Maud Chirio (sous la direction de), Mon cher Lula. Lettres à un président en détention, Anamosa, 2022.


Avec Mon cher Lula. Lettres à un président en détention, livre reprenant une poignée parmi les 25000 courriers reçus par Lula en prison, l’historienne Maud Chirio nous permet d’appréhender par le bas les mutations de la société brésilienne.

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Corruption. C’est au nom de la lutte contre ce fléau que des corrompus, après avoir écarté du pouvoir la présidente Dilma Roussef, ont jeté en prison l’ancien président brésilien, et permis ainsi le retour au pouvoir de la droite puis de Jaïr Bolsonaro. Corrompus, oui, car trouver un politicien qui ne le soit pas relève de l’exploit dans cet immense territoire sud-américain où les zones de non-droit sont nombreuses. Pour l’establishment conservateur, liquider politiquement Lula était une façon de clore une séquence douloureuse qui vit un syndicaliste issu des classes populaires s’emparer du pouvoir ; et c’était une nécessité pour éviter que la catastrophe ne se renouvelle. Catastrophe relative car Lula, de culture étatiste et développementaliste, n’a jamais menacé le capitalisme brésilien, bien au contraire, nouant des alliances fructueuses avec les secteurs économiques tournés vers l’exportation ; en revanche, et c’est ce qui le distingue des autres, il s’est évertué à faire profiter les classes populaires du boom économique que vivait le pays1.

Dans le livre dirigé par Maud Chirio, les critiques portées sur la politique de Lula sont quasiment absentes : un prêtre reproche à Lula d’avoir favorisé l’émergence d’une petite classe moyenne qui a fini par « reproduire le discours de l’oppresseur », des « ingrats qui lui ont tourné le dos » , tandis qu’une militante LGBTQi+ écrit : « La persécution dont vous souffrez prend en réalité sa source dans la haine contre ce qui a bien marché dans votre gouvernement et non contre ce qui a mal marché (respectivement, les politiques d’inclusion et les politiques néolibérales et conservatrices) ». Dans le reste des écrits sélectionnées, les maîtres-mots sont amour, respect et fierté.
Amour parce que Lula est l’un d’eux et fait partie de la famille, celle qui connaît le ventre creux et les humiliations. Un pauvre, fils de pauvres, que l’on tutoie et à qui l’on peut s’identifier parce qu’il a connu la faim dont le souvenir s’inscrit dans les corps et les têtes. Un pauvre dont la politique sociale a permis à des millions de Brésiliens de sortir de la précarité grâce à la bolsa familia mais aussi à faire des études. « Ton gouvernement, c’était pour les pauvres » écrit un septuagénaire du Nordeste, cette région de toutes les misères.
Respect parce qu’à leurs yeux Lula n’a pas trahi. Le pouvoir n’a pas transformé le syndicaliste. Il est resté intègre, il n’a pas été avalé par la machine démocratique bourgeoise, il a gardé en lui la mémoire des privations et a permis à des millions de compatriotes de « construire des rêves où la faim n’existe pas. » Fierté. « Tu m’as donné de la dignité » écrit cette infirmière ; « Grâce à toi, ajoute une enseignante, les universités ont des Noirs, des quilombolas2, des Indiens, des pauvres, des transsexuels, des gays, des lesbiennes, des réfugiés. Toutes sortes de personnes, toutes injustement traitées dans ce pays, commencent à avoir confiance en leur pouvoir. » ; « Nos ennemis veulent neutraliser la force de ta présence dans nos vies » ajoute un groupe de femmes. Car « nous sommes des millions de Lula » et « Lula est une idée », bien plus donc qu’un être de chair et de sang, bien plus qu’un homme politique. Le rapport au politique, ici et ailleurs, n’est jamais dénué d’idolâtrie.



En octobre prochain, Lula sera normalement candidat à l’élection présidentielle, afin de chasser Bolsonaro du pouvoir et d’incarner de nouveau l’espoir pour les classes populaires. Il aura 77 ans...


Notes
1. J’ai consacré une chronique en novembre 2010 au « miracle brésilien ».
2. Autrement dit des personnes issues de villages constitués jadis par des esclaves en fuite.