Reconnaissons-le : François Hollande ne nous a pas menti. Il a dit la vérité, il est un président normal, autrement dit menteur et volage. Aux Etats-Unis, on excommunie pour moins que ça. Dans l'hexagone, le fait que notre Flamby corrézien culbute une comédienne et plonge dans la dépression sa compagne n'a pas franchement remué les foules. Et c'est tant mieux puisqu'à ma connaissance, il n'a jamais bâti sa carrière sur le rigorisme moral.

En fait, la presse internationale s'est davantage intéressée à ce qu'elle a appelé le virage libéral du Parti socialiste français.
Dans les colonnes du New-York times, Paul Krugman a laissé éclater son dépit : « Ce qui me choque, a-t-il écrit, c'est qu'il souscrive désormais aux doctrines économiques de droite, pourtant discréditées », avant d'ajouter : « Il s'est soumis, soumission qui vire désormais à la faillite intellectuelle. » Krugman pensait-il vraiment que François Hollande tiendrait tête à Angela Merkel et imposerait à  la chancelière qu'elle adoucisse sa politique européenne alors même que c'est son intransigeance qui fait sa fortune électorale ?

De son côté, El Païs, sarcastique, déclare que « le dernier bastion du socialisme en Europe n'est plus ». Puis le grand quotidien espagnol déverse son chapelet d'injures néo-libérales contre ces Français « qui ne (comprennent) rien à la mondialisation », ce système social trop généreux et « impossible à financer dans une économie anémique » puis livre son diagnostic : « Hollande va essayer d'accomplir ce que Sarkozy à droite n'a pas réussi : dégraisser l'Etat, produire plus et mieux sans avoir peur du monde extérieur. »

Il serait fastidieux de faire l'histoire des nombreuses trahisons de la social-démocratie. On pourrait leur trouver des excuses en citant ces propos de Ralph Miliband, économiste aussi marxiste qu'anglais, dont les enfants sont aujourd'hui de bons apparatchik du Labour party : « Le fait que tous les gouvernements – et ceux de tendance réformiste pas moins que les autres, se soient toujours préoccupés de gagner et de conserver la confiance des milieux d'affaires (était) un signe implicite du pouvoir de l'entreprise privée sur l'Etat »1

Plus vachard, François Bonnaud, obscur anarcho-syndicaliste angevin écrivait dans son autobiographie en mars 1940 : « Comme prévu les socialistes SFIO sont entrés dans le gouvernement de guerre, formé par Reynaud, qui ne comprend aucun membre de droite. Le coup est bien joué si on veut que la classe ouvrière pense que toutes les restrictions de liberté comme de nourriture sont prises pour son bien. Pauvre classe ouvrière ! En 1936, le gouvernement Blum a tué son mouvement d'émancipation et de colère, et quand elle fut bien ligotée, la même bourgeoisie a chassé le gouvernement socialiste pour y installer la réaction en 1937. La même chose va encore se produire : la haute finance a besoin des socialistes pour sucrer la pilule que la classe ouvrière doit avaler. Après elle les chassera. »

La haute finance, celle qui, dixit François Hollande, n'a pas de visage, n'a pas besoin des socialistes : elle fait avec, et sans crainte. Elle le fait aujourd'hui parce que cela fait bien longtemps que les socialistes français, allemands ou anglais se sont convertis au libéralisme économique, avec ou sans Bad-Godesberg2. Mais auparavant, dans le contexte pourtant tourmenté des années 1930, les socialistes français avaient été on ne peut plus clairs. N'est-ce point Blum qui assurait, aux lendemains des élections de mai 1936, que son gouvernement gérerait loyalement l'Etat bourgeois et ne chercherait pas à transformer le système social, arguant que les électeurs n'avaient pas donné la majorité au parti socialiste, ni même au partis prolétariens mais au Front populaire, autrement dit à l'alliance de la SFIO et des radicaux de gauche ?3 Certains diront que le modérantisme de Léon Blum s'appuyait sur les chiffres : la SFIO, force majoritaire à gauche, n'avait recueilli que 20 % des suffrages et devait donc composer avec un centre-gauche encore puissant. Mais à quoi cela sert-il de seriner aux classes populaires que l'essentiel est la conquête du pouvoir politique pour, une fois cet objectif atteint, faire deux pas en arrière et plaider la sagesse ? A rien, sinon à nous endormir.

Il me revient alors en mémoire ces mots de Madeleine Pelletier, féministe libertaire et psychiatre, des mots datant de 1908 : « Il vaut mieux être quelques milliers de mécontents qui excitent les prolétaires à la haine des bourgeois, qui préparent des grèves et des émeutes afin de préparer la révolution, qu'un puissant parti politique destiné à remplacer un jour le Parti radical et à faire faillite à son tour. »

Notes :
1. L'Etat dans la société capitaliste – Analyse du système de pouvoir occidental, Maspero, 1969).
2. Lors de son congrès tenu à Bad-Godesberg en 1959, la social-démocratie allemande abandonne le marxisme et se rallie à l'économie de marché. Une formule illustre ce changement de cap : « Le marché autant que possible, l'intervention publique autant que nécessaire. »
3. Le communiste Waldeck Rochet avait souligné également que « les électeurs ne (s'étaient) pas prononcés pour la Révolution ».