Un homme est mort (II)
Par Patsy le lundi, novembre 3 2014, 14:43 - Actualité politique - Lien permanent
Chronique (novembre 2014)
Un homme est mort. Celui-ci ne portait pas de moustache ni ne dirigeait une multinationale de l'hydrocarbure. C'était un anonyme, un simple, un gueux, pas le genre à serrer la louche d'un oligarque, d'un satrape des steppes russes. Pas le genre à poser son derrière dans un Falcon et à s'essuyer les pieds sur les tarmacs d'ici et d'ailleurs.
Rémi Fraisse est mort dans des conditions non encore totalement élucidées, à l'heure où j'écris ces lignes. Nous sommes au tout début novembre et l'on sait juste que ce jeune militant se trouvait dans la nuit du 26 octobre sur les lieux des affrontements sévères opposant les forces dites de l'ordre aux militants physiquement les plus déterminés à empêcher l'avancement des travaux du si contesté barrage de Sivens.
« Il fallait bien que cela arrive un jour ». Telle fut sans doute la première réaction de beaucoup d'entre vous en entendant cette nouvelle à la radio au petit matin.
Il fallait bien que ça arrive un jour, dira celui que la radicalité et l'organisation des manifestants impressionnent et effraient.
Il fallait bien que ça arrive un jour dira celui que la violence des dites forces de l'ordre et les moyens techniques mis à leur disposition impressionnent et effraient. Toutes celles et ceux qui ont mis les pieds sur la ZAD jours d'affrontements ou participé par exemple à la manifestation du 22 février 2014 ont pu voir, sentir et entendre : voir des robocops en action, sentir les gaz, entendre les déflagrations. Ils ont pu voir également les visages tuméfiés de quelques jeunes frappés par des armes non létales, comme il convient de dire aujourd'hui.
La violence fait peur, légitimement peur. Nous sommes beaucoup à fonctionner sur un mode binaire : le gentil manifestant et le méchant CRS, la victime et le coupable, la morale contre l'ignominie ; l'essentiel étant de bannir l'usage de la violence de la pratique revendicative. Comme si le choix des armes dépendait exclusivement de nous, et non du rapport des forces. Soyons-en sûrs, sur les ZAD d'ici et d'ailleurs, les violents et les non-violents comme l'on dit sont indispensables les uns des autres. Sans rapport de force assumé physiquement par les premiers, sans la surface politique et médiatique apportée par les seconds, pas de victoire possible.
Quand Malik Oussekine est mort sous les coups des voltigeurs en 1986, certains ont déclaré qu'il n'était pas raisonnable de participer à des manifestations houleuses quand on était sous dialyse. On pourrait dire la même chose de Rémi Fraisse. Que faisait-il là, au milieu des violences, lui que l'on présente comme pacifiste, amoureux de la nature et des oiseaux ou de je ne sais quoi ? Y allait-il pour se battre ou pour assister en badaud aux affrontements ?
Je ne le sais pas moi-même. Ce que je sais, c'est que je n'ai pas besoin de le savoir « agneau » victimes des loups assermentés pour me sentir solidaire. Solidaire de son combat contre les grands projets inutiles, la marchandisation du monde, l'agro-business et le culte du béton. Solidaire contre la militarisation de nos démocraties avancées et le vigipirate perpétuel que l'on nous impose.
Rémi Fraisse est mort, voilà tout. Et il fallait bien que ça arrive un jour.
Commentaires
Bonjour tout le monde,
Le premier lien est une lettre adressée à la mère de Rémi Fraisse par le frère de Wissam El Yamni, assassiné par la police le 1er janvier 2012. Ce texte est très bien écrit. Si vous n'avez pas assez de temps à consacrer à la lecture de ce mail, mettez de côté ma prose, je veux dire mes délires de paranoïaque désoeuvré, et lisez la lettre ouverte.
https://paris-luttes.info/lettre-ou...
Le lien suivant est la participation télévisée de Mathieu Brunel à partir de l'assassinat de Rémi Fraisse. Il est un camarade de Julien Coupat. On pense ce que l'on veut du comité invisible, ce qu'il dit est absolument délicieux à entendre. La tête des croulants qui l'entourent est presque aussi jouissif:
http://www.dailymotion.com/video/x2...
Les 2 liens ci-dessus abordent l'assassinat de Rémi Fraisse. Ils traitent surtout d'une (même) réponse possible à y apporter. Dans les 2 cas, il ne s'agit pas d'une marche silencieuse, ni de discours interminables en dégoisant sur l'escalade de la violence et autres discrédits aux mouvements écologistes et d'opposition imputés à ceux que beaucoup (trop) nomment les radicaux, blackblocks, etc... Pour ça, il y a les légalistes.
Les 3 principaux groupes anti-aéroport ont été admirables de retenue et de sagesse avant la manifestation de samedi en s'abstenant d'appeler à manifester contre les violences policières. Pensez donc! Leurs partenaires dans les négociations allaient les accuser de soutenir les débordements et ses casseurs. Alors que merde, je veux dire mince, nous sommes des citoyens respectables et lorsque l'on discute avec les garants de l'autorité, il est important que ces derniers nous perçoivent comme leurs égaux. C'est à cette condition que nous pouvons trouver un terrain d'entente, entre gens respectables.
Certes, il y a eu un mort, mais pas de ça chez nous. Ils ont leurs brebis galeuses, en ce qui nous concerne, c'est pas le genre de la maison. Nous sommes des gens bien, des gens de peu, mais même s'ils nous enlève un environnement sain, nous spolie consciencieusement toutes les richesses que nous produisons toute notre vie, font de nous des con-sommateurs, il nous restera toujours l'honneur. L'honneur de ne pas s'abaisser à avoir des comportements de sauvages. Quitte à n'avoir que tes semelles à bouffer en regardant tes enfants revenir de manifs avec un oeil en moins. Ou un bras, c'est au choix.
C'est admirable comme ils sont capables de mettre au même niveau des jeunes en sweat balançant des cailloux et des moins jeunes, militaires, blindés comme robocop envoyant des grenades, militaires. Epatant aussi de constater que cette vision imprègne des esprits qui se positionne dans la contestation. Légaliste.
Pour information, lors de la manifestation de samedi dernier, les keufs étaient suffisamment à leur aise pour chercher délibérément le contact et viser avec leur flashball la partie du corps qui se situe au-dessus de la ceinture. Il faut bien comprendre une chose: un mort par grenade de 21 ans armé d'un caillou, ce n'est pas une bavure. Alors un éborgné,...
Bonjour, j'apprécie vos articles et serai heureuse de suivre votre blog. Bien cordialement, Anne.
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