Le PS est vivant, mais son socialisme est mort. Il a passé l'arme... à droite.
Par Patsy le dimanche, novembre 22 2009, 22:10 - Actualité politique - Lien permanent
Emission n°9 (novembre 2009)
Fin connaisseur du travail de Pierre Bourdieu, Alain Accardo a publié notamment, chez Agone, un livre court et incisif intitulé Le Petit bourgeois gentilhomme – Sur les prétentions hégémoniques des classes moyennes, et, dans la dernière revue Agone, deux textes aussi drôles et critiques sur les "penseurs critiques" dont je vous donnerai lecture certainement en guise de cadeau de Noël.
Dans la livraison de novembre du journal La décroissance, il a délivré une chronique acide sur le Parti socialiste et sa dernière tentative de relégitimation interne. Ecoutez plutôt...
« L’opposition de Sa Majesté Nicolas Ier, je veux dire le PS, vient de se livrer à une opération de communication fort bien menée, en vue de ravaler sa façade décrépite et dangereusement lézardée. L’équipe dirigeante de Martine Aubry, en butte aux difficultés incessantes créées par les irréductibles rivalités internes des courants et de leurs leaders, sur fond de discrédit grandissant à l’extérieur, a eu l’idée de se faire relégitimer en mobilisant les militants sur quelques thèmes porteurs de son choix. Elle a donc soumis au vote des adhérents un formulaire comportant onze questions, dont les deux plus importantes concernaient, l’une, l’organisation de primaires ouvertes à la gauche non socialiste pour désigner le prochain candidat du parti à la présidentielle ; l’autre, la fin du cumul des mandats pour les élus socialistes.
Sur la presque moitié des adhérents du PS qui se sont déplacés pour voter, une nette majorité a approuvé les propositions de la direction présentées sous forme de questions auxquelles il fallait répondre par oui ou par non. L’équipe dirigeante a immédiatement embouché les trompettes de la victoire complaisamment tendues par les grands médias qui se sont empressés de faire écho au chœur de l’autocélébration partisane, et nous n’avons sans doute pas fini d’entendre le PS se gargariser de son « ouverture démocratique », de sa « capacité de rénovation », de son « audace exemplaire », et autres vertus sans pareilles.
C’est à peine si François Hollande a perfidement essayé de tempérer l’enthousiasme débordant, en soulignant qu’il ne s’agissait pour l’instant que de positions « de principe », peuh !… ; la nouvelle n’en a pas moins retenti jusqu’au fond des chaumières : « Noël et Hosanna, Pâques et Alléluia, le PS est ressuscité, il s’est relevé d’entre les morts pour marcher parmi nous, grand est le PS et Martine est son prophète ! »
Toutefois, avant d’applaudir au miracle annoncé, j’aimerais faire part aux dirigeants socialistes de mon regret, partagé par beaucoup d’autres, de ne pas avoir trouvé dans le questionnaire soumis au vote des militants, une douzième question, formulée à peu près ainsi :
« Etes-vous d’accord pour que notre parti cesse de prendre les Français pour des conscrits de la dernière averse et de pratiquer la phrase de gauche dans l’opposition pour faire la politique de la droite une fois au pouvoir ? Etes-vous d’accord pour rompre radicalement avec le social-libéralisme des bourgeoisies européennes et pour renouer en actes avec la doctrine révolutionnaire anticapitaliste de Jaurès, au lieu de nous borner à des génuflexions rituelles devant sa statue comme des dévotes devant une relique ? Etes-vous d’avis qu’il faut élire à notre tête des travailleurs sortis du rang plutôt que des petits-bourgeois friqués et opportunistes sortis de l’ENA ? Etes-vous d’accord pour faire l’Europe des travailleurs plutôt que celle des spéculateurs ? Voulez-vous vraiment mettre un terme à la religion du Capital qui a fait de nous des sectateurs du CAC 40 et des fétichistes du Marché ? Voulez-vous vraiment casser les reins au capitalisme en nationalisant les banques et les grandes industries ? Bref, voulez-vous mériter à nouveau le nom de socialistes plutôt que celui de supplétifs et de régisseurs des affaires bourgeoises, quand ce n’est pas d’apostats et de traîtres à la cause du peuple ? Répondez par oui ou par non. »
Avouez, chers Martine Aubry, Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et tutti quanti, que si votre formulaire avait comporté cette douzième question, on y verrait plus clair dans vos intentions réelles et vous auriez même pu faire l’économie des onze autres. Mais en l’absence de ce genre de question, on peut craindre que votre opération ne serve pas même à énoncer des « principes » comme le dit votre camarade Hollande, mais vise seulement à redorer un « socialisme » de pacotille, sans principe et sans conséquence. »
A la lecture de ce texte cinglant et bien tourné, j'ai d'abord beaucoup ri. Mais ensuite, je me suis interrogé. Mon interrogation ne portait pas sur ce qu'Alain Accardo appelle la « doctrine révolutionnaire anticapitaliste de Jaurès » (j'avoue humblement ne pas connaître grand chose de la pensée de Jaurès, mais spontanément, et peut-être à tort, je ne cataloguerais pas sa pensée ainsi)(1), mais sur le lien pouvant encore exister entre le socialisme tel que proposé dans la « question 12 » et l'adhérent socialiste.
J'ai la faiblesse de croire que, majoritairement, les adhérents socialistes n'auraient pas voté « oui » à cette question. J'ai la faiblesse de croire que majoritairement, les adhérents socialistes sont d'accord pour défendre un « socialisme de pacotille, sans principe et sans conséquence ». Parce que je ne crois pas qu'il y ait un réel divorce entre les adhérents et la direction du PS, comme il y a un profond divorce entre le « peuple de gauche » et la direction du PS. Grogner parce que les éléphants s'égratignent en public et donne une mauvaise image du parti n'induit pas que l'on souhaite une autre politique, plus « socialiste ». Cela veut dire que l'adhérent a conscience que seul un parti en « ordre de bataille », rassemblé derrière une figure charismatique, est en mesure de conquérir le pouvoir.
Le PS n'est plus ce qu'il était jadis : un parti doté d'un ancrage populaire non négligeable(2). Cela, Alain Accardo le sait, puisqu'il a critiqué de fort belle manière ces classes moyennes qui ont troqué les espoirs d'émancipation collective pour les joies de l'hédonisme avec code-barres (or, une partie de ces classes moyennes vote, voire milite dans la gauche socialiste)(3). Le poids des élus de tout niveau, et des militants qui travaillent pour eux s'est considérablement accru au sein de l'organisation, ce qui fait que les adhérents « simples » pèsent de moins en moins dans le débat interne. Le PS a fait son Bad Godesberg en adoptant sa nouvelle déclaration de principe en juin 2008, sans que cela ne provoque ni implosion ni départ un tant soit peu conséquent de militants ; et l'on peut dire la même chose à propos du congrès de Reims. Les motions les plus à gauche ont été battues, laminées par celle défendue par Royal, Delanoë, Aubry et consorts.
J'ai le sentiment qu'Alain Accardo ne veut pas se résoudre à voir disparaître le socialisme auquel il tient au profit d'un social-libéralisme blairisé. J'ai le sentiment qu'il ne peut se résoudre à abandonner à son triste sort le Parti socialiste. Il rêve d'un sursaut de l'adhérent de base, bousculant l'establishment, s'emparant de la machine pour lui redonner un souffle, une âme de gauche et empêcher sa dérive. En osant un parallèle historique, cela m'a rappelé la controverse ancienne et célèbre ayant opposé Bernstein et Kautsky, deux figures du socialisme allemand. Nous étions à la fin du 19e siècle(4). Face à Kautsky, le marxiste orthodoxe, Bernstein avançait que les sociaux-démocrates devait avoir « le courage de paraître ce qu'ils sont en réalité, de s'émanciper d'une phraséologie dépassée dans les faits et d'accepter d'être un parti des réformes socialistes et démocratiques ». Bernstein avait raison : la radicalité des propos cache bien souvent le modérantisme de la pratique. Un siècle a passé, et le réformisme d'un Bernstein peinerait à trouver sa place dans le PS d'aujourd'hui.
Rendons-nous à l'évidence : le Parti socialiste est vivant, mais son socialisme est mort. Il a passé l'arme... à droite.
(1) Collectif, Jaurès et la classe ouvrière, Ed. Ouvrières, 1981.
(2) Rémi Lefebvre, Frédéric Sawicki, La société des socialistes – Le PS aujourd'hui, Ed. du Croquant, 2006.
(3) Alain Accardo, Le Petit bourgeois gentilhomme – Sur les prétentions hégémoniques des classes moyennes, Agone, 2009.
(4) Emmanuel Jousse, Réviser le marxisme ? - D'Edouard Bernstein à Albert Thomas (1896-1914), L'Harmattan, 2007.
Commentaires
Brillante démonstration, Patsy.
La "République des professeurs" (cf la composition de l'Assemblée Nationale en 1981) est toujours là!!
Fidèle à elle-même, toujours au Centre Gauche;
DSK monte dans les sondages; il paraît qu'il est le seul à pouvoir battre Sarko en 2012. A condition que, de guerre lasse et plus dépités que jamais, les petites gens acceptent d'avaler encore une fois la couleuvre.
Accardo s'époumonne en pure perte, il y a belle lurette que le PS n'est plus socialiste. C'est vrai, Valls a raison, le PS devrait aller au bout de cette logique et s'appeller désormais un truc comme "Parti socio-démocrate". Ca permettrait de sortir de la confusion.
Pour autant il n'est pas sûr que la clarification des positions soit une bonne opération électorale.
à suivre.
Merci à toi fidèle Arlequin de me lire !
A moins qu'il ne pince de nouveau les fesses d'une collaboratrice non consentante (et que celle-ci ose s'en plaindre publiquement), DSK a en effet le profil de l'emploi. Ne règne-t-il pas déjà sur le FMI ? Mais bon, il a déjà été boulé une fois par la Passionaria du Poitou, alors...
Quant à Alain Accardo, il m'a répondu et je n'attends que son feu vert pour rendre public son courrier...
Comme je te sais lecteur de ses livres, le contenu de sa réponse devrait te rassurer !
Alain Accardo m'a adressé le message suivant et autorisé of course à le publier sur le blog :
"Votre commentaire donnera sans doute à penser à certains de vos lecteurs (auditeurs) que je suis incurablement nostalgique du PS d’autrefois. Il n’en est rien. Je n’ai jamais été un partisan du PS, de l’ancien pas plus que du moderne. Mais du moins, avant qu’il ne tourne doctrinalement le dos à la lutte des classes, était-il permis de le considérer comme un allié potentiel de tous ceux qui se battaient contre la domination du Capital. Il y a d’ailleurs encore aujourd’hui dans ses rangs des militants respectables qui regrettent cette évolution et aimeraient le ramener dans sa voie originelle. Mais, rassurez-vous, je sais qu’il s’agit là d’un groupe vestigial, une sorte de vieille garde en voie d’extinction dont je n’ai pas la naïveté de croire qu’elle ait le pouvoir de changer l’orientation de son parti.
Je crois comme vous que, dans sa grande majorité, la base du PS a la direction qu’elle mérite, et qu’elle aurait répondu « non » sans état d’âme à ma 12ème question. Ce n'était là qu'une interrogation rhétorique.
Pourquoi alors accorder tant d’attention, et si sévère, à ce que fait le PS ? Ne vaudrait-il pas mieux le laisser sombrer après avoir pris acte de sa dérive définitive ? Je le voudrais bien. L’ennui, c’est qu’il n’a pas encore sombré. Grâce à une mise en scène médiatique puissante combinée à l’inertie des institutions et à un soutien électoral encore important de la part d’un électorat moyen et aussi populaire à la fois complice et abusé, le PS continue à incarner la Gauche française, la seule opposition crédible, etc. La vieille barque vermoulue reste à flot, et les travailleurs qui se noient continuent à la prendre pour un canot de sauvetage. Et tant qu’elle flottera elle sera un obstacle sur la voie d’un changement réel. Il faut la couler. Pour cela il faut éclairer beaucoup plus de gens sur l’imposture d’un PS dont ils n’ont pas toujours une idée bien nette. C’est ce que je m’efforce de faire, à la mesure de mes modestes moyens.
Comme vous voyez, il n’y a guère de nostalgie dans ma démarche, et encore moins de naïveté. Je serais tenté de vous faire remarquer que c’est plutôt dans votre vision d’un « peuple de gauche » en état de « profond divorce » avec le PS, qu’on pourrait soupçonner un zeste de romantisme. Mais ce serait pure taquinerie de ma part, car j’ai le sentiment que nous sommes bien d’accord sur l’essentiel."
J'aime assez les "taquineries" d'Alain Accardo!
;-))))
Si un jour nous rompons tout à fait avec le romantisme, alors y aura plus qu'à se jeter du pont Anne de Bretagne (quand même)!
La "réthorique" d'Alain Accardo est imparable.
Je sens, avec angoisse, venir le moment où nous aurons le choix entre voter pour un candidat porteur de cette "lutte contre la domination du Capital" et un candidat PS, SEUL capable de battre sarko.
Voilà donc le dilemme sans cesse renouvelé mais plus aigü que jamais qui se présente à cette "part de l' électorat moyen et aussi populaire à la fois complice et abusé" dont je ne prétends pas ne pas faire partie ...!
Dur, Dur !
à+ Patsy!