Souvenez-vous, nous étions à la fin des années 1980 et Michael Moore se mettait en tête de rencontrer Roger Smith, le pdg de la General Motors pour lui demander son avis sur les conséquences sociales catastrophiques des suppressions d'emploi dans l'industrie automobile américaine, et notamment dans la ville de Flint. « Roger et moi », car tel était le titre de ce documentaire parfois drôle, souvent dramatique, nous montrait une ville n'en finissant plus de sombrer, et avec elle, des habitants happés par la misère, chassés de leur maison, perdant la raison.
On y voyait aussi de dignes représentants de l'élite qui, entre un cocktail et une partie de golf, affichaient leur profond mépris à l'égard de ces pauvres incapables de se réinventer une vie dans un univers post-industriel. On y voyait une immense prison remplacer une usine, un musée de l'automobile pour attirer des touristes, une star du show business faire l'apologie de la pensée positive… « Yes we can » avec vingt ans d'avance.

Et aujourd'hui ? Flint n'en finit pas de mourir à petit feu. Dans cette ville où la communauté afro-américaine est majoritaire, près d'un habitant sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté. Il faut dire que les classes moyennes, notamment blanches, ont fui. Elles ont fui la misère et ce qui l'accompagne d'ordinaire : la violence, la dégradation des espaces urbains, des services au public.
Et comme si cela ne suffit pas, c'est l'eau du service d'eau qui est devenu dangereuse pour la santé. En 201, pour faire des économies, évidemment, le gouverneur du Michigan a décidé que l'eau serait puisée non dans le lac Huron mais dans la rivière Flint. Une rivière polluée. Tout le monde le savait. Il semble qu'avec 100$ par jour de traitement anticorrosion, le problème aurait été réglé. Mais c'est beaucoup 100$ par jour, non ?…

Bref, 5 % des enfants de Flint ont été testés positifs au plomb et c'est irréversible. Des milliers d'enfants risquent donc d'avoir des convulsions, d'être hyper-actif, hyper-irritable, souffrir de déficiences intellectuelles. Telle est le destin des enfants afro-américains dans l'Amérique du Yes we can : boire du plomb ou se prendre une balle.