En votant majoritairement pour les candidats conservateurs modérés, les Iraniens et Iraniennes ont montré qu'ils souhaitaient qu'une nouvelle ère s'ouvre pour le pays, une ère plus pacifique et surtout moins dure, socialement, pour les gueux.
Si l'on devait faire un tableau de la situation économique et social du pays, on pourrait dire ceci. La monnaie iranienne, le rial, ne vaut plus grand-chose. L'inflation ? Elle demeure forte, ce qui pèse lourdement sur les budgets familiaux, d'autant plus que la croissance est en berne et que le chômage atteint les 20 %. Un chômage qui touche également les cohortes annuelles de diplômés, hommes et femmes car, ironie du sort, la scolarisation des femmes s'est développée massivement depuis que les islamistes radicaux sont parvenus au pouvoir. N'oublions pas également les trafics en tous genres, la contrebande, le secteur informel qui ne peuvent que prospérer en période d'embargo. A cela s'ajoute l'effondrement des cours du pétrole qui atteint gravement le pays qui a toujours compté sur l'or noir pour remplir ses caisses.
Bref, l'économie iranienne va mal et c'est cette conviction qui a poussé le président Rohani à rechercher un accord avec les puissances occidentales afin de desserrer l'étau, de mettre un terme à l'embargo, afin aussi d'éviter une possible explosion sociale, un « printemps perse ». Cette perspective inquiète également les tenants de la ligne dure du régime, autour du guide suprême, l'ayatollah Khamenei. Ce dernier a récemment déclaré que voter était un devoir divin, que donc l'abstention était un pêché, tout comme le vote blanc. Voyez-vous, même un régime autoritaire a besoin de légitimité...

La République islamique n'est pas une démocratie, ce qui ne veut pas dire qu'elle est une dictature à proprement parler. Disons, pour simplifier, que le jeu politique est entre les mains de la génération qui a fait la révolution en 1979 et qui s'est notabilisée depuis. Rappelons que les glorieux révolutionnaires de 1979 sont devenus des entrepreneurs omnipotents à défaut d'être performants et compétents ; à l'instar des hauts-gradés de l'armée égyptienne, nos gardiens de la révolution ont mis la main sur les secteurs les plus rentables de l'économie nationale et font du business au nom d'Allah, of course. Cette génération, depuis le haut (le guide suprême) jusqu'au bas (l'élu local,l'entrepreneur lié au régime) s'efforce donc de contrôler le rythme d'évolution inéluctable du système. Cela passe notamment par un aspect très contrôlé au marché électoral. Le système de désignation des candidats est ainsi entre les mains du ministère de l'Intérieur. Les partis politiques n'existant pas, tout candidat désireux de se présenter voit sa candidature être examinée par des structures dépendant du ministère. Cette année encore, les candidats réformateurs ont été la plupart du temps recalés et ce, sans que le président Rohani ne s'en émeuve outre mesure. Il semble que celui-ci n'ait pas voulu, en prenant position pour l'inscription des candidats réformateurs, apporter de l'eau au moulin des durs du régime qui voient en lui un possible fossoyeur de la Nation. Rohani est au centre du jeu, et il sait que les réformateurs le soutiendront majoritairement car ils auraient tout à perdre d'un retour au pouvoir d'un nouvel Ahmaninejad.

Concrètement, Rohani, le mollah polyglotte, constitutionnaliste de formation, est sous surveillance. La situation économique et sociale est telle que les conservateurs ont été contraints d'accepter le processus de rapprochement avec les puissances occidentales initié par Rohani. Mais ils n'entendent pas lui laisser les mains libres pour bousculer l'ordre social et sociétal. On se souvient de la réélection plus que douteuse de Mahmoud Ahmaninejad en 2009 et des violences qu'eurent à subir les opposants au régime, victimes de la violence des bassidjis, ces miliciens aux ordres des Gardiens de la Révolution. L'aile dure du régime a-t-elle intérêt aujourd'hui à jouer du gourdin plutôt qu'à lâcher du lest ? Rien n'est moins sûr.