Près d'un an après son installation à la Maison Blanche, Barack Obama intrigue beaucoup de ses partisans. Sans doute, certains s'imaginaient-ils qu'il suffisait d'être jeune, beau gosse, charismatique, a priori compétent et volontaire pour, tel un roi thaumaturge, guérir le pays, voire le monde, de tous ses maux en deux coups de cuillère à pot.

« Yes we can » réformer le système de santé américain... mais il faut faire avec l'égoïsme de citoyens qui se refusent à payer pour les autres, la puissance des lobbies pharmaceutiques, l'absence de consensus au sein du Parti Démocrate, et un Parti Républicain d'autant plus réactionnaire et offensif qu'il n'a pas de leader attitré.
« Yes we can » rendre la liberté à Mumia Abu-Jamal et Leonard Peltier, deux des prisonniers politiques les plus connus des Etats-Unis, symboles de la lutte des Noirs et des Indiens contre l'oppression... mais cela n'est même pas à l'ordre du jour.
« Yes we can » réformer le système des relations professionnelles, rendre plus aisée la syndicalisation... mais cela veut dire affronter le patronat et se voir taxer de gauchisme.
« Yes we can » fermer le camp de Guantanamo en un an... mais visiblement, « il va falloir attendre un peu ».

Installé entre les murs de la Maison blanche, Obama n'entend pas casser la baraque. La « rupture », ce n'est pas son truc. Il se sait sur un siège éjectable ; il sait donc qu'il doit composer avec une droite agressive, une opinion publique versatile et un establishment démocrate peu décidé à sacrifier sa carrière pour la Cause. Il doit également gérer un héritage lourd : celui de la présence militaire américaine en Asie, et notamment en Afghanistan. Hamid Karzai a joué un sacré tour à son ancien mentor. Sorti vainqueur d'une élection présidentielle qui tenait plus de la mascarade, il a tenu tête à tous les Etats qui voulaient lui imposer un second tour ; et dès que son rival malheureux a décidé de se retirer de la compétition, il fut de nouveau adoubé, de mauvais gré, par les puissants de ce monde qui savent à quel point un président corrompu, lié aux trafiquants de drogue, incompétent, donne une mauvaise image à la démocratie représentative. Des puissants bien impuissants face aux Talibans. Leur seul espoir réside dans la capacité de Karzai, le pashtoune, à créer des brèches dans le front taliban, à séparer les « bons » Talibans des « mauvais ». Par « bons » ou « mauvais », il faut entendre d'un côté ceux qui se satisferaient d'une solution nationale à la guerre en cours, de l'autre, ceux qui perçoivent leur combat comme « international ». Pour ces derniers, la guerre a mené est aussi une guerre contre le pouvoir pakistanais qui combat depuis des mois ses Talibans au Sud-Waziristan.

Depuis la guerre contre les Soviétiques, l'histoire de l'Afghanistan pourrait se résumer à une histoire d'alliances. Les chefs de guerre nouent des alliances, les défont, les reforment, pour des questions de pouvoir sur tel ou tel territoire, pour des questions d'honneur (évidemment !) et des questions d'argent, cela va sans dire. Le chef de guerre afghan est un entrepreneur à sa façon : il investit au mieux de ces intérêts qui sont également ceux de son clan ou de son sous-clan ; son allégeance n'est que ponctuelle, circonstancielle. Pour l'heure, les Talibans ont le vent en poupe, contrôlent une large partie du territoire, et essaiment dans le reste du pays. L'Etat afghan est un fantôme, et là où il est présent, il porte un uniforme et vit sur le dos d'une population épuisée par trente ans de guerre. Quant aux troupes étrangères présentes sur le sol afghan, quoi qu'elles fassent, elles ne peuvent attendre le soutien des populations. Car bien souvent ce sont les paysans afghans qui meurent sous les bombes lâchées par les avions et non des Talibans en armes. Les frappes chirurgicales ont cette fâcheuse tendance à faire des victimes collatérales...

Tout cela, Obama le sait. S'il s'est opposé à la guerre en Irak, il a toujours été favorable à une action forte en Afghanistan. C'est la stratégie militaire mise en place par son prédécesseur qu'il a contestée. Mais aujourd'hui, il lui faut faire avec. Avec le bourbier. Quitter l'Afghanistan et l'Irak, c'est faire preuve de faiblesse, accepter le retour au pouvoir à court terme des Talibans, donc renforcer « l'Internationale fondamentaliste ». Rester, c'est prendre le risque d'alimenter ad nauseam « l'anti-américanisme » des Afghans. Le pari d'Obama repose sur la capacité, non encore avérée, de l'armée pakistanaise à reprendre le contrôle militaire de sa frontière occidentale, donc à couper les talibans afghans de leurs frères pakistanais et d'Al-qaïda, les priver de leurs bases de repli. Si cela se réalise, alors le pouvoir afghan sera en position de force pour négocier avec les talibans. Entre hommes d'affaires, on peut toujours s'entendre...