Avouons-le, pas grand monde n'a eu le courage de lire le traité en entier. Personne ne vous en fera le reproche, rassurez-vous. On ne peut obliger le citoyen ordinaire à comprendre tout ce que pondent les juristes appointés. On lui demande juste de déposer sa crotte dans l'urne une fois de temps en temps. Cela s'appelle faire son devoir civique ou choisir son bourreau pour reprendre le bon mot d'Octave Mirbeau. Mais bon, passons...

Depuis, l'Europe s'est construite, agrandie, dans la joie, la bonne humeur, la destruction des services publics et la précarité sociale. Mais que ne ferait-on pour le Marché libre, l'Euro et la Paix ?
Pour attirer les capitaux étrangers, développer leur économie nationale, les différents pays composant l'Union ont choisi leurs armes : tourisme pour les uns, industries de pointe pour d'autres, dumping fiscal et social pour certains en s'appuyant sur la monnaie unique. C'est intéressant le dumping, parce que ça attire le pdg de multinationales qui veut bien être philanthrope et passé à la télé, à condition qu'on ne lui ponctionne pas trop d'impôts. Certes, ça soustrait au voisin des recettes fiscales, mais qui a dit que la Paix et la guerre économique était antinomique ? La Paix, c'est bon pour les soirées électorales où l'on a une main sur le coeur et l'autre sur le paquet de mouchoirs en papier, où l'on regarde l'électeur droit dans les yeux en chevrotant : « Nos grand-pères sont morts dans les tranchées de Verdun, nos pères ont subi l'Occupation et le Nazisme. Que désirez-vous pour vos enfants ? La perspective d'une nouvelle guerre sur le sol européen ou la Paix sous les bons auspices du Marché auto-régulé ? »

Hors des périodes électorales, la question se pose de façon moins sentimentale. Faut être prosaïque quand on fait du business. On attrape pas des mouches avec du miel. Le pognon, faut aller le chercher là où il est, et pour ça, faut pas être bégueule et emmerder le capitaliste avec des mots comme solidarité, aménagement du territoire, justice sociale ou je-ne-sais-quoi d'autre. Le capitaliste ne fait pas là où on lui dit de faire. Il va là où est son intérêt, et partira de là si tel est son désir.
L'Europe qui se construit n'est pas celle de la solidarité. Chaque Etat qui la compose est en guerre contre son voisin et se bat avec ses armes, notamment parce qu'il a des comptes à rendre régulièrement au bon peuple citoyen qui pose sa crotte régulièrement dans l'urne.
L'Europe n'est donc pas celle de la solidarité et c'est écrit dans les textes. Ainsi, les Etats européens endettés ne peuvent avoir recours à la Banque centrale européenne pour financer leur déficit. En conséquence de quoi, les Etats endettés sont sommés d'aller chercher le pognon ailleurs, autrement dit sur le Marché. Et le Marché applaudit, parce que spéculer sur la dette d'un Etat souverain, ça rapporte parce qu'on peut jouer alors sur les taux d'intérêt : « J'ai le pognon, t'en as besoin, je fixe les conditions, tu les acceptes ou tu crèves. » C'est du donnant-donnant, autrement dit du gagnant-perdant. Aux Etats ensuite de convertir leur bon peuple citoyen aux joies de la rigueur, de l'austérité, de la diète. Et qui dit diète, dit purge. Car la crise de la dette offre la possibilité de liquider tout ce qu'il peut rester de filets sociaux de protection mis en place depuis un demi-siècle.
L'amour n'est décidément pas dans le prêt...