Au début du présent siècle, Boko Haram était un mouvement protestataire prônant un Islam rigoriste et dénonçant le pouvoir central nigérian et ses alliés locaux, autrement dit les élites, les chefs traditionnels. Dans son viseur, il y avait la corruption, le clientélisme, la gestion de la rente pétrolière et la marginalisation politique et économique du nord du pays. Boko Haram en sait quelque chose puisqu'il est né et qu'il prospère dans le nord du pays, notamment dans l’État de Borno à la frontière du Tchad, du Niger et du Cameroun. C'est la répression extrêmement brutale subie par le mouvement et la liquidation physique et extra-judiciaire en juillet 2009 de son leader, Mohammed Yusuf, par les forces armées nigérianes qui ont transformé définitivement la secte réactionnaire, déjà peu portée au pacifisme, en un mouvement armé suffisamment puissant et inquiétant pour pousser les différents Etats de la région (Tchad, Cameroun, Niger, Bénin et donc Nigeria) à mettre sur pied une force multinationale capable de le contenir, le repousser voire de l'anéantir.

On ne peut réduire Boko Haram à sa façade salafiste djihadiste, aux déclarations incendiaires de son émir Abubakar Shekau, à sa volonté de voir la charia être appliquée avec rigueur dans le nord du pays. Boko Haram n'est pas qu'une secte religieuse régnant par la terreur et instrumentalisant les conflits entre chrétiens et musulmans. Il est le canal par lequel une partie des Nigérians du nord a fait entendre sa colère, ses frustrations, son indignation. Cette colère, ces frustrations, cette indignation ne disparaîtront pas avec la mise hors-circuit de la secte grâce à une alliance de circonstances entre Etats pour l'essentiel mafieux et déliquescents, patronnée par l'ancienne puissance coloniale. La réponse sera politique, économique, sociale et culturelle. Si elle ne l'est pas, et elle a de grandes chances de ne pas l'être, la liquidation de Boko Haram n'aura servi qu'à clore qu'un cycle de violence radicale… en attendant le prochain.