Des lobbys au menu. Les entreprises agro-alimentaires contre la santé publique, Raisons d’agir, 2022.

C’est à une plongée fort instructive à laquelle nous invitent Daniel Benamouzig et Joan Cortinas Munoz avec leur livre intitulé Des lobbys au menu. Les entreprises agro-alimentaires contre la santé publique, publié par les éditions Raisons d’agir. Plongée dans le monde du lobbying aux multiples facettes dont on ne mesure pas toujours le pouvoir de nuisance et surtout la capacité à se renouveler en fonction des enjeux du jour.


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L’affaire est connue depuis longtemps : les firmes agro-industrielles ont développé des tactiques redoutables, plus subtiles que brutales, pour freiner les volontés réformatrices portées par la puissance publique et défendues par quelques associations de consommateurs. A la fin des années 1970, il y eut la célèbre campagne contre le veau aux hormones qui opposa firmes, agriculteurs, éleveurs et gauche paysanne. Depuis, beaucoup d’associations et de nutritionnistes ciblent les fabricants de plats cuisinés ou bien les vendeurs de soda, accusés de favoriser les comportements addictifs (sucre) et de nuire à l’état sanitaire de la population, notamment de la jeunesse (obésité).
L’affaire est connue, certes, mais il était plus qu’utile de mener « une enquête d’ensemble sur les interventions mises en œuvre par l’industrie agro-alimentaire. » Benamouzig et Cortinas Munoz ont donc retroussé leurs manches et mis au jour les mille-et-un réseaux mis en place par les multinationales de l’alimentation industrielle. Ces dernières ont bien compris qu’elles devaient « contrôler les conditions de production et de diffusion de l’information » plutôt que de s’en tenir à une posture défensive.
Il leur faut donc « produire des connaissances » en se trouvant des alliés dans le monde scientifique, d’où la multiplication des think tanks, ceci afin de « fabriquer du doute », donc de mettre en question les arguments de leurs adversaires ; et si cela ne suffit pas, les célèbres procédures « bâillon » sont là pour intimider l’impudent.
Il leur faut évidemment poursuivre leur travail en direction des élus, leur faire comprendre que les réglementations trop exigeantes sont nuisibles pour l’emploi. Cela passe par le soutien à des clubs très courus par les parlementaires comme le Club de la table française, le Club des amis du Cochon ou, mon préféré, le club Vive le foie gras, mais aussi par la multiplication des colloques, réunions et autres séminaires, lieux où l’on peut faire des rencontres opportunes, où se constituent en somme des réseaux de connaissances et parfois de connivences ; il n’est ainsi pas rare de voir des députés proposés des amendements dont la rédaction doit plus au lobby agro-alimentaire qu’à leur maîtrise de la question. Et n’oublions pas les petits cadeaux, les invitations à Cannes ou à Roland-Garros, tout comme l’implication de certaines firmes dans l’organisation d’événements en lien avec des ONG. La philanthropie, rappelons-le, est une arme puissante capable de transformer Bill Gates en Saint Thomas.

« Les menaces et les incitations distribuées par l’industrie aux scientifiques, aux experts et aux décideurs, nous disent les auteurs, constituent au fil du temps un champ organisationnel capable de reconfigurer l’espace institutionnel dans lequel les politiques nutritionnelles sont élaborées ». Contre cela, ils plaident pour en finir avec l’opacité et donc « rendre plus lisible le travail politique de l’industrie (…) premier pas vers une réflexion collective sur les conditions de possibilité d’une démocratie sanitaire étendue au secteur agro-alimentaire. » Vaste ambition...