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Il y a quelques mois, un collectif s'était fendu d'un judicieux Manifeste (Manifeste : la connaissance libère, Ed. du Croquant/La Dispute, 2013) de défense des sciences sociales mises à mal par les réformes successives touchant l'Université, et par leur instrumentalisation par les grands médias. Ce texte court et incisif se terminait par un plaidoyer en faveur d'un lien plus étroit entre le monde des chercheurs et celui des militants. « La science pour qui ? », ouvrage coordonné par Janine Guespin-Michel et Annick Jacq, toutes deux microbiologistes, se situe dans le même esprit de contestation d'un ordre néo-libéral qui signe, non le retrait de l'Etat, mais sa reconfiguration/adaptation au marché-Roi.

En peu de pages, les auteurs soulignent à quel point les réformes/injonctions successives, européenne ou nationale (la fameuse « stratégie de Lisbonne », la loi LRU, la loi Fioraso), ont transformé la recherche publique afin « qu'elle contribue à la compétitivité en étant source d'innovations », faisant de chaque chercheur un fantassin de la guerre économique en cours1 . Elles le font de plus dans un contexte de défiance à l'égard de « la science » (nucléaire, OGM, vache folle, manipulation du vivant...), défiance que ne parviennent pas à contrecarrer les experts en progrès qui se bousculent dans les grands médias.

Conscients que « la science est détournée au seul service de la rentabilité d'un capital concentré aux mains d'une oligarchie financière de plus en plus réduite et puissante », les auteurs plaident à la fois pour que soient garantis « l'indépendance intellectuelle et financière des chercheurs et la croissance du financement public de la recherche » et pour une « appropriation citoyenne collective des cultures scientifique et technique. » A ceux qui s'efforcent de concilier recherche scientifique et profits, les auteurs proposent de travailler plutôt à la réconciliation entre chercheurs et citoyens autour du bien commun et du progrès social. Vaste programme, certes, mais à la hauteur de l'enjeu.

Note
1. Le port de l'uniforme n'effraie pas tous les scientifiques. En 2004, l'appel « Sauvons la recherche » se battait pour que la recherche ait les moyens de participer « au développement économique de notre pays ainsi qu'à son rayonnement culturel. Dans la conjoncture actuelle, les pays qui ne maintiendront pas un outil de recherche d'excellence seront incapables de suivre l'accélération de l'évolution économique associée à la production de connaissances. »