Marxisme anglo-saxon : figures contemporaines
Par Patsy le lundi, janvier 27 2014, 23:08 - Notes de lecture - Lien permanent
Jonathan Martineau (sous la direction de)
Marxisme anglo-saxon : figures contemporaines
- De Perry Anderson à David McNally
Lux, 2013
Ils sont neuf. Certains sont connus d'un « large public » (Perry Anderson1, Edward P. Thomson2), d'autres commencent à l'être (David Harvey3) ou ont des « fans » dans les milieux radicaux (Moishe Postone4), les derniers sont très largement inconnus du public non-anglophone (Derek Sayer, Simon Clarke, Robert Brenner, Ellen Meiksins Wood5, David McNally). C'est ainsi : alors que les penseurs critiques français (Foucault, Bourdieu, Althusser, Derrida... auxquels j'ajouterais les « Grecs » Castoriadis et Poulantzas) ou allemands de l'école de Francfort) étaient traduits, lus, commentés et appréciés outre-atlantique et outre-Manche, le monde éditorial francophone restait, il me semble, largement insensible à ce qui s'écrivait en Angleterre ou aux Etats-Unis6. D'où l'importance et l'intérêt du travail coordonné par Jonathan Martineau.
En 1970, Pierre Souyri nous offrait Le marxisme après Marx (Flammarion), évoquant Lénine, Gramsci, Luxemburg, Korsch, Bordiga et nous montrant comment la pensée de Marx7 avait été interprétée, retravaillée par plusieurs générations de militants révolutionnaires. Puis vînt la longue nuit, celle de la contre-révolution conservatrice et du néolibéralisme, longue nuit dont nous ne sommes toujours pas sortis.
Si l'on excepte les doyens Anderson et Thompson, voire Harvey, tous les intellectuels convoqués ici avaient entre trente et quarante ans lorsque les espoirs révolutionnaires nés de 1968 se sont évaporés, emportés par le réformisme, vaincus par la rhétorique réactionnaire. Ce sont des enfants de la crise : crise économique et sociale, crise culturelle, crise de la pensée critique. Des enfants de la crise qui, pour comprendre le monde tel qu'il est et trouver les moyens de remettre la Révolution à l'ordre du jour, se sont emparés de la pensée de Marx et en ont retravaillé quelques concepts-clés, comme bien d'autres avant eux certes, mais dans un contexte bien différent (reflux du dogmatisme « stalinien », du structuralisme...).
Historiens, sociologues, politistes, géographes, ils ont interrogé aussi bien l'émergence du capitalisme en Grande-Bretagne (Thompson), la notion de classe sociale (Thompson encore, McNally) que la théorie de la valeur (Postone), celle des crises économiques (Clarke) que l'opposition structure/superstructure (Brenner) ou la validité du matérialisme historique. Ils l'ont fait en rappelant que ce sont les hommes en chair et en os qui font l'Histoire et non les « structures ». Que rien n'est joué en somme, que tout est affaire de rapports de force, et que les consciences sont à gagner tout autant que les cœurs. D'où, chez certains, un intérêt pour le langage, le discours, la culture, la fabrication de la mémoire. Livre passionnant donc, riche de réflexions et d'approches stimulantes, mais souvent difficile, malgré les efforts fournis par les auteurs réunis autour de Jonathan Martineau pour les rendre accessibles...
Notes
1. On lui doit récemment Le nouveau vieux monde (Agone, 2013).
2. De cet historien britannique, on peut lire sa monumentale Formation de la classe ouvrière anglaise (Points, 2012) et Temps, discipline du travail et capitalisme industriel (La Fabrique, 2011).
3. Pour lire le Capital, La ville brûle, 2012. Les Prairies ordinaires ont également publié quelques-uns de ces écrits.
4. Plusieurs livres de Postone sont accessibles en français dont Marx est-il devenu muet ? (Éditions de l'Aube, 2003) ou encore Temps, travail et domination sociale : Une réinterprétation de la théorie critique de Marx (Mille et une Nuits, 2009).
5. L'empire du capital, Lux, 2011.
6. C'est du moins mon sentiment, voire mon intuition. A part Herbert Marcuse et Ivan Illich qui eurent nombre d'écrits publiés par de « grandes » maisons d'édition, les autres étaient oubliés ou « confinés » chez les éditeurs radicaux comme Maspero (je pense notamment à Paul Sweezy, Ralph Miliband et bien évidemment à Perry Anderson).
7. Le "marxologue" Maximilien Rubel considérait que le « marxisme » était une funeste invention de Engels qui, vieillissant, avait transformé la pensée du "noir gaillard de Trêves" en un culte, avec ses dogmes et ses recettes. Lire de Rubel, Marx critique du marxisme (Payot, 2000).