"Quitte à choisir…"
Par Patsy le mardi, novembre 11 2014, 19:45 - Actualité internationale - Lien permanent
Chronique (novembre 2014)
A ma gauche, un oligarque au regard plutôt tourné vers l'Ouest, autrement dit l'Occident ; à ma droite, un oligarque au regard plutôt tourné vers le Nord, autrement dit vers Moscou. Telle pourrait être somme toute un résumé assez simple de la situation passée et présente de l'Ukraine, le pays où jadis existât une révolution orange.
Pauvre Ukraine. Depuis le début des années 1990, son calvaire continue. La nomenklatura soviétique s'est muée en caste néolibérale affairiste, et une terre sous le joug du capitalisme d’État s'est transformée en Far west pour kleptomanes avertis, autrement dit issu du sérail.
Rappelez-vous le trio comique des années 1990-2000 : Yanukovitch, Iouchtchenko, Timochenko. A se battre comme des chiffonniers pour le pouvoir, à s'allier, se quereller, se trahir, s'embrasser et à faire des affaires toujours. Car la constance est bien là : dans la capacité à tirer le maximum de sa position au coeur du jeu politicien. Oligarques ou porte-flingues des oligarques, manipulant la rue, les médias, la détresse sociale à grands coups de déclarations nationalistes fétides. Il fallait bien qu'un jour cela explose vraiment…
Certains voudraient que l'on choisisse son camps. Celui des pro-occidentaux qui, malgré leurs défauts, formeraient un rempart devant l'impérialisme arrogant grand-russe. Celui des pro-russes qui, malgré leurs défauts, formeraient un rempart devant l'impérialisme arrogant des Etats-Unis, autrement dit de l'OTAN. Je pourrais répondre comme Arlette Laguiller en son temps, que mon camps reste celui des travailleurs. Mais lesquels ? Les mineurs russophiles du Donbass qui servent de masse de manœuvre aux pro-russes ? Ou les travailleurs de l'Ouest qui n'ont guère envie de retomber sous la férule moscovite ? Car la grande force du nationalisme réside bien dans sa capacité à abolir la fragmentation sociale, ou plutôt à absorber la différenciation sociale, à l'englober dans un « grand Tout » national. Il ne sert à rien de choisir son camp car l'oligarque est versatile : il n'a pas la morale comme boussole mais son intérêt personnel. On ne peut comprendre la situation actuelle en Ukraine sans voir dans les oscillations des acteurs politiques leur volonté de s'affranchir de leurs tutelles respectives. Ce ne sont pas de simples marionnettes, mais des ambitieux qui jouent leur partition et jouent de leur satellisation.
Et que dire des élections tunisiennes et de la victoire de la coalition Nida Tounes devant Ennahda ? Nida Tounes n'est qu'un assemblage hétéroclite de politiciens véreux d'hier et d'ambitieux d'aujourd'hui qui ne sont d'accord que sur deux choses : Ennahda a beau être libéral, son rigorisme religieux est un frein au développement économique national ; nous saurons mieux gérés qu'Ennahda la place de la Tunisie dans la division internationale du travail (tourisme low-cost, activités de services low-cost et misère sociale pour les autres). Ennahda va se faire une petite cure d'opposition, à moins que véreux et ambitieux en se déchirant tout de suite ne provoquent des alliances qu'on pensaient contre-nature qui la réintroduiraient dans le jeu.
Et je m'en voudrais de ne pas dire deux mots sur les élections brésiliennes qui ont certes portées de nouveau à la présidence Dilma Roussef, mais ont surtout souligné la montée en force des partis des classes moyennes réactionnaires et puritaines ; des classes moyennes que le ralentissement économique inquiète, qui craignent de tomber de leur fragile piédestal, et qui verraient d'un bon œil que le gouvernement cogne plus fort sur les pauvres indociles des favelas. Le Parti des travailleurs, sorte de gauche libérale pro-business, domine encore le paysage politique, mais la droite est en train de se recomposer en s'appuyant sur des discours de plus en plus inquiétants qui rappellent le temps de la dictature militaire dont l'étendard était : Ordem e progresso (Ordre et progrès).
Les classes populaires le savent bien : elles n'ont pas grand-chose à attendre de ceux qui prétendent parler en leur nom. Elles le savent si bien qu'elles désertent, plus que nulle autre classe sociale, le champ de la compétition électorale. L'inconvénient est que la désertion ne règle en rien leurs problèmes.
Commentaires
Je me reconnais pas mal du tout dans de ce blog.
Mais ce que j’apprécie le plus, c’est qu’il nous oblige à « penser mondial », comme disent certains. Mais l’expression est ici particulièrement illustrée par le message qu’un anonyme trace sur ce mur de n’importe quel pays.
Ce n’est pas tant que nous sommes écœurés par le degré 0 de la vie politique française, c’est que ça nous oblige à le dépasser en nous soumettant la situation des travailleurs d’autres pays. Ce faisant, nous sommes confrontés à des problèmes particulièrement éclairants.
On pourra toujours dire que celui de l’Ukraine est particulier tant l’espoir d’émancipation a été obscurci pour longtemps par la monstruosité du « communisme réel ». Cependant, Patsy formule une opposition particulièrement saisissante, non pas entre l’Est et l’Ouest mais bien entre le nationalisme et l’émancipation des travailleurs, qu’on l’appelle socialisme (au sens marxien) ou dans une perspective anarchiste.
Je trouve lumineuse la définition qu’il y donne du nationalisme : « absorber la différenciation sociale ». Et c’est bien cela qui nous menace aussi dans notre pays comme dans bien d’autres, et sous des formes variées : que ce soit sous l’autorité de l’armée, d’un parti unique, ou sous l’emprise d’un totalitarisme soft, comme c’est, de mon point de vue le cas aux États-Unis et ça le devient flagrant en France. Admirez la formule : « Je défens la France », comme on l’entend dire de plus en plus souvent par ceux qui nous gouvernent.
D’autres penseront à l’irruption de plus en plus visible du FN dans notre espace politique. Certes mais bien d’autres alternatives sont possibles…
Et du coup, l’article de la semaine prend un sens précis : participer à « la reconnaissance de la différenciation sociale ». Et chacun peut y aller de sa propre partition, politique, sociale, voire culturelle. Lumineux !