Avec ce livre imposant, David Van Reybrouck nous raconte « une » histoire du Congo-Zaïre, et il le fait en s'appuyant sur les témoignages des Congolais eux-mêmes, témoignages qu'il a recueillis ou exhumés. Et on le suit sans effort tant son écriture est fluide et le sujet, passionnant.

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Le Congo, ce « scandale géologique », potentiellement si riche et pourtant si pauvre et humilié.
Le Congo, territoire immense, qui fait le bonheur d'un homme ; d'un homme qui en fait sa possession personnelle. Léopold, deuxième du nom, roi des Belges, voulait une colonie. Il chargea le célèbre exploiteur Stanley de lui en tailler une. Ce fut ce Congo, aussi vaste que hostile1, que seuls parcouraient les Arabes chasseurs d'esclaves. Et le Congo est devenu sa chose en l'an de grâce 1885, avec la bienveillance des puissances coloniales d'alors2.

Le territoire conquis, Léopold II devient le vampire sans scrupule d'un territoire sur lequel il ne mettra jamais les pieds. Léopold voulait une colonie pour l'argent qu'il pouvait en tirer, il n'avait pas l'âme d'un philanthrope ; mais ne l'accablons pas : aucun colonisateur ne l'avait. Alors il met au travail les populations locales à son seul profit et les Congolais découvrent la terreur instituée : ces mains qu'on coupe, ces corps qu'on fouette, qu'on passe à la baïonnette ou qu'on fusille, pour rien, par principe ou parce qu'il ne se soumet pas ; ces « nègres » qu'on ethnicise car il faut bien que le Blanc s'y retrouve dans ce méli-mélo de tribus ; ces « nègres » qu'on évangélise aussi mais qu'on tient à distance, toujours, puisqu'ils sont si différents ; ces « nègres » qu'on éduque peu car la colère la plus à craindre est celle de ces « évolués ».
Le 20e siècle congolais s'est ouvert dans le sang, et depuis, il n'a pas cessé de couler. Le Congo était trop riche pour laisser indifférents les grandes puissances et les affairistes. A l'Indépendance, le pays sombre rapidement dans le chaos, l’État peinant à contrôler pleinement un territoire aussi grand ; un chaos sur lequel règne un mégalomane adoubé par quelques grandes puissances : Mobutu.

Il faut écouter ces Congolais et Congolaises raconter à David Van Reybrouck ces décennies cauchemardesques où l'on tue pour ne pas être tué, où l'on fuit, toujours, où l'on survit à peine et où l'on prie, énormément, parce qu'il faut bien croire en quelque chose dans ce chaos absurde d'une violence et d'une barbarie inouïes : un État central déliquescent, une classe politique kleptomane, des « rebelles » opportunistes et affairistes, un état de guerre perpétuel, et toujours des multinationales qui font du business. On sort sonné et désemparé de ce livre passionnant et éprouvant, car on ne sait ce qui pourrait mettre un terme à cette folie, à cette dérive, à cette malédiction. Mais on en sort tout aussi impressionné par la capacité des Congolais à survivre dans un tel enfer...

Notes
1. La malaria et la maladie du sommeil dévastaient régulièrement les populations.
2. Ce n'est qu'en novembre 1908 que Léopold II cède le Congo à l'Etat belge. De cette "bienveillance", le Congo souffrira toute sa vie. Belgique, France, Etats-Unis... tous se penchèrent sur le berceau congolais avec avidité, pour ses richesses ou sa position géostratégique au coeur du continent noir. Qu'il me soit permis ici de noter mon désaccord radical avec l'auteur quant à la vision de l'intervention française lors du génocide rwandais. Je ne crois pas, comme il l'écrit, que "Mitterrand ne savait pas qu'il protégeait les auteurs du génocide" (p. 445) en lançant l'Opération Turquoise. Turquoise était une opération politico-militaire sous couvert humanitaire dont la fonction était de contenir l'avance du FPR, voire de couper le pays en deux pour permettre aux génocideurs d'en contrôler une partie et ainsi négocier un partage du pouvoir ou préparer une reconquête du pays. Mon analyse ici.