Pour midi, il achète du poisson nourri aux pilules contraceptives, des germes de soja à l’urée, des tomates aux accélérateurs de croissance, du tofu au plâtre, du gingembre toxique, une soupé épicée aux anti-diarrhéiques, sans oublier une portion de faut bœuf teinté avec un additif toxique. Il peut boire également une bouteille d’alcool frelaté au méthanol et déguster des petits pains au sulfure, voire même se griller une cigarette contenant du mercure.
Voici en gros ce qu’a écrit Xie Yong, un universitaire chinois sur son blog. Il aurait pu également parler de ces pastèques qui explosent sans crier gare quand on les booste au forchlorfénuron, des huiles frelatées que l’on recycle, du poulet aux nitrites, du poivre coloré au rhodamine B, etc etc.
La multiplication des scandales alimentaires en Chine a de quoi inquiéter. Inquiéter les consommateurs qui peuvent être ou sont parfois les victimes à court ou long terme de ces pratiques culturales. Inquiéter également les autorités chinoises qui ont promis de remettre de l’ordre dans le capitalisme débridé chinois. Mais entre les proclamations de foi et les actes, il y a, vous le savez bien, des béances. Dans le système chinois, un bureaucrate ne peut espérer gravir les échelons que s’il est capable de prouver à ses supérieurs que la politique qu’il a appliquée a renforcé la compétitivité du pays, a permis aux entreprises de produire plus pour satisfaire la demande intérieure ou faire entrer des devises via l’exportation. Un bureaucrate a l’âme d’un comptable. Il a besoin de chiffres qui parlent d’eux-mêmes, même si, vous le savez bien, on peut faire parler les chiffres à leur place. En conséquence, notre bureaucrate aura davantage tendance à étouffer un scandale et à s’asseoir sur le principe de précaution ou la sécurité alimentaire, car ça, ce n’est pas encore politiquement rentable. Si cela le devient, il brûlera son idole d'hier au nom de la nouvelle donne idéologique du moment. Mais que le capitalisme chinois s’assoit sur le principe de précaution, cela n’est pas pour nous étonner. Après tout, il n’y a aucune raison qu’un capitaliste chinois soit plus vertueux qu’un capitaliste européen, nord-américain, indien ou australien. Business is business, avec ou sans livre rouge.

Ce qui a fait scandale récemment, c’est également la découverte que dans l’est de la Chine, certaines administrations publiques se sont constituées des filières spéciales d’approvisionnement en produits biologiques, en les finançant avec des fonds publics destinés au développement d’une agriculture plus saine. Tandis que le peuple doit se contenter de ce qu’il trouve sur les étals des marchés, les apparatchiks, eux, se gavent de produits sains.
Louis XIV clamait, dit-on, « L'Etat, c'est moi ». Les bureaucrates répondent : « L'Etat, c'est nous » ! Et cela m'a rappelé ces mots de Milovan Djilas, communiste yougoslave envoyé par Tito en prison pour sa critique du système : « Les vices de la nouvelle classe bureaucratique : l'ambition déchaînée, la duplicité, l'art consommé de nager entre deux eaux, la jalousie féroce. Leur résultante, l'arrivisme et l'expansion illimitée de la bureaucratie, sont les maladies incurables du communisme (…) les communistes ont fait de l'ambition sans scrupule un des traits dominants de leurs moeurs et de leur méthode de recrutement, mais en même temps un des facteurs de leur dynamisme social. » Il a écrit cela en 1957 (La nouvelle classe dirigeante, Plon).