Boris Souvarine, Cauchemar en URSS. Les procès de Moscou 1936-1938, Smolny…, 2021.


Avec « Cauchemar en URSS », Boris Souvarine nous plonge dans la Russie stalinienne des années 1930, celle des procès invraisemblables où l’on apprenait, médusés, que les révolutionnaires d’hier n’étaient en réalité que des traîtres de longue date.

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Mais tout d’abord, rappelons qui était Boris Souvarine. C’était un repenti. En 1920, ce jeune Juif ukrainien fait partie des premiers convertis au bolchevisme et l’un des acteurs majeurs de la transformation du Parti socialiste en Parti communiste lors du congrès de Tours de 1920. L’idylle est de courte durée. Les divergences fracturent rapidement l’Internationale communiste et les sections nationales. En juillet 1924, il est exclu du parti communiste et n’aura de cesse alors de dénoncer l’autoritarisme régnant à Moscou, tout en se réclamant toujours du communisme, mais d’un communisme non dévoyé par le bolchevisme, car il lui apparût assez vite que le stalinisme n’aurait pu se déployer avec autant de force sans l’héritage du léninisme. De son œuvre foisonnante, certains retiendront son chef d’oeuvre, une biographie de Staline qui demeure incontournable près de 90 ans après sa publication, mais ce serait alors oublier qu’il fut un commentateur assidu de l’évolution du monde soviétique et du monde communiste, notamment dans les colonnes du Figaro, car c’est dans les pages du très droitier quotidien national qu’il livre ses réflexions sur la situation à Moscou.

Le présent volume comprend une brochure initialement publiée en 1937 et qui a donné son nom au livre ainsi qu’une vingtaine d’articles, tentatives de décryptage de l’actualité soviétique, à l’heure où plus rien n’a de sens, hormis dans la presse communiste française qui se fait le relais docile de la propagande soviétique. Ainsi, l’Union soviétique, ce paradis socialiste, serait en fait menacée de l’intérieur et au plus haut niveau du parti et de l’Etat par des comploteurs travaillant pour l’Allemagne nazie ou pour les trotskystes, ce qui revient au même puisque ceux-ci, et Trotsky le premier, sont en cheville avec la Gestapo ! Souvarine s’en amuse : « Plus on fusille de trotskistes et plus ils prolifèrent (…). Il devient clair en tout cas que, dans l’URSS d’aujourd’hui, qui veut noyer son chien l’accuse de trotskysme ».
Et les chiens sont nombreux : vieux bolcheviks qui prirent le Palais d’hiver en 1917, diplomates, dirigeants du parti, responsables de la police politique, hauts-gradés de l’armée, tous sont des trotskystes, des agents nazis ou des tsaristes de coeur ; et la plupart avouent des crimes imaginaires, grotesques ! Pour Souvarine, il ne fait aucun doute que « Staline veut rester l’unique survivant des compagnons d’armes de Lénine, et n’avoir autour de lui que des médiocres incapables de regarder le soleil en face. Car Staline exige qu’on le compare au soleil. La parole est aux psychiatres. » Des psychiatres pour expliquer la paranoïa du maître du Kremlin mais aussi l’incapacité du militant communiste et de l’intellectuel à ouvrir les yeux sur la réalité soviétique. Car avec ces procès à répétition qui envoient à la mort tant de personnes, écrit Souvarine, « Staline fait savoir au monde entier que la République des Soviets, pendant quelque vingt années, a été gouvernée, si l’on veut bien l’en croire, par une extraordinaire collection de traîtres, d’espions et d’assassins. » Stupéfiant aveu !

Relire Souvarine aujourd’hui présente un double intérêt. Le premier est de rappeler que dans le camp des révolutionnaires, rares furent les voix qui s’élevèrent avec fermeté contre le communisme de caserne dans l’entre-deux-guerres. Le second, et qui n’est pas le moins important, est que cela doit nous amener à conserver en toutes circonstances notre esprit critique...