Ugo Palheta (coordination), Extrême-droite : la résistible ascension, Editions Amsterdam, 2024.
Avec leur livre Extrême-droite : la résistible ascension, une vingtaine de chercheurs invités par l’institut La Boétie nous aident à mieux comprendre pourquoi l’extrême-droite et ses idées sont parvenues à s’imposer sur la scène politique française, faisant du Rassemblement national la principale force politique de l’hexagone.
Sur la droitisation de la société française, les travaux universitaires de qualité ne manquent pas, qu’ils aient pour angles d’analyse les populations des zones rurales1, le monde médiatique, la dénonciation du parasitisme social2, l’évolution des classes populaires3, le néolibéralisme4 ou l’obsession du wokisme5. Le présent ouvrage, préfacé par l’historien Johann Chapoutot, apporte sa pierre à l’édifice en quatorze chapitres courts, synthétiques et instructifs. Tout d’abord, les auteurs s’intéressent à l’électorat du RN. Ecartant le poncif (rassurant) sur le prolétaire inculte jadis électeur communiste ayant basculé à l’extrême droite (car c’est bien connu : les extrêmes se rejoignent toujours !), les auteurs soulignent que le RN est parvenu à capter à la fois « les personnes à faibles diplômes (et) les groupes les mieux dotés économiquement des classes populaires », ainsi que certaines classes moyennes ; des personnes qui ont peur du déclassement social et qui fustigent les fainéants, surtout basanés, et les profiteurs au nom de la sacro-sainte « valeur travail ». Terrible paradoxe : le RN « se nourrit du mécontentement suscité par des politiques » avec lesquelles il n’entend pas rompre, car il n’aura échappé à personne qu’il ne faut pas compter sur lui pour en finir avec le capitalisme néolibéral !
Ensuite, les auteurs s’attachent aux nouveaux terrains d’intervention du RN. Le but recherché : « mettre au pas les individus et la société, fracturer le peuple », en stigmatisant les « immigrés » évidemment assistés, les « musulmans » évidemment séparatistes, sans oublier les féministes hystériques, les transgenres assurément pervers, les wokistes, les intellectuels islamo-gauchistes ou les écologistes qui piétinent les terroirs et veulent nous ramener à l’âge de pierre. Pour mener cette guerre culturelle, l’extrême droite profite de l’évolution du paysage médiatique qui privilégie le fait divers « qui fait diversion » (Bourdieu), l’expertise-minute à base de sondages, le buzz et le talk-show permanent où l’important est de faire du bruit ; des médias sur lesquels des milliardaires réactionnaires comme Bolloré ont mis la main, et dont les sujets de prédilection sont les trois I : Islam, immigration, insécurité.
Face à cette alliance entre l’extrême-centre macronien et l’extrême-droite, la députée Clémence Guetté appelle à mobiliser les classes populaires urbaines et rurales, à fédérer des forces mises au rebut par la gauche de gouvernement6, afin de « rétablir un clivage vertical : le peuple contre l’oligarchie, les travailleurs contre les patrons, les consommateurs contre les monopoles ». Face à l’extrême-droite, il faut opposer un « contre-récit hégémonique », capables de capter l’attention des classes populaires et lui donner des raisons d’envisager un autre monde possible. Vaste programme...
Notes
1. Benoît Coquard (Ceux qui restent, 2022) et Violaine Girard (Le vote FN au village, 2017)
2. Michel Feher (Producteurs et parasites, 2024).
3. Cartier, Coutant, Masclet, Siblot (La France des "petits-moyens" - Enquête sur la banlieue pavillonnaire, 2008).
4. Dardot, Guéguen, Laval, Sauvêtre (Le choix de la guerre civile. Une autre histoire du néolibéralisme, 2021).
5. Francis Dupuis-Déri (Panique à l'université. Rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires, 2022).