Pour accueillir la Coupe du Monde, le gouvernement a dépensé près de 85 millions d'euros pour le développement des infrastructures et de stades qui ne seront plus jamais remplis après. C'est une immense gifle au visage de tous ceux qui vivent dans un pays marqué par une extrême pauvreté, et un chômage de près de 40%. Au cours des cinq dernières années, les travailleurs pauvres ont exprimé leur indignation et leur déception face à l'incapacité du gouvernement à corriger les inégalités sociales massives, organisant dans tous le pays plus de 8000 manifestations pour exiger aussi bien des logements que l’accès à l’eau, à l’électricité ou à la santé.

L'Afrique du Sud a désespérément besoin d'infrastructures publiques de grande échelle, en particulier dans le domaine du transport public qui est presque entièrement absent dans certaines villes, notamment à Johannesburg. Le lancement du « Gautrain », sorte de RER local le mardi le 8 juin, à la veille de l’ouverture de la coupe du monde n’est en rien une réponse à ce problème : dans un pays où la grande majorité des habitants dépend pour ses transports quotidiens de longue distance des taxis/mini-bus privés sans aucune condition de sécurité, le Gautrain offre grande vitesse, transport de luxe pour les touristes et pour ceux qui voyagent entre Johannesburg et Pretoria, soit 54 kms ? Mais qui peut se l'offrir, quand un simple aller entre l'aéroport et le centre d’affaires de Johannesburg] coûte déjà 10 euros (pour rappel, le salaire moyen des salariés est de 570 euros)

La compagnie des Aéroports d'Afrique du Sud (ACSA) a dépensé plus de 1,6 millions d'euros pour la mise aux normes des aéroports. L'Agence nationale des routes sud-africaine, privatisée, a dépensé plus de 2,3 millions pour un nouveau réseau de routes à péage... Tout cela justifiera la mise en œuvre de mesures d'austérité drastiques pour récupérer les millions dépensés dans ces infrastructures dont la plupart sont d'un intérêt nul pour les Africains du sud pauvres qui représentent l’écrasante majorité du pays.
Partout dans le pays, les municipalités se sont embarquées dans des schémas de rénovation urbaine... accompagné de leurs inséparables programmes de « gentrification », le gouvernement tentant hâtivement de cacher sous le tapis la réalité de l'Afrique du Sud. A Johannesburg, ce sont plus de 15 000 sans abri et autres enfants des rues qui ont été raflés et jetés dans des « abris » ; au Cap la municipalité a expulsé des milliers de personnes des zones pauvres et des camps de squatters dans le cadre du projet « World Cup vanity » (« rendre la ville coquette pour la coupe du monde »). La ville de Cape Town a tenté - en vain - d'expulser de leurs maisons les 10 000 résidents du bidonville Joe Slovo afin de les soustraire au regard des touristes voyageant le long de l'autoroute N2. Ailleurs il y a eu des déportations pour faire place à des stades, à des parkings pour les touristes, ou à des gares. A Soweto, les routes sont embellies le long des itinéraires touristiques et ceux de la FIFA (fédération internationale de foot), tandis que les écoles adjacentes exhibent toujours leurs fenêtres cassées et leurs bâtiments en ruine.

Et que dire du déluge de propagande nationaliste ! Le vendredi a été déclaré « journée du foot ». La « nation » est encouragée (et les écoliers forcé) à porter le t-shirt de l'équipe nationale. Les voitures sont affublées de drapeaux, les gens apprennent la "diski-danse", et il est de rigueur d'acheter les poupées représentant la mascotte Zakumi. Quiconque ose exprimer un doute, critiquer ce battage est traité d’antipatriote : l'exemple le plus significatif a été l'appel lancé aux grévistes du Syndicat des transports (SATAWU) d'abandonner leurs revendications « dans l'intérêt national ». Dans un contexte où près d'un million d'emplois ont été perdus au cours de la seule dernière année, les déclarations du gouvernement sur la création de plus de 400 000 emplois par la coupe du monde sont insultantes. Ces emplois sont le plus souvent précaires et tenus par des travailleurs non-syndiqués et rémunérés très en dessous du salaire minimum.

En dehors de la répression contre les syndicats, les mouvements sociaux ont reçu la même hostilité de l'État, qui a officieusement interdit toute protestation pendant la durée de l'événement. Une enquête menée auprès des municipalités accueillant la Coupe du monde a révélé qu'une interdiction générale de tout rassemblement est en cours. Le conseil municipal du Cap a indiqué qu'il continuerait de recevoir les demandes pour l'organisation de manifestations, mais a indiqué que « cela pourrait être un problème » pendant la période de la Coupe du Monde.

La constitution sud-africaine, souvent salué pour son caractère « progressiste », est donc loin de garantir la liberté et l'égalité. Cette nouvelle forme de répression est clairement en contradiction avec le droit constitutionnel à la liberté d'expression et de réunion. Toutefois, les mouvements sociaux à Johannesburg, dont le Forum anti-privatisation et plusieurs autres n'ont pas renoncé si facilement. Ils ont obtenu une autorisation pour une marche de manifestation le jour même de l'ouverture, avec l'aide de l'Institut pour la liberté d'expression (Freedom of Expression Institute). Toutefois, la marche devra se tenir à trois kilomètres du stade… Le gouvernement sud-africain a trouvé un partenaire idéal avec la FIFA de Sepp Blatter. Une FIFA qui escompte de la coupe 2010 des retombées financières de l’ordre d’1,5 millions d'euros… en sachant qu’elle a déjà gagné plus de 1 million d'euros en vendant les droits de retransmission télé.

Les stades et les zones autour des stades, qui ont été remis à la FIFA pour la durée du tournoi sont des « cocons libres d'impôt ». Les routes et les points d'accès ont été débarrassée de toute personne vendant des produits sans licence et de tous ceux qui essaient de joindre les deux bouts dans les camps de squatters autour des routes de l'aéroport. Ainsi, ceux qui comptaient sur leurs ventes lors de la Coupe du monde pour augmenter leur revenu de survie sont écartés. La FIFA, propriétaire exclusif de la marque « Coupe du Monde » et de ses produits dérivés, dispose d'une équipe d'une centaine d'avocats qui éclusent le pays pour traquer toute vente non autorisée de ces produits et pour surveiller la commercialisation de la marque. Les produits illégaux sont saisis et les vendeurs sont arrêtés. Les journalistes ont également été efficacement bâillonnés : leur accréditation officielle inclue une clause les empêchant de critiquer la FIFA.

Constructions de camps de squatters temporaires aux portes mêmes des stades, manifestations massives, grèves… nombreux sont ceux qui continuent le combat et font entendre leurs voix en dénonçant publiquement les inégalités terribles qui caractérisent la société sud-africaine.