Pour le pseudo-repentir, il y a d'abord la volonté sarkozienne d'atténuer la responsabilité historique de la France dans le drame rwandais. Il a ainsi déclaré : « Ce qu'il s'est passé ici oblige la communauté internationale, dont la France, à réfléchir à ses erreurs qui l'ont empêchée de prévenir et d'arrêter ce crime épouvantable ». D'un côté, on peut lui donner raison : l'ONU n'a guère brillé en 1993-1994, n'a pas été à la hauteur des événements. Mais ce faisant, il oublie de dire que l'Etat français a toujours considéré les anciennes colonies francophones comme sa chasse gardée, là où ses amis peuvent faire des affaires, là où ses militaires peuvent faire carrière ; et que cette attitude explique en partie les réticences de la communauté internationale à se plier à ses stratégies impérialistes.
Pour le pseudo-repentir, nous avons eu droit également à cette appréciation présidentielle de la politique française de l'époque menée, rappelons-le, non sans tiraillements d'ailleurs, par Mitterrand et Balladur : « Des erreurs d'appréciation, des erreurs politiques ont été commises ici et ont eu des conséquences absolument dramatiques. » Certains y verront un pas en avant, d'autres regretteront que le Président ne se soit pas excusé. Pour ma part, c'est l'emploi du mot « erreur » qui me pose problème.

Mitterrand n'a pas fait d'erreurs en soutenant jusqu'au bout un pouvoir autoritaire au sein duquel s'organisait la machine génocidaire. Il a fait un choix politique clair : celui de défendre la Françafrique et une certaine idée de la francophonie. Il a fait le choix de soutenir diplomatiquement, financièrement et militairement un pouvoir vacillant, connu pour son autoritarisme et sa corruption, contre le Front patriotique rwandais, une rébellion anglophone venu d’Ouganda. L’intervention française au début des années 1990, l’opération Noroît, n’avait qu’un but : permettre à l’armée rwandaise de repousser le FPR au-delà des frontières. Ceci ayant échoué, l’Etat français a poussé le président Habyarimana à accepter une solution politique à la crise : en d’autres termes, à partager le pouvoir avec les rebelles tutsis et les démocrates hutus. Une fois la partie perdue, il a fait le choix, avec l’opération Turquoise, de sauver non pas les tutsis mais les caciques du régime en les ramenant en France ou en leur permettant de s’installer au Zaïre, pays frontalier à partir duquel ils pourraient entamer une reconquête militaire du Rwanda.

Certains voudraient opposer le président Juvénal Habyarimana aux durs du régime, réunis autour de son épouse. Mais ne l’oublions pas : les milices populaires, ces sinistres Interahamwe qui seront la cheville ouvrière du génocide, et la Radio-télévision libre des Mille collines, célèbres pour ses appels aux meurtres des tutsis, ne sont pas nés au moment du génocide, en 1994, mais deux ans auparavant. C’est pourquoi l’assassinat non encore élucidé du président Juvénal Habyarimana n’est pas la cause du déclenchement de cette folie génocidaire. En clair : une fois mort Habyarimana le « modéré », l’aile dure du régime a pris les commandes et envoyé, en représailles, milices, armée et gendarmerie tuer les tutsis. Non, le génocide était planifié depuis longtemps. Il ne manquait que le prétexte pour le mettre en œuvre.

Oui, l’Etat français est coupable de complicité de génocide au sens où, d’un point de vue juridique, « un accusé est complice de génocide s’il a sciemment et volontairement aidé ou assisté ou provoqué une ou d’autres personnes à commettre le génocide, sachant que cette ou ces personnes commettaient le génocide, même si l’accusé n’avait pas lui-même l’intention spécifique de détruire en tout ou en partie le groupe national, ethnique, racial ou religieux, visé comme tel ».

Il est tellement coupable que sous la pression, les parlementaires consentirent à ce que voit le jour en 1998 une mission d’information où politiciens de droite et de gauche se sont efforcés dans un rapport de laver de tout soupçon armée et appareil d’Etat. Le rapporteur, le socialiste Paul Quilès, le dira très clairement et sans la moindre honte : « La France n’a en aucune manière incité, encouragé, aidé ou soutenu ceux qui ont orchestré le génocide ». Le discours récent de Nicolas Sarkozy à Kigali, qui évoque des erreurs d’appréciation et des erreurs politiques, témoigne donc d’une certaine inflexion, et on peut y voir l’influence de Bernard Kouchner qui a toujours refusé le discours hégémonique, voire négationniste de la majorité de la classe politique hexagonale.

Pourquoi une telle inflexion ? Parce que le temps est venu de construire une nouvelle relation bilatérale et de clore un chapitre peu glorieux de l’histoire commune.
Le pouvoir rwandais veut des excuses mais planent au-dessus de sa tête des accusations de crimes contre l’humanité pour son implication dans la guerre qui a sévi dans l’est du Zaïre à la fin des années 1990 (une guerre qui avait pour but de nettoyer les camps de réfugiés rwandais encadrés par les génocidaires. Un nettoyage qui s’est déroulé dans des conditions effroyables, évidemment). Alors, à défaut d’excuses, il peut se contenter d’un pseudo-repentir qu’il saura valoriser sur la scène politique nationale, et parler de « choses sérieuses », c’est-à-dire du retour des investissements français au Rwanda.

Le pouvoir français ne veut pas faire d’excuses car la France des droits de l’homme, et son orgueil de puissance moyenne sur le déclin, n’entend pas s’humilier devant un micro-Etat africain et finir devant le Tribunal pénal international. Et puis, elle a compté longtemps sur la fragilité du pouvoir au Rwanda. Quinze ans après, ceux qui ont pris les rênes de l’Etat le tiennent encore fermement, et les anciens génocidaires ne sont plus en mesure de contester militairement leur autorité. En d’autres termes, Paris doit composer avec Kigali car il n’y a pas solution de rechange. Alors dans cette Afrique en pleine mutation où les Etats privilégient dorénavant les relations multilatérales, il est judicieux de ne pas laisser les cadavres d’hier empêcher la signature des contrats juteux de demain.