Magali Bessone et Matthieu Renault, WEB Du Bois : double conscience et condition raciale, Editions Amsterdam, 2021.

William Edward Burghardt Du Bois, alias WEB Du Bois, demeure soixante ans après sa mort l’une des figures afro-américaines majeures du combat pour l’émancipation. Magali Bessone et Matthieu Renault nous le font mieux connaître avec leur livre « WEB du Bois. Double conscience et condition raciale » aux Editions Amsterdam.

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En 2019, les éditions La Découverte rééditait Les Noirs de Philadelphie. Une étude sociale, un classique de la sociologie américaine sorti initialement en 1899. Dans ce travail pionnier, nourri de statistiques et de paroles d’acteurs, le jeune WEB du Bois nous offrait une description minutieuse de la condition noire dans une Amérique blanche et raciste, une Amérique de la ségrégation, de la discrimination institutionnalisée et de la pureté raciale qui intéressa tant Adolf Hitler1 ; rappelons que dans les Etats du sud « est noir tout individu, quelle que soit sa couleur, qui comporte dans son ascendance, à quelque degré que ce soit, une personne désignée comme noire », par exemple un arrière-arrière grand-père. Il nous montrait également une communauté fracturée socialement, dont les deux pôles auraient le visage du lumpen-prolétaire issu des champs de coton et urbanisé de fraîche date et une maigre élite urbaine et éduquée, dont WEB Du Bois était lui-même issu. Il évoquait déjà la difficulté pour un citoyen américain noir de ne pas se sentir nègre dans le regard majoritaire, ce qu’il appellera la double conscience dans ses travaux ultérieurs. C’est ce fil que les philosophes Magali Bessone et Matthieu Renault tirent dans leur ouvrage.

« Je n’étais pas un Américain, je n’étais pas un homme (mais) un homme de couleur dans un monde blanc » écrit WEB du Bois ; et un monde blanc bien décidé à le laisser en lisière, y compris quand celui qui frappe à la porte est diplômé de Harvard... Pour Du Bois, tous les Noirs américains vivent ce dilemme, mais pas de la même façon. Il pense notamment à la maigre élite sociale noire d’alors qui craint par dessus tout d’être assimilée aux classes noires les plus pauvres ; un prolétariat rural ou urbain en haillons, sans éducation, aux mœurs déplorables qu’il conviendrait d’éduquer avant de songer à l’émanciper, thèse défendue par une partie de la bourgeoisie noire pour le plus grand plaisir des dominants qui entendent se réserver l’exercice de la démocratie.
Contre cette honte d’être soi, à laquelle Du Bois a parfois cédé dans sa jeunesse, il appelle l’élite afro-américaine à se dire fière d’être noire, et à faire de cette fierté « le ciment de l’unité de la communauté noire ». Dans Black reconstruction paru en 1935, il écrit que « le combat (du Noir américain) est une lutte à mort. Soit il vainc, soit il meurt. Il entrera dans la civilisation moderne, ici en Amérique, en tant qu’homme noir, sur un parfait pied d’égalité avec tout homme blanc, quel qu’il soit, sans aucune restriction, ou alors il n’y entrera pas du tout. Soit l’extermination radicale, soit l’égalité absolue. Aucun compromis n’est possible. »

Ces mots de WEB du Bois et le livre de Bessonne et Matthieu qui soulignent l’évolution de sa pensée m’ont remis en mémoire une anecdote racontée par le sociologue Hicham Benaissa2. Il intervenait dans une entreprise où des cadres s’en prenaient à une de leurs collègues qui avaient décidé de se voiler, y voyant là une atteinte à la laïcité, alors que depuis des années ils côtoyaient une femme de ménage tout aussi voilée sans que cela ne les dérange. Hicham Benaissa en concluait que le foulard de la femme de ménage est invisible parce qu’il est « à sa place symbolique, à la place sociale à laquelle il (est) structurellement renvoyé dans les représentations. » L’immigré (ou « issu de » comme l’on dit...) est accepté au banquet mais à la condition de rester à la place qu’on lui a assignée.

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1. James Q. Whitman, Le modèle américain d'Hitler. Comment les lois raciales américaines inspirèrent les nazis, Colin, 2018.
2. Ma présentation du livre d'Hicham Benaissa.