Howard Zinn, Contre le racisme. Essais sur l’émancipation des Afro-Américains, Lux, 2022.


En 2010, Howard Zinn nous quittait sur le chemin le menant à une manifestation. A 87 ans, l’historien américain, auteur d’une célèbre Histoire populaire des Etats-Unis (Agone), continuait son combat pour l’émancipation. Combattre le racisme. Essais sur l’émancipation des Afro-Américains rassemble une douzaine d’articles qu’il consacra au sujet durant sa longue carrière d’activiste ; articles écrits pour l’essentiel entre 1959 et les années 1970 alors qu’il était l’un des acteurs de ces combats politiques.
Howard Zinn a toujours mis en avant son « double vécu d’écrivain et de militant, (son) rôle d’intellectuel engagé qui met son savoir au service du changement social » et lorsqu’il a rédigé sa passionnante autobiographie, il lui avait donné pour titre L’impossible neutralité (Agone).

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Que veut dire être neutre dans l’Amérique de la ségrégation ? Comment ne pas prendre parti et comment ne pas prendre sa part dans le combat contre l’injustice ? L’historien qu’il était, en poste dans une université noire du sud des Etats-Unis, ne s’est pas posé la question : « Je ne voyais pas comment j’aurais pu enseigner les notions de liberté et de démocratie en classe tout en restant muet sur leur absence à l’extérieur de la classe ».
Le mouvement noir américain doit beaucoup à des femmes, souvent jeunes et étudiantes, qui bravèrent les interdits, revendiquant le droit d’être libres au pays de la liberté. Zinn nous fait partager ces combats à la façon d’un reporter engagé, soulignant l’importance des actions non-violentes pour gagner à soi cette frange de la population blanche pour laquelle la ségrégation, et donc son maintien, n’est pas la première des préoccupations. Il résume cette approche par ces mots : « L’être humain, écrit-il, peut cerner posément un problème, jauger les forces qui s’opposent à ce qu’on le règle, puis tenter d’éviter habilement les obstacles ou, si l’équilibre des pouvoirs le permet, de les renverser ».

Il montre également que les luttes des années 1960 ont bousculé le jeu politique en mettant face à leur responsabilité aussi bien la bourgeoisie noire que l’État fédéral. Une bourgeoisie noire à deux têtes : celle qui ne fait pas de la fin de la ségrégation un objectif central et fustige ces jeunes Noirs qui, au péril de leur vie, ont obtenu la déségrégation des bibliothèques, des cinémas, des fast-food ; celle qui est investie dans la lutte mais est dépassée par ces mouvements d’ampleur parce que les tactiques employées ne font pas partie de son répertoire d’actions. Un Etat fédéral qui laisse faire en se retranchant derrière une certaine lecture des textes juridiques pour justifier son inaction qui confine bien souvent au soutien tacite au consensus. Mais Howard Zinn s’en prend également aux « marxistes de salon, ces mandarins de la théorie révolutionnaire » qu’on ne voit jamais dans les luttes sociales, à ces intellectuels dits radicaux, éternels donneurs de leçons, pour lesquels les luttes ne sont pas assez ceci et toujours trop cela, mais aussi aux intellectuels bien moins radicaux qui ont toujours critiqué les mouvements abolitionnistes du 19e siècle qui, par leur radicalité, aurait retardé une évolution positive de la condition noire.

Howard Zinn a la foi. Non en Dieu, mais en la capacité de chacun à s’indigner et à se battre : Zinn était un défenseur de l’action directe, ayant construit sa pensée en empruntant à Marx sa critique du capitalisme et son humanisme, à l’anarchisme, l’action directe et le « rejet de toutes formes d’autorité qui s’imposeraient par intimidation », et à Henry David Thoreau, la non-violence et la désobéissance civile. Un réformiste qui avait foi dans la capacité des individus en lutte à penser de nouveau le monde et à agir sur lui.