Dans un journal à destination du public féminin, deux journalistes nous offrent le portrait de cette Maïtena Biraben, une « présentatrice sans chichis » pour qui, je les cite : « La « green » attitude, c'est plus qu'un réflexe : une seconde nature ». D'ailleurs, pour nos deux journalistes d'investigation, elle est la « présentatrice la plus green du PAF ».
Maïtena avoue : elle accuse quelques kilos de trop, rame pour s'en débarrasser et s'en plaint comme il se doit quand on est une femme moderne et dynamique. Car que deviendrait la presse féminine et ses suppléments "Retrouvez sa ligne avant l'été !", "Vais-je rentrer dans mon bikini ?" et "Mangez bien, tout en maigrissant" si les femmes médiatiques rejetaient l'impéritif de "maigritude" qu'on impose au sexe dit faible ? Cette presse-là mourrait, tout simplement, et provoquerait du chômage chez les bûcherons, les imprimeurs, les buralistes et, ce qui est un moindre mal voire une bénédiction, chez les publicitaires.

Mais ce n'est pas de l'embonpoint tout relatif de Maïtena Biraben dont j'ai envie de vous parler ce soir. Dans cet article que j'imagine brillant, informatif et d'une grande audace conceptuelle, mon attention a été retenue par un simple paragraphe. Vous m'excuserez, j'imagine, assez vite de ne pas avoir poussé plus loin la lecture, ni même de mettre penché sur les articles relatifs à la crème anti-rides bio, les lampes basse conso qu'il conviendrait peut-être de boycotter, voire d'avoir dédaigné la possibilité de m'offrir un lifting aux antioxydants, quoi qu'un lifting perpétré par Al-Qaïda doit être assez radical. Mais laissons-là les jeux de mots oiseux.
Bref, ce paragraphe, je le livre séance tenante à votre sagacité légendaire : « Tout comme nous, elle est écolo. Prendre l'avion pour aller faire de la plongée sous-marine lui fend le coeur. Mais elle n'y résiste pas. Et compense en ne prenant jamais de bain. Mais pas question de culpabiliser ni de tout repeindre en vert. »

N'est-ce pas merveilleux ? Voici quelqu'un qui se douche afin d'équilibrer son fichu bilan carbone ! Voici quelqu'un qui me ressemble, puisque pour équilibrer mon bilan carbone, pas très déficitaire puisque je n'ai pas les moyens ni le temps de voyager, je ne tire la chasse d'eau qu'en fin de journée ! La qualité olfactive de mes toilettes s'en ressentent, certes, mais que ne ferais-je pour sauver la planète !
Au Moyen-âge, bourgeois et nobles achetaient auprès de l'église des Indulgences afin de s'assurer une place au Paradis ou, plus précisément, de s'éviter quelques années de purgatoire. Comme le disait si bien le prêtre dominicain Johann Tetzel il y a fort longtemps : « Aussitôt que l'argent tinte dans la caisse, l'âme s'envole du purgatoire. » Aujourd'hui, on ne craînt plus l'enfer, le purgatoire, le Jugement dernier, la colère de Dieu. Aujourd'hui, on se douche, si possible à l'eau froide, si possible avec de l'eau de pluie, et surtout, « pas question de culpabiliser » ! Ca, c'est fondamental : il ne faut pas que nos actions au quotidien nous tourmentent. Car parviendrait-on à vivre, c'est-à-dire à travailler et consommer, si cela devait nous conduire, chaque jour, à un examen de conscience ? Doit-on arrêter de fumer du kif marocain au motif que cela enrichit les mafieux locaux liés au pouvoir politico-militaire du royaume chérifien ? Doit-on cesser de faire du tourisme dans quelques pays soumis à la dictature au motif que cette manne économique permet aux dits pouvoirs de se maintenir en place ? Doit-on cesser de voter au motif que le grand cirque électoral légitime les oligarchies politiques en place, et celles qui rêvent de leur succéder ?

Maïtena Biraben incarne à merveille cette bourgeoisie bohème, cette classe moyenne supérieure et hédoniste qui se gorge de mots et n'en fait qu'à sa tête ; une classe moyenne qui trie ses déchets, mange bio, commerce équitablement, et s'envole pour les Caraïbes au printemps pour recharger ses batteries, se gaver de soleil en buvant un ti-punch ou faire plouf dans une eau à 30° histoire d'admirer les poissons multicolores. Ceci est une preuve de goût : les fonds marins sont en effet plus paradisiaques que les bas-fonds urbains entourant les complexes hôteliers... Elle en perçoit la contradiction mais elle n'en tire pas de conséquences : parce qu'il ne faut pas se prendre la tête, parce qu'il ne faut pas culpabiliser, parce qu'on a qu'une vie, parce qu'on l'a bien mérité, en tout cas davantage que ces foutus classes populaires qui ne trient pas leurs déchets, qui mangent gras dans des fast-food et se vautrent dans des loisirs vulgaires.

Toute proportion gardée, Maïtena Biraben me fait penser à tous ces multimillionnaires qui ont réussi dans les affaires, ont multiplié les filiales dans les pays pauvres parce que le coût du travail y est le plus intéressant, ont confié leur argent à des petits génies de la spéculation, et qui, peut-être pour sauver leur âme, montent des fondations pour aider les petits enfants qui souffrent de la faim parce que leurs parents ont des salaires de misère, pour aider les petits enfants qui souffrent de maladies parce que les lobbies pharmaceutiques font la guerre aux médicaments génériques, parce que le pauvre est encore moins rentable quand il a le sida ou la tuberculose. Comme l'écrit Nicolas Guilhot, « investir dans la philanthropie est d'autant plus rentable que le mécénat, l'événement charitable, le patronage des arts mais aussi le soutien apporté aux nobles causes font partie de l'habitus des dominants. » (Financiers, philanthropes – Vocations éthiques et reproduction du capital à Wall Street depuis 1970, Raisons d'agir, 2004).
Maïtena Biraben me fait enfin penser à tous ces artistes en vogue qui viennent chanter une fois l'an que la misère c'est pas bien, que l'on a plus le droit ni d'avoir froid, ni d'avoir faim, et qui, le devoir accompli, et en toute bonne conscience, s'en vont dormir dans un hôtel de luxe après un dernier verre de champagne. Les enfoirés ont du coeur, c'est sûr, et c'est plus rentable qu'une éthique.