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William Sportisse nous plonge également dans le quotidien de la communauté juive d'avant la Seconde Guerre mondiale. Une communauté qui ne sait vers qui se tourner. Vers la France républicaine qui l'a faite citoyenne ou vers le mouvement nationaliste algérien balbutiant ? Et de qui a-t-elle le plus à craindre : de l'antisémitisme des colons qui pour beaucoup verseront dans le fascisme et le pétainisme ou de celui des élites musulmanes stigmatisant le Juif usurier responsable du malheur du fellah ?

William Sportisse a 11 ans lorsqu'éclate en 1934 une émeute populaire au parfum de pogrom, provoquée tout autant par la misère que par la propagande des colons d'extrême droite et des nationalistes musulmans. William Sportisse suit cela de près car son frère, Lucien, de 18 ans son aîné, est alors un militant de premier plan du communisme algérien. Un frère qui se bat becs et ongles contre le fascisme, le système colonial, mais pas pour l'Indépendance : son rêve n'est-il pas de voir émerger « une Algérie libre unie à une France libre » ? Un frère qui sera révoqué de l'éducation nationale, emprisonné, obligé de s'exiler en France et finira sous les balles allemandes ou celles de la Milice.

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Dès l'adolescence, William Sportisse se glisse dans les pas de ce frère, en intégrant un Parti communiste algérien condamné à la clandestinité (c'est là qu'il va y apprendre les règles de sécurité indispensables à sa survie et à celle de l'organisation, des règles qui lui resserviront au moment de la guerre d'Indépendance), avant de se retrouver en 1943 chez les Zouaves, dans une Algérie arrachée des mains vichystes.

Le PCA, officiellement indépendant du PCF depuis 1936, essaie de trouver sa place dans l'Algérie coloniale de l'après-guerre. La révolte de Sétif (mai 1945) et la répression féroce qu'elle provoque rendent encore plus difficile la popularisation d'un projet politique émancipateur et non nationaliste. Car la haine est là, bien présente, et le communisme et ses promesses de félicité peinent à conquérir les coeurs, d'autant plus que le PCA défend le projet d'Union française alors que les nationalistes algériens ne parlent que d'indépendance et voient d'un mauvais œil ces pro-soviétiques, ces laïcs qui cherchent à s'implanter dans les entreprises comme dans les campagnes. Cette méfiance se manifeste de façon très brutale durant la guerre d'indépendance puisque de nombreux membres du PCA ayant rejoint les maquis de l'ALN seront liquidés physiquement par les nationalistes algériens. Elle se manifeste encore sous Ben Bella, le PCA étant plus toléré qu'autorisé par le nouveau pouvoir. Le coup de gourdin intervient en 1965 quand Boumedienne prend le pouvoir, proclame la « révolution socialiste » et fait liquider, torturer et emprisonner nombre d'opposants algériens. William Sportisse subira dans sa chair ces années de violences, d'incarcération et de relégation, sans que cela ne l'amène à remettre en question ses convictions les plus fortes et l'attachement qu'il porte à cette terre qui l'a vu naître. Seul le climat d'extrême violence des années 1990 le poussera à quitter « son » Algérie pour s'installer en France.

On ne peut être qu'impressionné par le parcours hors-du-commun de cet homme, de ce communiste intransigeant, orthodoxe, discipliné, de ce juif antisioniste rompu à la clandestinité et toujours soucieux d'être au plus près des masses populaires algériennes. Car le vieil homme continue « à y croire » et à rêver, malgré les défaites et les avanies, à une Algérie émancipée et progressiste.

Note :
1. j'en veux pour preuve cet interview édifiant donné par William Sportisse à Solidarité internationale PCF.