En 1990, Mathieu Kérékou, président de la République populaire du Bénin depuis 1972 et colonel de profession, cède le pouvoir. Un an auparavant, le bloc de l'Est a implosé et le marxisme-léninisme n'est plus de saison. Les « forces vives de la Nation » se retrouvent au sein d'une conférence nationale pour y travailler sur une nouvelle constitution et l'organisation d'un prochain scrutin présidentiel. Celui-ci se tient en mars 1991 et est remporté par Nicéphore Soglo1, un haut fonctionnaire de la Banque mondiale.
En 1996, de nouvelles élections libres se tiennent et voient le retour au pouvoir de Mathieu Kérékou qui parviendra même à remporter le scrutin suivant, en mars 2001, avant de céder finalement son poste2 en mars 2006 à Thomas Yayi Boni, un technocrate ancien président de la Banque ouest-africaine de développement.
En vingt ans, les Béninois se seront donc rendus quatre fois dans l'isoloir pour élire leur président. Des élections libres, compétitives qui ont donné lieu globalement à peu de contestations. Bref, le Bénin est un exemple pour toute l'Afrique : la démocratie bourgeoise, ça marche ! C'est la preuve par Cotonou !
Il est donc intéressant de voir comment ce « miracle » peut exister, pourquoi diable la classe politique béninoise ne s'étripe pas à la première occasion, n'est pas dans une logique perpétuelle d'affrontements violents mais accepte de façon générale le jeu démocratique avec ses joies et ses peines, ses récompenses et ses traversées du désert.

On s'aperçoit alors que depuis la transition démocratique de 1990-1991, tous les leaders politiques « ont à un moment ou à un autre de leur carrière occupé une position centrale ». En vingt ans, ils sont devenus soit président de la République, soit ministre d'Etat, soit président de l'assemblée nationale.
On note également que la classe politique béninoise sait nouer des alliances politiques souvent fort surprenantes. Ainsi, Adrien Houngbédji fut un opposant historique de Kérékou (qui l'avait condamné à mort en 1976) avant de devenir son ministre à partir de 1996. On pourrait dire la même chose à propos de la Côte d'Ivoire puisque Ouattara s'est allié à Konan Bédié pour chasser Gbagbo du pouvoir, alors que c'est ce même Konan Bédié qui a mis le pays sur la voie de la guerre civile en 1995 en contestant la qualité d'Ivoirien de Ouattara afin de l'empêcher de briguer la présidence ! Décidément, certains n'ont pas la rancune tenace.
Derrière chaque leader béninois, il y a un parti, autrement dit une machine électorale. On en compte actuellement un peu plus d'une centaine ! Chaque élection voit ces partis s'unir et se désunir, l'essentiel étant de miser sur le bon cheval, de constituer la meilleure alliance électorale, celle qui permet d'arracher des postes de ministres ou de députés. Et puis, on a l'esprit nomade au Bénin : on change de monture, on monnaye sa voix. Cela explique en partie pourquoi les remaniements ministériels y sont si nombreux et les équipes ministérielles aussi pléthoriques. Le gouvernement Yayi Boni est ainsi passé de 22 membres à sa création en mars 2006 à 30 membres en 2010, après quatre remaniements. Parmi ces ministres, on notera la présence de Ganiou Soglo, fils de Nicéphore Soglo, et de Modeste Kérékou, fils de Mathieu. Car la politique au Bénin est affaire de famille. On se passe le flambeau de père en fils, l'essentiel étant d'occuper le terrain des affaires.

Les Béninois ne sont évidemment pas dupes de la façon dont fonctionne la « démocratie béninoise ». Ils savent que celle-ci est entre les mains d'une classe politique corrompue, prédatrice, qui fait son beurre et ses affaires sous le couvert de l'intérêt général. Ils ne croient pas aux partis. J'en veux pour preuve que Nicéphore Soglo en 1991, Mathieu Kérékou en 1996 et Yayi Boni en 2006 sont devenus présidents de la République en se présentant comme des candidats libres, sans attache partisane, même s'ils étaient soutenus par des coalitions hétéroclites de partis.

L'établissement de la démocratie n'a donc en rien atténué les pratiques prédatrices des élites qui se succèdent au pouvoir, ni mis un frein à la pauvreté endémique qui frappe près de la moitié de la population béninoise.
En Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo s'accroche au pouvoir parce qu'avoir la main sur l'Etat signifie que l'on a la main sur le commerce extérieur ivoirien, autrement dit sur le cacao et le café, que l'on peut donc s'enrichir, s'acheter des alliés, une clientèle.
Au Bèlarus, Alexandre Loukachenko s'accroche au pouvoir parce qu'il a mis en place depuis son entrée en fonction en 1994 tout un système qui fait de la présidence de la République un acteur économique de premier plan tenant les secteurs les plus dynamiques de l'économie nationale.
Au Bénin, on ne s'accroche pas au pouvoir, on attend son tour tout simplement parce qu'on a la quasi-certitude d'obtenir un jour une part du gâteau national. Il suffit pour cela de miser sur le bon cheval.


Notes
1. F. Eboussi Boulaga, Les conférences nationales en Afrique noire – Une affaire à suivre, Karthala, 1993.
2. La Constitution lui interdisant de se représenter.

A lire
Cédric Mayrargue, « Yayi Boni, un président inattendu ? Construction de la figure du candidat et dynamiques électorales au Bénin », in Politique africaine n°102 (06/2006)