Le lendemain de la victoire de Syriza aux Législatives, les journalistes d'une radio d'informations continues nous ont offert en cinq minutes trois façons de caractériser cette formation politique : parti de la gauche radicale, parti d'extrême-gauche et, le plus savoureux, parti radical de gauche ce qui, dans le contexte français, évoque inévitablement un Jean-Michel Baylet bolchévisé, l'opinel entre les dents. Ils auraient pu dire de Syriza qu'elle était un force politique rassemblant des formations principalement issues de la gauche radicale et proposant un programme social-démocrate de relance économique à la sauce keynésienne, mais alors l'humble citoyen européen n'aurait pas frémi à l'annonce d'une telle victoire. Car le but est bien de nous faire vaciller ; vaciller à l'idée que l'Europe, cette Grande Idée portée sur les fonds baptismaux par l'Amour du prochain et la concurrence libre et non faussée, serait en danger ; vaciller à l'idée que l'Europe de la paix et du dumping social et fiscal pourrait s'effondrer victime de l'aventurisme grec, de ce désir archaïque de vouloir sauver des vies plutôt que d'équilibrer des comptes.

La victoire du charismatique leader de Syriza est effectivement un événement politique majeur pour les citoyens européens que nous sommes. La victoire d'un parti « de gauche », promoteur d'une politique « de gauche » dans une Europe acquise aux idées ordolibérales peut inaugurer une nouvelle séquence politique mais elle n'est pas forcément grosse des dangers dont la parent certains commentateurs. Je ne crois pas à ce que certains appellent le « scénario du pire », parce que personne n'a, je pense, intérêt à ce qu'il se réalise. Je ne crois pas au « Grexit ». Ejecter la Grèce de la zone euro symboliserait l'échec des politiques d'austérité initiées depuis une poignée d'années. Abandonner la Grèce serait également suicidaire pour les pays plaidant pour que l'Europe initie des politiques plus keynésiennes, politiques qui auraient aussi des conséquences positives pour les bons élèves (comme l'Allemagne) qui ne peuvent espérer prospérer longtemps avec des clients anémiés ou tournant au ralenti. Le FMI même, dans ses perspectives pour l'économie mondiale, s'est dit favorable à une hausse des investissements publics dans les infrastructures, c'est dire ! La zone euro peut-elle se payer le luxe d'une nouvelle crise économico-politique ? Je ne le crois pas.

La politique, c'est du cirque ? Souvent. La politique, c'est surtout une scène sur laquelle les acteurs jouent un rôle.
Il en va ainsi de l'inflexible Allemagne de Madame Merkel. Si inflexible qu'elle a déjà accepté que la Banque centrale européenne sorte de son rôle traditionnel pour venir en aide aux pays en grande difficulté. « Venir en aide » est bien sûr une façon de parler ; qu'y puis-je si pour eux « le peuple » et « les banques » se confondent ? En 2011, elle a accepté la mise en place du Mécanisme européen de stabilité en lieu et place du Fonds européen de stabilité financière. Depuis, elle accepte sans trop grogner que la BCE et son patron, Mario Draghi, s'émancipent quelque peu de sa tutelle ; ainsi la décision récente de la BCE de racheter pour 1000 milliards de dettes souveraines a fait grogner mais pas plus la Bundesbank. Elle l'a fait parce que les cures d'austérité n'ont pas porté les fruits escomptés. Elle l'a fait mais s'est évertuée à ce que cela ne se voit pas trop, car elle a un électorat à ne pas perdre ; un électorat à qui elle a répété que la voie de l'ascétisme et de la punition collective était la seule voie possible pour sortir les Grecs impécunieux de l'ornière ; un électorat qui comprendrait mal qu'on lui demande aujourd'hui de s'asseoir sur les 60 milliards que la Grèce leur doit. Angela Merkel peut-elle se déjuger ? Non, parce que cela provoquerait un précédent sur lequel d'autres pays, comme l'Espagne ou le Portugal, ne manqueraient pas de s'appuyer. Le fera-t-elle quand même ? Oui elle le fera mais dans des termes qui ne lui feront pas perdre la face devant le grand public.
Tout sera une question de mots et d'apparence. On n'annule pas, on ne restructure pas, on rééchelonne ; on ne renégocie pas, on corrige à la marge. Mais pour que ce scénario se réalise, qu'un compromis soit trouvé, il faudra que Syriza puisse s'appuyer sur Paris, Madrid, Lisbonne, Rome, sur tous ceux qui, en somme, ont intérêt à ce que l'orientation européenne change. L'important sera que Tsipras et Syrisa ne puissent pas dire qu'ils ont fait reculer « l'Europe allemande ». L'important sera que Tsipras et Syriza fassent allégeance, préalable à leur adoubement.
Grexit ou compromis, tel est l'enjeu du bras-de-fer engagé entre « Merkel » et « Tsipras ». Chacun se tient par la barbichette. Mais l'un des vainqueurs, on le connaît déjà : il s'appelle xénophobie.