Anne-Catherine Schmidt-Trimborn, La ligue d’Action française (1905-1936). Organisations, lieux et pratiques militantes, Peter Lang, 2022.

Durant le premier tiers du 20e siècle, l’Action française incarna l’extrême-droite. Or on ne la connaît bien souvent qu’à travers la figure de son leader Charles Maurras. Grâce à Anne-Catherine Schmidt-Trimborn, autrice de La ligue d’Action française (1905-1936). Organisation, lieux et pratiques militantes, on en sait dorénavant davantage.

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Si Charles Maurras et Maurice Barrès partageaient le même bain nationaliste, catholique, antisémite, xénophobe et réactionnaire, ils se distinguaient sur un point fondamental : Barrès est resté un républicain autoritaire tandis que Maurras s’est fait le chantre d’un monarchisme renouvelé ou plutôt régénéré par une action militante en direction des classes populaires. C’est cette orientation qui l’emporta et permit la transformation de la Revue d’Action française en organisation politique en 1905, période de fortes turbulences politiques et sociales.

« Chacun travaille comme il l’entend dans sa région, sa province, sa ville ou son village… sans mot d’ordre venu de nulle part », tel est le principe affiché par la direction de l’AF. Mais quand on abandonne le terrain des principes pour celui de l’action concrète comme l’a fait l’autrice, force est de constater que Maurras n’attendait qu’une chose de ses troupes : une obéissance absolue, notamment des maigres élites qui émergeaient de leur sein. Maurras d’ailleurs méprisaient profondément ces seconds couteaux. Hors du cercle très étroit et très parisien, tout n’était que médiocrité.
Dans un premier et court temps, le regard de l’AF se tourna vers le monde ouvrier turbulent aux prises avec la république des notables et le socialisme parlementaire ; la récolte fut bien maigre. Dans les années 1920, elle trouva des appuis dans le monde paysan et celui des industriels effrayés par le bolchevisme. Dans les années 1930, elle partit à la conquête des élites, en place ou à venir, capables de guider le peuple. Mais tout au long de ces trente années d’existence, l’AF resta une structure dominée par des aristocrates, s’appuyant sur les professions libérales, petites-bourgeoises. Son implantation fut inégale, dépendant évidemment des relais dont elle pouvait disposer localement : patronat dans le Nord, aristocratie foncière dans l’Ouest et le sud-ouest ; implantation qui se heurtait également aux résistances qu’elle pouvait y rencontrer, y compris au sein du bloc réactionnaire, très fragmenté entre vieille droite traditionaliste, fascistes et monarchistes. Ce sera le cas notamment en 1926 quand le Vatican condamne l’Action française, provoquant une saignée dans les effectifs militants.

Des effectifs militants qu’il faut mobiliser en permanence pour maintenir vivante la flamme. Mobiliser pour occuper le terrain médiatique en faisant des coups, au sens propre comme au figuré, ou en se lançant dans la bataille électorale en 1919, ce qui signe son intégration dans le champ politique de la Troisième République. Mobiliser pour occuper la rue en mettant en place une troupe de choc, les Camelots du Roi, capables de faire le coup de poing avec les « rouges ». Mais pour les plus radicaux, l’Action française en resta aux mots et fut incapable d’imaginer, d’organiser »un véritable projet de renversement de la République » comme en février 1934. Cela fait écrire à l’autrice qu’il y eut un « décalage de plus en plus remarquable au fil des années entre les ambitions des dirigeants et les aspirations des militants et c’est ce qui explique l’incapacité de l’Action française à se transformer en parti politique au sens propre du terme. »