Lucy Parsons, Je m'appelle révolution. Ecrits et paroles d'une éternelle agitatrice, Lux, 2024. --- Ma chronique.
Jérémie Foa, Tous ceux qui tombent. Visages du massacre de la Saint-Barthélémy, La Découverte, 2024 (2021).
Jean-Philippe Martin, Paysannes. Histoire de la cause des femmes dans le monde agricole des années 60 à nos jours, Editions de l'Atelier, 2025.
Anne Mathieu, Sur les routes du poison nazi. Reporters et reportrices de l'Anschluss à Munich, Syllepse, 2024.
Hervé Théry, Amazone. Un monde en partage, CNRS Editions, 2024.
Michel Kokoreff, Emeute, Anamosa, 2024.
Laura Petersell et Kévin Certenais, Régime général. Pour une sécurité sociale de l'alimentation, Editions syndicalistes, 2024.
Echanges (bulletin), n° ultime (2025) --- Numéro qui rend hommage à son principal animateur, Henri Simon, vieille figure du "conseillisme", décédé à 102 ans.
Henry Bogdan, La guerre de Trente ans 1618-1648, Perrin, 1997.
Eugen Weber, L'Action française, Fayard, 1985.
Henry Laurens, Français et Arabes depuis deux siècles. La "chose franco-arabe", Tallandier, 2012.
vendredi, janvier 31 2025
Mes lectures de janvier 2025
Par Patsy le vendredi, janvier 31 2025, 21:50
dimanche, janvier 26 2025
Chomsky et l'impérialisme américain
Par Patsy le dimanche, janvier 26 2025, 13:37 - Notes de lecture
Noam Chomsky et Vijay Prashad, Le retrait. La fragilité de la puissance des Etats-Unis : Irak, Libye, Afghanistan, Lux, 2024.
Alors que Donald Trump vient de poser ses valises, sa grossièreté, son arrogance et Elon Musk à la Maison blanche, avec les conséquences que cela est censé avoir sur la politique étrangère du pays, il peut être judicieux de lire les échanges entre Noam Chomsky et l’historien Vijay Prashad1 réunis dans Le retrait. La fragilité de la puissance des Etats-Unis : Irak, Libye, Afghanistan.
Depuis plus d’un demi-siècle2, Chomsky n’a de cesse de « rejeter l’exceptionnalisme américain » et de dénoncer « l’incroyable désinvolture avec laquelle le massacre délibéré de vies humaines ordonné par l’État se trouve minimisé sous l’effet de l’idéologie américaine ». Au nom de la défense de la Liberté et du business, les Etats-Unis et le monde dit libre ont ainsi massacré des millions de personnes à travers le monde depuis la fin du second conflit mondial, mais nos grands médias, autre cible de Chomsky avec les intellectuels médiatiques, ne pointent que les crimes « communistes », une sorte de reductio ad Stalinum, en somme. C’est au nom de l’anticommunisme que l’Asie du sud-est fut noyé sous les bombes, et Chomsky, comme beaucoup d’Américains, a été profondément marqué par la guerre du VietNam…
« Personne ne peut rien exiger du parrain, qui décide de tout et prend ce dont il a besoin » nous dit Chomsky. Puissance impériale majeure, les Etats-Unis règnent sur le monde et s’octroient le droit de « faire la guerre préventive à volonté » : « Défier les Etats-Unis exige un peu de courage et d’indépendance. Voilà qui est trop demandé aux dirigeants européens. Ils se contentent d’obéir aux ordres du parrain ». La formule est rude et non dénuée de vérité mais elle a aussi ses limites : les relations internationales ne sont jamais à sens unique, et les acteurs étatiques tentent toujours de négocier au mieux de leurs intérêts leur position subalterne3.
Hier comme aujourd’hui, les mensonges, repris par les médias, sont au coeur du dispositif impérialiste : il faut « fabriquer du consentement ». Que n’inventerait-on pour justifier une intervention militaire ou en préparer une ? Des armes de destruction massive d’un côté, un risque nucléaire de l’autre : « la propagande est à la démocratie ce que la violence est au totalitarisme »4.
Dans l’oeil du viseur chomskyen, il y a également l’OTAN qui, le danger soviétique écarté, a été « restructurée de façon à permettre aux Etats-Unis d’asseoir leur domination sur la planète », au risque, par exemple, de « provoquer une escalade des tensions avec la Chine. »
« Une fraction du budget militaire (américain) suffirait (pour) rénover les infrastructures vétustes et répondre aux plus urgents besoins sociaux » se désole-t-il. Nonagénaire, Chomsky pose un regard très pessimiste sur son pays : « On ne peut survivre à cette société dysfonctionnelle. C’est impossible », dit-il avant de se reprendre et d’affirmer qu’il « est possible d’éviter la catastrophe et de faire advenir un monde meilleur ». Mais voilà : en 2020, parlant de Donald Trump, Noam Chomsky a écrit : « L’idée que le destin d’un pays et du monde soit entre les mains d’un bouffon sociopathe est particulièrement inquiétante5. »
1 Vijay Prashad, Une histoire politique du tiers-monde, Ecosociété, 2019.
2 Noam Chomsky et Edward Herman, Economie politique des droits de l’homme, Albin Michel, 1981.
3 Soulignons la réédition en poche du livre de Bertrand Badie, Intersocialités. Le monde n’est plus géopolitique (CNRS Editions, 2024).
4 Noam Chomsky, Contrôler l’opinion publique, 1996 ; Noam Chomsky et Edward Herman, La fabrique de l’opinion publique, 1988.
5 Noam Chomsky et Marv Waterstone, Les conséquences du capitalisme. Du mécontentement à la résistance, Lux, 2021.
lundi, janvier 20 2025
Lucy Parsons, révolutionnaire
Par Patsy le lundi, janvier 20 2025, 20:10
Lucy Parsons, Je m’appelle révolution. Ecrits et paroles d’une éternelle agitatrice, Lux, 2024.
Lucy Parsons : ce nom ne vous dira sans doute rien. Grâce à Je m’appelle révolution. Ecrits et paroles d’une éternelle agitatrice, anthologie de textes coordonnée par Francis Dupuis-Déri pour le compte des éditions Lux, nous en savons désormais un peu plus sur cette révolutionnaire nord-américaine née au Texas en 1853 et morte dans l’incendie de sa maison à 89 ans.
Lucy Parsons, née esclave ou métis mexicano-indienne, commença à militer avec son mari, le typographe libertaire Albert Parsons, à la fin des années 1870. Elle était là quand éclata la grande grève pour les huit-heures qui secoua Chicago en 1886 et mena son époux à la potence un an plus tard1. Ce drame aurait pu l’éloigner de la vie militante : il n’en fut rien. Jusqu’à ses soixante ans, elle continua son labeur de propagandiste, de « prêtresse de l’anarchie ». Jusqu’à sa mort, malgré la vieillesse et la cécité, elle s’intéressa aux mouvements sociaux. Puisque « la classe capitaliste a semé le vent, elle récoltera la tempête ».
Son arme : un langage simple, clair, qui parle au coeur (« J’ai des yeux pour voir la misère et des oreilles pour entendre le cri des désespérés et des malheureux de la terre »). Dans son viseur : la violence du système capitaliste et l’injustice sociale, la condition féminine et les politiciens américains ; mais curieusement, elle écrit fort peu sur la situation subie par les Afro-Américains au pays de la liberté : tout juste les appelle-t-elle à s’émanciper de la tutelle des politiciens et des religieux, à se mêler aux luttes sociales et à répondre par la violence à ceux qui les agressent.
Lucy Parsons n’est pas une théoricienne, et très rares sont les textes proposés ici qui évoquent le paradis à bâtir sans tarder pour s’émanciper de l’État et des patrons ; et dans ses textes, cette grande lectrice ne cite aucun penseur libertaire de renom. Syndicaliste-révolutionnaire, c’est en prolétaire qu’elle parle et agit, persuadée que l’anarchisme, par sa défense intransigeante de la liberté, a trouvé aux Etats-Unis sa terre d’élection.
Lucy Parsons n’a rien d’une boutefeu. Elle est persuadée qu’un « long processus d’éducation doit précéder toute transformation fondamentale de la société », tout en ayant une profonde confiance dans la capacité des individus à se prendre en charge eux-mêmes : « Laissez l’être humain ressentir l’effet revigorant de la responsabilité assumée et de la maîtrise de soi », écrit-elle. De la même façon, elle refuse le sectarisme et les guerres intestines : « Jamais je ne refuserais de collaborer avec des gens parce que je suis en désaccord avec eux », affirme-t-elle lors du congrès de fondation en 1905 des IWW, organisation rassemblant des syndicats animés par des anarchistes et des socialistes révolutionnaires et au sein de laquelle la participation à la démocratie bourgeoise sera l’un des débats centraux.
A la fin de sa vie, cette battante se désole de l’état groupusculaire du mouvement anarchiste et de son incapacité à parler aux masses. Elle considère l’anarchisme dépassé ; quant au socialisme, il est « dans le creux de la vague ». « Nous vivons des temps bien étranges », écrit-elle en ce mois de février 1934. Trois ans plus tard, le mouvement ouvrier américain, s’appuyant sur le New Deal rooseveltien, multipliait grèves sauvages et occupations...
1. Sur les martyrs de Chicago, je vous renvoie à la lecture de Martin Cennevitz, Haymarket. Récit des origines du 1er mai, Lux, 2023.
jeudi, janvier 2 2025
L'eugénisme en version latine
Par Patsy le jeudi, janvier 2 2025, 10:15 - Notes de lecture
Xavier Tabet, Françoise Martinez et Manuelle Peloille (slld), Fabriques latines de l’eugénisme 1850-1930, PUR, 2024.
Qu’y a-t-il à l’origine de l’eugénisme ? La volonté d’améliorer le patrimoine génétique d’une population donnée. Ne « lire l’histoire de l’eugénisme qu’au prisme de l’Holocauste » et des lebensborn ne peut être que réducteur. On a longtemps associé l’eugénisme au monde anglo-saxon et allemand, ou, pour être plus juste, on a opposé un eugénisme nordique dit « négatif », favorable à l’élimination des êtres dit inférieurs, à un eugénisme latin dit « positif », « proche de l’hygiène sociale et de la santé publique », visant à encourager la reproduction des individus réputés supérieurs. Une quinzaine de chercheurs nous rappellent, avec leur livre Fabriques latines de l’eugénisme 1850-1930, que rien n’est moins simple : l’eugénisme positif est en réalité un « archipel multiforme caractérisé par une multiplicité de variantes politiques, sociales et culturelles, et par la présence de différents styles nationaux ». Progressistes et réactionnaires, démocrates et autoritaires, néomalthusiens et féministes, humanistes et darwinistes sociaux… des militants, des scientifiques comme des hommes d’État « latins » ont soutenu et porté des politiques eugénistes parfois d’une grande brutalité1.
Un spectre hante le 19e siècle pour les élites politiques et scientifiques : la dégénérescence de la race. Dans ce siècle marqué par le développement de la biologie et de la médecine, le recul de la religion et la montée des nationalismes, « l’eugénisme remplace la peur du déclin » : améliorer la race est possible, nécessaire, et, si l’on veut éviter la décadence, il est même du devoir de l’État d’intervenir fermement afin de bonifier le capital humain de la nation. L’éminent physiologiste pacifiste et prix Nobel Charles Richet déclare ainsi : « l’individu n’est rien et l’espèce est tout ». Derrière l’eugénisme, il y a toujours de la politique et de l’idéologie, un regard sur le monde et sur les périls qu’il faut conjurer. Et au mitan de ce 19e siècle de grands bouleversements, les périls sont nombreux !
Quels sont donc les visages de la dégénérescence ? Il y a l’idiot et le criminel-né, victimes de leur hérédité, qu’il faut supprimer ou stériliser, le prolétaire des bas-fonds urbains aux instincts primaires et sa femme trop féconde, la populace trop nombreuse pour être négligée… mais pas forcément le métis, ce bâtard produit notamment par la colonisation2, et qui tourmente la communauté scientifique. A ceux qui entendent préserver la race supérieure de toute impureté, d’autres, bien plus rares il est vrai, défendent le métissage, tout en tenant pour acquises la hiérarchie raciale et la suprématie de la race blanche. Ainsi au Pérou, pour conjurer le « péril indien », le métissage va s’inscrire dans le cadre d’une politique raciste et paternaliste de désindianisation du pays et de contrôle de la sexualité féminine.
Optimistes, pessimistes, pragmatiques : certains considèrent qu’il faut agir sur l’environnement pour régénérer la race, quand d’autres pensent que c’est peine perdue.
Les auteurs soulignent que le monde « latin » ne fut pas immunisé contre l’eugénisme négatif et épargné par le darwinisme social et son mépris pour les faibles et les disgraciés, bien au contraire. Dans un monde où les chercheurs se lisent, se critiquent et s’influencent, ils s’avèrent que certaines idées portées par des eugénistes « latins » furent « récupérées plus tard dans des pratiques dites négatives de l’eugénisme ».
1 André Pichot, La société pure. De Darwin à Hitler, Flammarion, 2000.
2 Jean-Frédéric Staub et Silvia Sebastiani, Race et histoire dans les sociétés occidentales (15-18e siècle), Albin Michel, 2021, pp. 192-205.
jeudi, janvier 2 2025
Berneri et Rosselli, l'antifascisme et la révolution
Par Patsy le jeudi, janvier 2 2025, 10:10 - Notes de lecture
Camillo Berneri, Carlo Rosselli, Enzo Di Brango (Edition préparée par), Contre l’État. Articles et correspondance 1935-1936, Les Nuits rouges, 2024.
Camillo Berneri et Carlo Rosselli, deux Italiens, militants révolutionnaires, hérétiques, que deux choses unissent : un destin tragique et une volonté de conjurer le sectarisme minant l’antifascisme transalpin. Ils sont au coeur de Contre l’État. Article et correspondance, livre proposé par Enzo Di Brango et publié par les Nuits rouges.
Destin commun : l’anarchiste Camillo Berneri a été liquidé à Barcelone par les « fascistes rouges » le 5 mai 1937 en pleine semaine sanglante1, ce moment tragique qui vit la République alliée aux staliniens mettre au pas par les armes les révolutionnaires les plus radicaux ; un mois plus tard, le socialiste Carlo Rosselli était exécuté, comme son frère, par l’extrême droite française aux ordres de Mussolini.
Rénovation : Berneri pourfend l’anarchisme « ossifié » et s’en prend aux camarades à la « mentalité étroite et paresseuse » qui « (ruminent) la parole des maîtres »2 ; de son côté, Carlo Rosselli, fondateur du groupe antifasciste Justice et liberté, appelle à insuffler de l’éthique et du volontarisme dans le marxisme3, en somme il propose de relire Marx plutôt que ses épigones4. Le « socialisme libéral » qu’il défend n’est pas un réformisme : c’est un socialisme révolutionnaire qui considère que le socialisme est une philosophie de la liberté, non un étatisme castrateur et bureaucratique.
En 1935 et 1936, ils ont donc engagé le débat mais le but n’était pas la fusion des forces en présence : Berneri attache d’ailleurs une « valeur très relative aux programmes » politiques car « l’histoire en action » se charge de les rendre obsolètes, et Rosselli ne recherche que le débat d’idées et la collaboration pratique. Au coeur de leurs échanges, il y a la question de l’État ; un Etat qui n’est plus appréhendé par Berneri seulement comme machine répressive mais comme « échafaudage administratif » qu’on ne peut pas détruire mais que la population doit se réapproprier ; un Etat « ennemi de la société », monstre et parasite, qui est partout, répond Rosselli en s’appuyant sur les écrits de Marx lui-même.
Contre le centralisme qui étouffe la spontanéité et la créativité, contre le culte de l’État, contre le « paradis soviétique » (même si l’URSS, Lénine ou Staline sont quasiment absents de leurs discussions), Berneri et Rosselli défendent un socialisme libéral fédéraliste reposant sur la commune, le conseil d’usine, les bourses du travail, « organes vivants de l’autonomie ». Le parti omniscient avec ses grands prêtres n’a pas sa place dans ce schéma. Le parti n’est pas un Etat en miniature, nous dit Rosselli, mais « une société microcosmique, avec toute la pluralité, l’intensité et la richesse des motifs propres à une société libre et active ».
Berneri et Rosselli : deux hommes qui pensaient et qui agissaient. Lorsqu’a éclaté la guerre d’Espagne en juin 1936, ils traversèrent les Pyrénées et mirent sur pied une colonne italienne qui intégra une milice anarchiste espagnole intervenant sur le front d’Aragon. Ils y firent face à leurs deux ennemis : le fascisme et le stalinisme.
1 Outre les ouvrages classiques (Bolloten, Témime/Broué, Peirats…), signalons Michel Ollivier (Coord.), L'anarchisme d’État, La Commune de Barcelone, Ni Patrie, ni frontières, 2015 ; Carlos Semprun Maura, Révolution et contre-révolution en Catalogne - Socialistes, communistes, anarchistes et syndicalistes contre les collectivisations, Les Nuits rouges, 2002 ; Agustin Guillamon, Barricades à Barcelone 1936-1937, Spartacus, 2009.
2 Camillo Berneri, Oeuvres choisies, Editions du Monde libertaire, 1988.
3 Carlo Rosselli, Socialisme libéral. Traduction et présentation par Serge Audier, Le Bord de l’eau Ed., 2009.
4 Maximilien Rubel, Marx critique du marxisme, Payot, 1974.
samedi, décembre 28 2024
Mes lectures de l'année 2024
Par Patsy le samedi, décembre 28 2024, 13:30
Rémi Carayol, Mayotte. Département colonie, La Fabrique, 2024. --- Ma chronique.
Camillo Berneri et Carlo Rosselli, Contre l'Etat. Articles et correspondance 1935-1936 (Edition préparée par Enzo Di Brango), Les Nuits rouges, 2024.
Emmanuel Blanchard, Des colonisés ingouvernables. Adresses d'Algériens aux autorités françaises (Akbou, Paris, 1919-1940), Presses de SciencesPo, 2024.
Jacques Tupinier, Main d'oeuvre au Cameroun, Classiques Garnier, 2024. --- Ma note.
Julie Gervais, CLaire Lemercier, Willy Pelletier, La haine des fonctionnaires, Ed. Amsterdam, 2024. --- Ma note.
Laurent Le Gall et Mannaïg Thomas, Tradition, Anamosa, 2024.
Alain Deneault, Faire que ! L'engagement politique à l'ère de l'inouï, Lux, 2024.
Ugo Palheta (Coord.), Extrême-droite : la résistible ascension, Editions Amsterdam, 2024. --- Ma chronique.
CIRA (sous la direction de), Refuser de parvenir, Nada, 2024.
Célestin Bouglé, La sociologie de Proudhon, OpenCulture, 2024 (1908).
Patrice Rolland, Georges Sorel. Le prolétariat dans la démocratie, Kimé, 2024.
Michel Feher, Producteurs et parasites. L'imaginaire si désirable du Rassemblement national, La Découverte, 2024.
Hélène Combes, De la rue à la présidence. Foyers contestataires à Mexico, CNRS Edtions, 2024. --- Ma note.
Rachad Antonius, La conquête de la Palestine. De Balfour à Gaza, une guerre de cent ans, Ecosociété, 2024.
Enzo Traverso, Gaza devant l'Histoire, Lux, 2024.
Edouard Morena, Paysan, Anamosa, 2024. --- Ma note.
John Bellamy Foster, Marx écologiste, Ed. Amsterdam, 2024. --- Ma chronique.
Murray Bookchin, Les anarchistes espagnols. Les années héroïques (1868-1936), Lux, 2023. --- Ma note.
Christian Le Bart, La politique à l'envers. Essai sur le déclin de l'autonomie du champ politique, CNRS Editions, 2024.
Elsa Dorlin (sldd), Guadeloupe Mai 67. Massacrer er laisser mourir, Libertalia, 2023.
Alternatives Sud, Dissidences dans la "nouvelle" Inde, Centre Tricontinental, 2024.
Jacquot/Monier/Paindorge/Paye (sldd), Bataville (1931-2001). Ville-usine de la chaussure, Presses universitaires de Grenoble, 2023.
Stéphane François, La Nouvelle Droite et le nazisme, une histoire sans fin. Révolution conservatrice allemande, national-socialisme et alt-right, Le Bord de l’eau, 2023. --- Ma note.
Brigitte Stora, L'antisémitisme, un meurtre intime, Le Bord de l'eau, 2024.
Alternatives Sud, BRICS+. Une alternative pour le sud global, Centre tricontinental, 2024.
Arnaud Dolidier, La CNT et le mouvement libertaire pendant la transition démocratique espagnole. De la reconstruction à la scission (1976-1979), ACL, 2023. --- Ma chronique
Didier Guignard, L'Algérie sous séquestre, CNRS Editions, 2024. --- Ma chronique.
Jean-Pierre Chrétien, Combattre un génocide. Un historien face à l'extermination des Tutsi du Rwanda (1990-2024), Le Bord de l'eau, 2024. --- Ma chronique.
Gonzalo Wilhelmi, Le mouvement libertaire pendant la transition. Madrid 1975-1982, Le Coquelicot, 2023.
Daniel Finn, Par la poudre et par la plume. Histoire politique de l'IRA, Agone, 2023.
Samuel Moyn, L'Affaire Treblinka. 1966 une controverse sur la Shoah, CNRS Editions, 2024.
Anatole Le Bras, Aliénés. Une histoire sociale de la folie au 19e siècle, CNRS Editions, 2024. --- Ma note.
X. Tabet, F. Martinez, M. Peloille (sous la direction de), Fabriques latines de l'eugénisme 1850-1930, PUR, 2024.
Roland Marchal, Centrafrique: la fabrique d'un autoritarisme, Les Etudes du CERI n°268-269, 2023.
Michel Offerlé, Patron, Anamosa, 2024. --- Ma chronique.
Jean-Fabien Spitz, La République ? Quelles valeurs ? Essai sur un nouvel intégrisme politique, Gallimard, 2022.
Joshua Cole, Le provocateur. L'histoire secrète des émeutes antijuives de Constantine (août 1934), Payot, 2023.
Robert Hirsch, La gauche et les Juifs, Le Bord de l'eau, 2022.
Eduardo Galeano, Sens dessus dessous. L'école du monde à l'envers, Lux, 2023. --- Ma chronique
Marc Perelman, 2024. Les Jeux olympiques n'ont pas eu lieu, Editions du Détour, 2024. --- Ma chronique.
L'Humanité, 100 ans après sa mort. Que faire avec Lénine, L'Humanité, 2023.
Olivier Mahéo, De Rosa Parks au Black Power. Une histoire populaire des mouvements noirs, 1945-1970, PUR, 2024. --- Ma chronique.
Moyen-Orient (Revue), n°61 (01/2024, Crise alimentaire et géopolitique de la faim), 2024.
Victor Pereira, C'est le peuple qui commande. La révolution des Oeillets 1974-1976, Editions du Détour, 2023. --- Ma chronique.
Béatrice Orès, Michèle Sibony et Sonia Fayman, Antisionisme. Une histoire juive, Syllepse, 2023.
Nikolaï Kostomarov, La révolte des animaux, Editions Sillage, 2023.
Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Un djihad sans foi ni loi. Ou la guerre contre le terrorisme à l'épreuve des réalités africaines, PUF, 2022.
Nicolas Bancel, Le postcolonialisme, Que sais-je ?, 2022.
Stéphane Lacroix, Le crépuscule des saints. Histoire et politique du salafisme en Egypte, CNRS Editions, 2023.
Jean Charles, Naissance et implantation de la Confédération générale du travail unitaire (1918-1927), Presses universitaires de Franche-Comté. --- Ma chronique.
Noam Chomsky, Vijay Prashad, Le retrait. Les fragilités de la puissance des Etats-Unis : Irak, Lybie, Afghanistan, Lux, 2024.
DECEMBRE 2024
Bruno Amable et Stefano Palombarini, L'illusion du bloc bourgeois. Alliances sociales et avenir du modèle français, Raisons d'agir, 2024.
Jacques Carré, La prison des pauvres. L'expérience des workhouses en Angleterre, Vendémiaire, 2016.
Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le Troisième Reich 1933-1945, Seuil, 1998.
Prévenir (Revue), Autour du premier congrès des sociétés de secours mutuels. Lyon 1883-1983, 1984.
Johann Chapoutot et Jean Vigreux (sldd), Des soldats noirs face au Reich. Les massacres racistes de 1940, PUF, 2015.
Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud, Antivax. La résistance aux vaccins du 18e siècle à nos jours, Vendémiaire, 2019.
Philippe Burrin, Fascisme, nazisme, autoritarisme, Seuil, 2000.
Jean-Luc Domenach et Philippe Richer, La Chine 1949-1985, Imprimerie nationale, 1987.
Gosta Esping-Andersen, Les trois mondes de l'Etat-providence. Essai sur le capitalisme moderne, PUF, 1999.
Henry C. Galant, Histoire politique de la sécurité sociale française 1945-1952, Comité d'histoire de la SS, 2004.
Zeev Sternhell, Maurice Barrès et le nationalisme français, Fayard, 2016 (1972).
Amandine Barb et Denis Lacorne (sldd), Les politiques du blasphème, Karthala, 2018.
Rosa-Maria Gelpi et François Julien-Labruyère, Histoire du crédit à la consommation. Doctrines et pratiques, La Découverte, 1994.
Michaël Löwy, Ecosocialisme. L'alternative radicale à la catastrophe écologique capitaliste, Mille-et-une nuits, 2011.
Ian Kershaw, Qu'est-ce que le nazisme ? Problèmes et perspectives d'interprétation, Gallimard, 1997.
Mikhaïl Boulgakov, Coeur de chien, Le Livre de poche, 1999.
Pierre Hazan, La Guerre des six jours. La victoire empoisonnée, Editions Complexe, 1989.
Jean Bouvier, Les Rothschild. HIstoire d'un capitalisme familial, Editions Complexe, 1992.
Dominique Lecourt, L'avenir du progrès. Entretien avec Philippe Petit, Textuel, 1997.
Christian Baechler, L'Allemagne de Weimar 1919-1933, Fayard, 2007.
Jean Rabaut, Tout est possible ! Les gauchistes français, 1929-1944, Libertalia, 2018.
François Guihéneuf, Bernard Lambert, héraut paysan (1931-1984), HAL, 2019.
Gilles Manceron, Marianne et les colonies. Une introduction à l'histoire coloniale de la France, La Découverte, 2003.
Barbara Ehrenreich, L'Amérique pauvre. Comment ne pas survivre en travaillant, Grasset, 2004.
Louis Janover, La Démocratie comme science-fiction de la politique, Sulliver, 2007.
Maxime Rodinson, De Pythagore à Lénine. Des activismes idéologiques, Fayard, 1993.
Annie Kriegel, Le pain et les roses. Jalons pour une histoire des socialismes, 10/18, 1968.
Philippe Burrin, Hitler et les Juifs. Genèse d'un génocide, Seuil, 1989.
Paul Lidsky, Les écrivains contre la Commune, La Découverte, 1999.
Manuel Azana, Causes de la guerre d'Espagne, PUR, 1999.
Vincent Duclert, Jaurès 1859-1914. La politique et la légende, Autrement, 2013.
Jean-Loup Amselle, Elikia M'Bokolo (sldd), Au coeur de l'ethnie. Ethnie, tribazlisme et Etat en Afrique, La Découverte, 1999.
Michael Löwy, Rédemption et utopie. Le judaïsme libertaire en Europe centrale, PUF, 1988.
Thomas C. Holt, Le Mouvement. La lutte des Africains-Américains pour les droits civiques, La Découverte, 2021.
James Livingston, Fuck work! Pour une vie sans travail, Flammarion, 2018.
Violette Marcos (sous la direction de), L'antifranquisme en France 1944-1975, Loubatières, 2013.
Michelle Zancarini-Fournel, Histoire des femmes en France 19e-20e siècles, PUR, 2005.
Florent Brayard, Comment l'idée vint à M. Rassinier. Naissance du révisionnisme, Fayard, 1996.
Gérard Duménil, Michaël Löwy, Emmanuel Renault, Lire Marx, PUF, 2009.
Enzo Traverso, La fin de la modernité juive. Histoire d'un tournant conservateur, La Découverte, 2016.
Mouvement Utopia, Le travail, quelles valeurs ?, Editions Utopia, 2015.
Michelle Zancarini-Fournel et Christian Delacroix, La France du temps présent 1945-2005, Belin, 2010.
Siegfried Kracauer, Les employés. Aperçus de l'Allemagne nouvelle (1929), Les Belles Lettres, 2012.
Federico Tarragoni, L'esprit démocratique du populisme. Une nouvelle analyse sociologique, La Découverte, 2019.
Quentin Deluermoz, Le crépuscule des révolutions 1848-1871, Seuil, 2012.
James C. Scott, Homo domesticus. Une histoire profonde des premiers Etats, La Découverte, 2021.
Raphaël Wintrebert, Attac, la politique autrement ? Enquête surl'histoire et la crise d'une organisation militante, La Découverte, 2007.
Pierre Milza, Le fascisme italien et la presse française 1920-1940, Editions Complexe, 1987.
Myriam Revault d'Allonnes, L'esprit du macronisme ou l'art de dévoyer les concepts, Seuil, 2021.
Nicolas Oblin, Sport et capitalisme de l'esprit, Editions du Croquant, 2009.
Gabriel Mollier, Brève histoire du syndicalisme enseignant et de l'Ecole émancipée des origines à nos jours, Editions EDMP, 2004.
Max Adler, Le socialisme de gauche, Critique sociale, 2014.
Claude Lelièvre, Histoire des institutions scolaires, Nathan, 2002.
Yann Richard, L'Iran de 1800 à nos jours, Flammarion, 2009.
Yves Léonard, Salazarisme et fascisme, Chandeigne, 2020.
Paul Vignaux, Traditionalisme et syndicalisme. Essai d'histoire sociale (1884-1941), Editions de la Maison française, 1943.
Michel Bakounine, La Commune de Paris (Trois conférences faites aux ouvriers du val de Saint-Imier / La Commune de Paris et la notion de l'Etat), Ed. CNT-RP, 2005.
lundi, décembre 16 2024
Mayotte, département colonie
Par Patsy le lundi, décembre 16 2024, 20:47
Rémi Carayol, Mayotte. Département colonie, La Fabrique, 2024.
« Le récit identitaire a pour tâche de définir le groupe, de le faire passer de l'état latent à celui d'une communauté dont les membres sont persuadés d'avoir des intérêts communs, d'avoir quelque chose à défendre ensemble »1 Ces mots de l’anthropologue Denis Constant-Martin me semblent tout à fait adaptés au livre du journaliste Rémi Carayol : Mayotte. Département colonie.
Que connaît-on ici de ce « bout de terre perdu entre Madagascar et la côte est-africaine » ? Pas grand-chose, mais ce pas grand-chose se résume à quelques mots qui font peur : immigration massive, délinquance, misère, bidonvilles et kwassa-kwassa, ces canots de pêche utilisés par les passeurs.
L’archipel des Comores comprend quatre îles dont Mayotte (Maore) qui a refusé l’Indépendance en 1975 et est devenue en 2011 le 101e département français. Mais pourquoi diable les Mahorais ont-ils choisi de rester dans le giron colonial ? Rémi Carayol parle à ce sujet de « reconstruction mémorielle », opération qui consiste à « exagérer les dissensions intercomoriennes » et à « minorer la violence de l’histoire coloniale », faisant de la France, la protectrice des Mahorais. Résumons2 : au milieu du 19e siècle, la France a profité des rivalités entre élites politiques locales pour acheter Maore au sultan qui s’en disait le possesseur, remplacer l’esclavage par du travail forcé3 et s’accaparer les terres des communautés autochtones, avant de mettre la main sur les trois autres îles. Mais la mise en exploitation de ces îles fut un échec et celles-ci végéteront dans la misère jusqu’aux années 1970.
Rémi Carayol nous plonge longuement, dans cette période qui voit Mayotte refuser l’indépendance et le reste des Comores sombrer dans un chaos largement orchestré depuis Paris. D’où un bouleversement radical du rapport au territoire des habitants des quatre îles : « les échanges entre les îles, multiséculaires, étaient quotidiens avant 1975 et ils le sont restés » nous dit l’auteur, sauf que le nouveau statut de l’île a transformé une partie des habitants en clandestins expulsables, en main-d’oeuvre docile et corvéable, et en squatters… Alors l’État rafle et expulse massivement, et bien souvent au mépris du droit. Quant à la départementalisation, elle n’a rien arrangé : elle a achevé de mettre sens dessus dessous Mayotte, sommée d’assimiler sans tarder les valeurs et les lois de la mère patrie, en mettant au rencard les valeurs sur lesquelles elle reposait : esprit communautaire, droit musulman...
Misère sociale, corruption des élites, poussée de l’extrême-droite, absence de services et d’investissements publics, système éducatif sous-dimensionné et à la dérive, explosion de la délinquance juvénile, et de la xénophobie puisque l’on serine aux Mahorais depuis un demi-siècle qu’ils ne sont pas Comoriens : Mayotte se décompose, sous l’oeil des Métropolitains qui cultivent leur entre-soi en attendant l’avion du retour. Séparer Mayotte du reste des Comores a mené à une impasse, d’où il sera difficile de sortir ; mais comme l’écrit Rémi Carayol, « c’est le propre de la colonisation d’avoir créé pareilles équations impossibles à résoudre. »
Notes
1 Denis Constant-Martin (sldd), Cartes d'identité – Comment dit-on « nous » en politique ?, FNSP, 1994.
2 Et il le faut car l’histoire, très bien exposée par l’auteur, est complexe !
3 Je vous renvoie à la lecture de : Alessandro Stanziani, Les métamorphoses du travail contraint. Une histoire globale 18e-19e siècle, Presses de SciencesPo, 2021.
mercredi, décembre 11 2024
Extrême-droite : la résistible ascension
Par Patsy le mercredi, décembre 11 2024, 18:08 - Notes de lecture
Ugo Palheta (coordination), Extrême-droite : la résistible ascension, Editions Amsterdam, 2024.
Avec leur livre Extrême-droite : la résistible ascension, une vingtaine de chercheurs invités par l’institut La Boétie nous aident à mieux comprendre pourquoi l’extrême-droite et ses idées sont parvenues à s’imposer sur la scène politique française, faisant du Rassemblement national la principale force politique de l’hexagone.
Sur la droitisation de la société française, les travaux universitaires de qualité ne manquent pas, qu’ils aient pour angles d’analyse les populations des zones rurales1, le monde médiatique, la dénonciation du parasitisme social2, l’évolution des classes populaires3, le néolibéralisme4 ou l’obsession du wokisme5. Le présent ouvrage, préfacé par l’historien Johann Chapoutot, apporte sa pierre à l’édifice en quatorze chapitres courts, synthétiques et instructifs. Tout d’abord, les auteurs s’intéressent à l’électorat du RN. Ecartant le poncif (rassurant) sur le prolétaire inculte jadis électeur communiste ayant basculé à l’extrême droite (car c’est bien connu : les extrêmes se rejoignent toujours !), les auteurs soulignent que le RN est parvenu à capter à la fois « les personnes à faibles diplômes (et) les groupes les mieux dotés économiquement des classes populaires », ainsi que certaines classes moyennes ; des personnes qui ont peur du déclassement social et qui fustigent les fainéants, surtout basanés, et les profiteurs au nom de la sacro-sainte « valeur travail ». Terrible paradoxe : le RN « se nourrit du mécontentement suscité par des politiques » avec lesquelles il n’entend pas rompre, car il n’aura échappé à personne qu’il ne faut pas compter sur lui pour en finir avec le capitalisme néolibéral !
Ensuite, les auteurs s’attachent aux nouveaux terrains d’intervention du RN. Le but recherché : « mettre au pas les individus et la société, fracturer le peuple », en stigmatisant les « immigrés » évidemment assistés, les « musulmans » évidemment séparatistes, sans oublier les féministes hystériques, les transgenres assurément pervers, les wokistes, les intellectuels islamo-gauchistes ou les écologistes qui piétinent les terroirs et veulent nous ramener à l’âge de pierre. Pour mener cette guerre culturelle, l’extrême droite profite de l’évolution du paysage médiatique qui privilégie le fait divers « qui fait diversion » (Bourdieu), l’expertise-minute à base de sondages, le buzz et le talk-show permanent où l’important est de faire du bruit ; des médias sur lesquels des milliardaires réactionnaires comme Bolloré ont mis la main, et dont les sujets de prédilection sont les trois I : Islam, immigration, insécurité.
Face à cette alliance entre l’extrême-centre macronien et l’extrême-droite, la députée Clémence Guetté appelle à mobiliser les classes populaires urbaines et rurales, à fédérer des forces mises au rebut par la gauche de gouvernement6, afin de « rétablir un clivage vertical : le peuple contre l’oligarchie, les travailleurs contre les patrons, les consommateurs contre les monopoles ». Face à l’extrême-droite, il faut opposer un « contre-récit hégémonique », capables de capter l’attention des classes populaires et lui donner des raisons d’envisager un autre monde possible. Vaste programme...
Notes
1. Benoît Coquard (Ceux qui restent, 2022) et Violaine Girard (Le vote FN au village, 2017)
2. Michel Feher (Producteurs et parasites, 2024).
3. Cartier, Coutant, Masclet, Siblot (La France des "petits-moyens" - Enquête sur la banlieue pavillonnaire, 2008).
4. Dardot, Guéguen, Laval, Sauvêtre (Le choix de la guerre civile. Une autre histoire du néolibéralisme, 2021).
5. Francis Dupuis-Déri (Panique à l'université. Rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires, 2022).
lundi, décembre 2 2024
Etre fou au 19e siècle
Par Patsy le lundi, décembre 2 2024, 21:02
Anatole Le Bras, Aliénés. Une histoire sociale de la folie au 19e siècle, CNRS Editions, 2024.
Que faire des fous ? Telle est la question au coeur du livre passionnant d’Anatole Le Bras Aliénés. Une histoire sociale de la folie au 19e siècle.
Que faire donc des fous? De ces fous qui dérangent l’ordre social et altèrent le capital réputationnel de leur famille ? Que faire de ces fous, agressifs ou pyromanes, sexuellement détraqués, dangereux pour les autres et eux-mêmes ? Que faire de ces fous « inutiles au monde », qui coûtent et ne rapportent rien ? Faut-il les laisser vivre dans leurs familles, parfois dans des conditions innommables, notamment dans les campagnes1, ou bien intervenir fermement pour les en extirper et les confier aux bons soins d’une médecine alors en plein développement ?
En juin 1838, une loi oblige les départements à se doter d’un asile2 pour aliénés. Le but est double : protéger la collectivité et soigner les malheureux. La loi est censée ne concerner que les aliénés dangereux, mais bien vite, se pose une question : qu’est-ce qu’un fou ? Car se mêlent dans ces asiles, épileptiques et vieillards, veuves abandonnées par leur progéniture, alcooliques et suicidaires, déviants et vagabonds, dégénérés et indigents, sans oublier les dépressifs, les débauchés et les mystiques des deux sexes. Anatole Le Bras pointe « l’immense diversité des comportements susceptibles de se muer en symptômes » mais aussi le rôle joué par un grand nombre d’acteurs dans la montée en flèche du nombre d’internés dans la seconde moitié du 19e siècle : « est aliéné celui que les familles, le voisinage, les autorités locales, la police ou la gendarmerie considèrent comme tel ». Faut-il alors s’étonner que les aliénés ne soient pas sans-voix. Ils écrivent, se plaignent, s’indignent, affrontent la toute-puissance du monde médical qui les prive de leur liberté, de leur citoyenneté et de la gestion de leurs affaires ; parallèlement, des aliénistes commencent également à porter un regard critique sur le monde asilaire.
Dans ces asiles, on y entre et on y meurt souvent, seul, parce que les médecins défendent l’isolement thérapeutique qui coupe radicalement le malade d’un milieu qu’on pressent pathogène, et parce que les familles trouvent dans l’enfermement d’un des leurs une façon de se débarrasser d’une bouche inutile ou l’opportunité de mettre la main sur son patrimoine ; à l’inverse, d’autres familles se battent pour sortir de l’asile leur interné, indispensable au maintien de leur niveau de vie.
Car on en sort, parfois, et pas forcément « guéri ». Si le patient a fait l’objet d’un « placement volontaire » (la plupart du temps initié par la famille), il a plus de chances de recouvrer la liberté que s’il a subi, et c’est le cas de la plupart, un « placement d’office », à la demande du préfet voire du maire. L’enjeu est financier : dans le premier cas, la famille doit supporter le coût de l’internement alors que dans le second, c’est le département et la commune qui sont mis à contribution. Les autorités elles-mêmes ont intérêt à désengorger les asiles, à en sortir les indigents valides, ces infâmes profiteurs : c’est pourquoi le « niveau de vie carcéral doit toujours être inférieur à celui de l’ouvrier le plus pauvre de la société » ! Ne l’oublions pas : tous les fous ne se valent pas. Le « mode de traitement en apparence uniforme » des aliénés ne doit pas tromper : le monde asilaire publique est et demeure essentiellement un monde de pauvres fous mis au ban de la société...
Notes
1. L’auteur s’est focalisé sur les asiles du Finistère, département rural marqué par un très fort alcoolisme.
2. Il peut être public ou bien privé, via une convention avec un établissement privé.
lundi, novembre 25 2024
La haine des fonctionnaires
Par Patsy le lundi, novembre 25 2024, 21:52 - Notes de lecture
Julie Gervais, Claire Lemercier, Willy Pelletier, La haine des fonctionnaires, Editions Amsterdam, 2024.
C’est ainsi : beaucoup continuent à associer le fonctionnaire au travail de bureau, travail qui s’accomplit au chaud, sans grand effort physique, avec une machine à café non loin et un paquet de trombones à torturer pour tromper l’ennui. Le fonctionnaire est donc un petit être gris, un gratte-papier à l’encéphalogramme quasi-plat qui travaille à son rythme en attendant la retraite. Avec leur livre « La haine des fonctionnaires », trois chercheurs s’attaquent aux idées reçues, aux stéréotypes, et à ceux qui, sur la scène politique, portent le discours anti-fonctionnaires ; sans oublier les classes populaires qui subissent de plein fouet la dégradation des services publics et s’en prennent elles-aussi aux fonctionnaires.
Prenons un exemple. Quand le ministre de la fonction publique annonce qu’il veut aligner le délai de carence en cas d’arrêt maladie des fonctionnaires sur celui des salariés, nous pourrions saluer cette volonté égalitaire, complément indispensable de l’idéal méritocratique dont ils se font les inlassables promoteurs. Mais si les fonctionnaires sont un peu plus souvent en arrêt-maladie que les salariés, la faute en revient aux… aides-soignantes, aux infirmières et aux fonctionnaires de catégorie C qui ont des métiers physiques (éboueurs, agents d’entretien et de restauration collective…). Métiers physiques exercés parfois dans des environnements pathogènes comme les hôpitaux, et métiers en tension où être en sous-effectif est devenu la règle ; sans oublier que là on l’on voit un fonctionnaire, il n’y a qu’un contractuel qui trime sans bénéficier d’un statut protecteur.
« Le monde des fonctionnaires n’est groupe que sur le papier », nous disent les auteurs, car il a mille visages : il peut être enseignant, éboueur, ouvrier, cadre supérieur, manager, bardé de diplômes ou disposant de peu de capital culturel. Le « monde des fonctionnaires » n’est pas uni car c’est un monde profondément hiérarchisé. Le fonctionnaire n’est pas borné et psychorigide par nature, il est surveillé, encadré, caporalisé, soumis à des indicateurs de performance, et il doit, comme dans le privé, faire plus et mieux avec toujours moins de moyens. Et « comme tout le monde », il peste contre la dématérialisation qui rend les services publics encore plus inaccessibles, contre l’externalisation de certaines missions qui lui étaient jadis dévolues et contre l’incapacité de l’État à offrir des services publics de qualité à tous les citoyens.
Dans la haute fonction publique, il reste encore des fonctionnaires qui tentent de résister à « l’impératif managérial qui structure leurs missions et régit leurs carrières », qui refusent la doxa néolibérale avec ses cost-killers, ses cabinets de conseils, ses diplômés des business schools, thuriféraires du New Public management.
Depuis plusieurs décennies, les petits soldats du néolibéralisme dérégulateur ne s’emploient qu’à liquider ce qu’on appelle l’Etat-providence en réduisant le nombre de fonctionnaires, en transférant au secteur privé le maximum de missions (si possibles attractives), en transformant l’usager en client, tout cela pour faire du « bien commun » un business comme un autre. Dénigrer les fonctionnaires, s’en prendre à leur statut qui les protège du chômage, tout cela est indispensable si l’on veut réformer les services publics et alléger la pression fiscale. « Le massacre des services publics, la guerre à leurs agents, menée du dehors mais aussi du dedans, ne sont pas terminés » préviennent les auteurs. D’où la nécessité de travailler sans relâche à refaire du « bien commun » une cause commune.
mercredi, novembre 20 2024
Cameroun, 1939 : le turbin et les autochtones
Par Patsy le mercredi, novembre 20 2024, 19:54
Jacques Tupinier, Main d’oeuvre au Cameroun, Classiques Garnier, 2024
On connaît peu de choses de Jacques Tupinier. Ce Parisien né en 1897, devenu inspecteur des colonies trente ans plus tard, est au coeur de « Main-d’oeuvre au Cameroun », livre singulier présenté par l’historien du droit Jean-Pierre Le Crom et publié par Classiques Garnier. Singulier car ce livre compile trois rapports consacrés à la question du travail et de la mise au travail des autochtones dans ce territoire confié en partie à la France par la Société des nations.
Tupinier pose ses valises à Douala en décembre 1938 et une poignée de mois plus tard, il rend compte de la façon dont les Camerounais travaillent ou sont mis, ou pas, au travail par les colons.
Une phrase issue de la conclusion résume à elle seule la pensée de Jacques Tupinier : « L’administration doit remplir son rôle d’éducatrice et de tutrice vis-à-vis des autochtones en les persuadant qu’ils ne pourront s’élever à une condition meilleure que par un labeur assidu, mais aussi en les protégeant, le cas échéant, contre les abus que les employeurs seraient tentés de commettre à leur égard. »
Educatrice et tutrice. Tout au long de ces rapports, Tupinier défend la mission civilisatrice de la France et tance la cupidité des entrepreneurs coloniaux qui les empêche de « s’attacher les indigènes d’une façon durable » ; des indigènes qui peuvent venir de loin puisque les entreprises réclamant des bras étant installées dans des zones peu peuplées, il faut faire venir la main-d’oeuvre d’autres régions.
Salaires indécents, parfois non versés, absence de contrats de travail, conditions de travail déplorables, travail forcé, logements collectifs insalubres, rations alimentaires insuffisantes… rien n’est fait pour transformer le « noir indolent » en salarié conscient de ses droits et de ses devoirs, et comme « aucune tradition n’est jamais venue donner aux autochtones l’habitude d’un travail assidu et régulier »1, la productivité est très faible et les désertions, nombreuses ! Recrutés souvent de force, une partie de la main-d’oeuvre s’enfuit à la première occasion, et celle qui reste travaille le moins possible...
Tupinier en est persuadé : si le droit du travail était respecté, le noir abandonnerait sa « nonchalance coutumière », travaillerait avec l’ardeur qui sied et il serait alors inutile d’aller recruter dans d’autres régions des travailleurs. Tout le monde serait gagnant, notamment le salarié qui pourrait s’élever dans l’échelle sociale grâce à son labeur. Mais pas trop haut tout de même ! Tupinier se réjouit que le gouvernement ait mis des freins au développement du « capitalisme indigène ». S’il dit oui au projet gouvernemental de « colonisation indigène », il s’inquiète que les paysans camerounais accédant aux bonnes terres s’enrichissent rapidement, se transforment en rentiers employeurs de main-d’oeuvre, retrouvant ainsi le chemin de la paresse.
Pour Jean-Pierre Le Crom, l’approche de Jacques Tupinier est fidèle à la « doxa coloniale républicaine » voire socialiste, qui cherche à « concilier l’exploitation économique et sociale (…) avec une approche humaniste de la colonisation »2. Comme l’a dit Léon Blum, il s’agit d’« extraire du fait colonial le maximum de justice sociale et de possibilité humaine », ce qui n’exclut nullement une approche paternaliste et culturaliste des rapports sociaux.
1 Tupinier et le gouverneur général (qui annote régulièrement le rapport) se posent d’ailleurs en défenseurs de la femme. Ce dernier écrit : « Il faut mettre les hommes au travail et alléger la lourde tâche des femmes qui – sur tous les plans - sont à protéger et à élever. »
2 Cf. Claude Liauzu, Histoire de l’anticolonialisme en France du 16e siècle à nos jours, Pluriel, 2010 ; Gilles Manceron, Marianne et les colonies. Une introduction à l’histoire coloniale de la France, La Découverte, 2003.
samedi, novembre 9 2024
Mexique, classes populaires et scène politique
Par Patsy le samedi, novembre 9 2024, 13:08
Hélène Combes, De la rue à la présidence. Foyers contestataires à Mexico, CNRS Editions, 2024.
Avec son livre, De la rue à la présidence. Foyers contestataires à Mexico, la politiste Hélène Combes apporte une contribution originale à notre compréhension de la vie politique mexicaine contemporaine puisque son enquête ne porte pas sur les élites politiques mais sur une poignée de militants de terrain, membres des classes populaires.
Il y a près de 20 ans, en 2006, dans des conditions douteuses, le candidat de la gauche Andrès Manuel Lopez Obrador est battu lors des élections présidentielles par le candidat de la droite conservatrice, Felipe Calderon. En 2018, il prend sa revanche1. Entre ces deux dates, tout d’abord 48 jours d’occupation populaire de Mexico, période durant laquelle la gauche a espéré que le Tribunal électoral leur donne finalement la victoire ; et dans ce « vaste campement contestataire » construit à la hâte, on note une présence imposante de milliers d’habitants des quartiers populaires. Cette mobilisation ne fut pas couronnée de succès mais elle a lancé une dynamique qui a duré plus d’une décennie.
Marina, Santos, Flor, Isidro sont au coeur du livre d’Hélène Combes. Beaucoup de choses les séparent (âge, sexe, condition sociale, capital culturel et militant) mais deux choses au moins les unissent : le respect, voire la tendresse, qu’ils ont pour le charismatique Lopez Obrador (mais le charisme ne fait pas tout!) ; un engagement fort pour le changement politique.
Car Lopez Obrador a compris que pour vaincre, dans ce pays gangrené par la corruption2, il lui fallait convaincre, et pour cela, il lui fallait bâtir une armée de militants et militantes capables de mailler les quartiers populaires dans lesquels ils vivent : des quartiers où la précarité sociale est le lot de la plupart des habitants ; des habitants qu’il faut intéresser à la chose politique régulièrement par le biais de campagnes de mobilisation ; des habitants qu’il faut aussi épauler dans les démarches du quotidien afin qu’ils fassent valoir leurs droits, car au Mexique, nous dit l’autrice, « l’administré ne vient pas à la prestation sociale mais la prestation sociale vient à l’administré » ; autrement dit, le non-recours aux droits sociaux serait plus massif encore sans l’intervention des dits militants. Certains n’y verront là que de banales relations clientélistes et une forme de contrôle social (l’octroi d’une aide sociale incitant à un renvoi d’ascenseur électoral). Il est clair que certains dirigeants de la gauche mexicaine se préoccupent assez peu de la façon dont les masses se mobilisent pour eux. De même, un fort engagement dans le parti peut permettre au militant de décrocher un modeste emploi dans l’administration locale… mais Hélène Combes nous invite à voir également dans ces militants qui se démènent sans compter des « intermédiaires du quotidien » dont l’engagement concret rappelle que l’entraide, la solidarité sont au coeur des pratiques populaires mexicaines.
Hélène Combes nous offre avec ce livre très riche un portrait chaleureux de militants de terrain, porté par l’espoir d’un avenir meilleur et la conviction que ce sont tout autant les têtes que les coeurs qu’il faut embarquer dans le combat politique.
Notes
1. En 2024, l’ancienne maire de Mexico Claudia Scheibaum lui a succédé. Comme lui, elle était membre du MORENA (Mouvement de régénération nationale).
2. A ma connaissance, le président Pena Nieto, qui a précédé Lopez Obrador à la présidence, coule des jours heureux en Espagne, ce qui le met à l’abri de la justice mexicaine qui l’accuse d’enrichissement illicite et autres peccadilles...
dimanche, novembre 3 2024
Le temps des révoltes
Par Patsy le dimanche, novembre 3 2024, 15:03 - Notes de lecture
Anne Steiner, Le temps des révoltes – Une histoire en cartes postales des luttes sociales à la Belle Epoque, L'Echappée, 2024.
En 2015, les Editions de l’Echappée publiait Le temps des révoltes, livre écrit par Anne Steiner. Neuf ans plus tard, ce livre est de nouveau accessible au public dans une version augmentée de deux chapitres.
Outre les quais de Nantes marqués par la grève des dockers en 1907, les corons du Nord, le Languedoc en ébullition, ou encore Chambon-Feugerolles dans le pays stéphanois, l’autrice nous entraîne à Draveil, en 1908, et à Méru dans l’Oise, un an plus tard. Le livre comprend onze chapitres, richement illustrés, nous plongeant avec bonheur dans une décennie d’insubordination ouvrière au temps d’une CGT dominée par le syndicalisme révolutionnaire.
Certaines grèves sont connues. C’est le cas de la révolte des mineurs du Nord en 1906, conséquence du coup de grisou meurtrier ayant frappé la ville de Courrières. Un déploiement militaire important sera nécessaire pour ramener le calme dans les corons, alors qu’un boutefeu libertaire, Benoît Broutchoux, fait vaciller le syndicat tenu le très réformiste Emile Basly. Anne Steiner ne pouvait passer sous silence la révolte des viticulteurs du sud-ouest en 1907 qui victimes tout autant du phylloxéra que de la concurrence des vins d'Algérie, d'Espagne et d'Italie mettent sens dessus-dessous le Languedoc, au grand dam de Georges Clemenceau alias Le Tigre, alias « le premier flic de France », furieux que des fantassins aient refusé de tirer sur les viticulteurs en colère !
Connue également la grève des terrassiers-carriers de Draveil et Villeneuve-saint-Georges de 1908. Conflit remarquable où le fait de revendiquer des salaires et des conditions de travail convenables se paient d’une dizaine de morts et de centaines de blessés, mais conflit dont on a surtout retenu qu’il avait eu pour conséquence de décapiter la CGT syndicaliste-révolutionnaire, sa direction étant jeté en prison suffisamment longtemps pour permettre à la tendance réformiste de prendre la main et d’infléchir la politique confédérale.
Moins connue en revanche la grève des dockers nantais de 19071, marquée par la mort par balle d’un ouvrier par un gendarme, des arrestations à foison pour entraves à la liberté du travail, et la venue à Nantes de deux figures du syndicalisme révolutionnaire : Georges Yvetot alias Le Bouledogue, tribun anarchiste de premier plan, et Charles Marck, docker havrais, responsable de la fédération nationale des dockers, tout aussi radical dans ses propos. Yvetot et Marck qui finiront en prison, comme il se doit car pour le pouvoir central, il faut briser par la répression ces syndicalistes qui défient l’ordre social et politique.
Méconnue la révolte au parfum de jacquerie des ouvriers serruriers picards qui, en 1906, incendient la demeure d'un de leurs patrons. Là encore, le gouvernement a recours à la troupe pour ramener l’ordre. Qui se souvient de ces boutonniers de l’Oise qui, à Méru, au printemps 1909, cessent de travailler la nacre pour protester contre une baisse de 25 % de leur salaire. Comme à Nantes, des soupes communistes sont mises en place, on défile dans les rues, on subit la répression… et on finit par rentrer tête basse au turbin. Je ne connaissais pas plus les violents affrontements qui secouèrent Raon L'Etape, ville des Vosges où à l'été 1907, la colère ouvrière se fait émeute, les drapeaux noirs flottent au vent et des barricades sont érigées, tel un joli pied-de-nez, rue Adolphe-Thiers, Thiers le Versaillais.
Pour faire revivre pleinement ces événements, Anne Steiner s'est appuyée sur une riche collection de cartes postales à caractère politique et social, dont la Belle Epoque fut l'âge d'or. Elle souligne avec raison, en introduction, l'intérêt de ces cartes postales car, « au-delà des seuls grévistes, c'est en effet toute une population impliquée dans ces conflits sociaux qui se donne à voir. » La grève n’oppose pas grévistes et patrons, mais tout un monde ouvrier (travailleurs, conjoints, enfants) qui se bat, affiche et affirme sa solidarité. Ce livre passionnant nous rappelle qu'il y a un siècle de cela le syndicalisme n'était pas une affaire de spécialistes et de bureaucrates…
1. Sur cette grève, je vous renvoie au livre de Samuel Guicheteau, Manuella Noyer et moi-même : Dockers, une histoire nantaise : travailler et lutter sur les quais (XVIe-XXe siècle), Editions du Centre d'histoire du travail, 2023. Livre préfacé par l'historien John Barzman dont le travail sur les dockers nantais devrait paraître sous peu...
vendredi, novembre 1 2024
Mes lectures d'octobre 2024
Par Patsy le vendredi, novembre 1 2024, 20:16
OCTOBRE 2024
CIRA (sous la direction de), Refuser de parvenir, Nada, 2024.
Célestin Bouglé, La sociologie de Proudhon, OpenCulture, 2024 (1908).
Patrice Rolland, Georges Sorel. Le prolétariat dans la démocratie, Kimé, 2024.
Michel Feher, Producteurs et parasites. L'imaginaire si désirable du Rassemblement national, La Découverte, 2024.
Zeev Sternhell, Maurice Barrès et le nationalisme français, Fayard, 2016 (1972).
Amandine Barb et Denis Lacorne (sldd), Les politiques du blasphème, Karthala, 2018.
mercredi, octobre 30 2024
"Paysan", ce que cache ce mot
Par Patsy le mercredi, octobre 30 2024, 17:58 - Notes de lecture
Edouard Morena, Paysan, Anamosa, 2024.
Le paysan est un taiseux qui n’en pense pas moins. Le paysan est un plouc arriéré, avare et cupide, sensible aux discours réactionnaires ou populistes. Le paysan, parce qu’enraciné, porte en lui la vérité de la Nation… Le paysan est ceci et cela.
Avec Paysan publié par Anamosa dans sa collection Le mot est faible, l’historien Edouard Morena nous rappelle que « les sens communément attribués au mot paysan traversent l’histoire et les clivages politiques ». C’est un « mot fourre-tout » qui désigne aussi bien celui qui gratte la terre pour en tirer un modeste revenu que le céréalier cossu employeur de main-d’oeuvre.
Au 19e siècle dans une France en phase d’industrialisation mais encore rurale et agricole, les élites monarchistes, républicaines, socialistes développèrent toute une rhétorique susceptible de leur attirer les suffrages des cul-terreux, pécores, croquants et autres pedzouilles. Pour les premières, le paysan incarne la France éternelle, pieuse, laborieuse et respectueuse des hiérarchies naturelles ; il est le socle sur lequel bâtir son hégémonie politique. Pour les secondes, il faut enraciner l’idéal républicain dans les caboches rurales, autrement dit ne pas les effrayer avec un discours collectiviste et anticlérical. Pour les troisièmes, il faut convertir le paysan individualiste, attaché à la propriété de la terre au socialisme et à ses promesses de félicités.
Alors, on le pare de toutes les qualités, notamment à droite. Le paysan a du bon sens et il est vertueux. Il est authentique et attaché aux traditions évidemment immémoriales. Sa culture est folklore. Il a le sens de la famille et il a le respect des aînés. Il est le vrai peuple de France, bien plus que la canaille rouge prolétarienne des villes. Et puis, cette terre qu’il travaille du matin au soir, n’est pas seulement la terre qui peut l’enrichir, elle est une portion du territoire national que tout homme doit défendre. Le paysan incarne également la méritocratie car sa réussite ne tient qu’à lui, qu’à sa capacité à s’élever dans l’échelle sociale grâce au labeur. Discours politiques, romans, publicités, peintures, musées, études ethnologiques… le paysan est célébré, et le bouseux ennemi du progrès est mis de côté.
Discours d’hier, discours d’aujourd’hui. La France n’est plus un pays de paysans. Ils étaient des millions, ils ne sont plus que quelques centaines de milliers. Lors des Trente-Glorieuses, les chercheurs annonçaient déjà sa mort et celle de la « civilisation » dont ils étaient porteurs. Mais à chaque Salon de l’agriculture, on sent bien que le monde agricole a un poids symbolique et politique bien plus important que sa force numérique ne peut le laisser entendre.
Dans les années 1970, la gauche radicale redécouvre le « paysan », figure de la résistance à l’agro-business, figure écologiste ennemie du productivisme et de la chimie, figure potentiellement révolutionnaire pouvant prendre la relève d’un prolétariat accablé, frappé de plein fouet par la désindustrialisation.
A raison, l’auteur souligne que « le mot paysan obscurcit les différences, les tensions et les rapports de domination qui traversent, et qui ont historiquement traversé, la population agricole ». Parce qu’il est « sans valeur analytique », Il nous invite à abandonner le mot qui « obscurcit plutôt qu’il n’illumine »
mardi, octobre 22 2024
Bookchin et les anarchistes espagnols
Par Patsy le mardi, octobre 22 2024, 22:57
Murray Bookchin, Les anarchistes espagnols. Les années héroïques (1868-1936), Lux, 2023.
En 1977 paraissait en anglais Les anarchistes espagnols (1868-1936). Un demi-siècle plus tard, les éditions Lux nous permettent de découvrir cet écrit de Murray Bookchin, décédé en 2006, une des personnalités importantes de la gauche radicale américaine, libertaire, écologiste dont les écrits sur le municipalisme ont trouvé des oreilles attentives du côté du Kurdistan1.
Murray Bookchin fait partie, tout comme son cadet Noam Chomsky, de cette jeunesse juive américaine qui s’est politisée durant les tumultueuses années 1930, et c’est la guerre civile espagnole qui a entamé la confiance qu’il accordait alors à l’URSS, l’amenant à rompre avec le stalinisme triomphant de l’époque. A la fin des années 1960, Bookchin a commencé à travailler à ce livre nous menant de la création à la fin des années 1860 d’une section de la Première Internationale outre-Pyrénées au soulèvement franquiste et à la riposte ouvrière de l’été 19362.
Pour se faire, il n’a pas travaillé sur archives mais s’est appuyé sur une très volumineuse bibliographie et le recueil d’interviews d’acteurs de l’époque. Avec une belle plume, Bookchin rend ainsi hommage au prolétariat espagnol, à sa capacité à se réinventer après chaque vague répressive, mais c’est aussi une façon pour lui de défendre un anarchisme prolétarien confronté à la contre-culture post-68 en pleine dégénérescence qu’il combattait alors au sein de la gauche radicale américaine3. Il insiste d’ailleurs beaucoup sur l’ascétisme des libertaires ibériques, leur « credo éthique sévère, fondé sur le devoir, la responsabilité de travailler et le mépris des plaisirs de la chair », conséquence d’une « époque marquée par la rareté matérielle » pour le prolétariat.
L’Espagne d’alors est un pays déchiré entre monarchistes et républicains, calotins et anticléricaux, réactionnaires et libéraux, centralistes et fédéralistes qui tous recherchent le pouvoir en se servant des classes populaires comme marchepied ; une monarchie à bout de souffle qui s’appuie sur l’armée pour mettre au pas ouvriers et paysans. L’Espagne est une terre de misère et de peu de droits. C’est dans ce contexte hostile où le revolver, l’exil sont une condition de la survie que le mouvement ouvrier, de toutes tendances, se meut.
Nous sommes ici très loin du récit hagiographique. Bookchin ne cache rien des conflits très âpres qui ont parcouru, durant ces décennies, un mouvement libertaire et anarcho-syndicaliste espagnol très divisé, des difficultés qu’il a rencontrées pour s’affirmer au-delà de ses places fortes catalane et madrilène. Il souligne sa capacité jamais démentie de s’organiser et de se réorganiser en explorant des formes nouvelles afin d’échapper à la répression, de nouer parfois des alliances avec d’autres forces syndicalo-politiques, et de partir à l’assaut du ciel avec l’idéalisme comme boussole4 : « Si les anarcho-syndicalistes n’arrivaient pas à faire triompher la révolution, ils savaient en tout cas comment entretenir la fièvre révolutionnaire5 ».
Pour le Murray Bookchin de 1977, s’intéresser à l’anarchisme espagnol était aussi une façon d’appeler la « gauche contemporaine (à) renouer avec un socialisme éthique ». Comme l’a écrit Georges Orwell, rescapé de la guerre d’Espagne, « Si les hommes s'épuisent dans des luttes politiques déchirantes, se font tuer dans des guerres civiles ou torturer dans les prisons secrètes de la Gestapo, ce n'est pas afin de mettre en place un paradis avec chauffage central, air conditionné et éclairage (...) mais parce qu'ils veulent un monde dans lequel les hommes s'aiment les uns les autres au lieu de s'escroquer et de se tuer les uns les autres. »
Notes
1 Pierre Crétois et Edouard Jourdain (sldd), La démocratie sous les bombes. Syrie-Le Rojava entre idéalisation et répression, Le Bord de l’eau, 2022.
2 Murray Bookchin a abandonné l’idée d’écrire un second volume sur la guerre civile, considérant que la CNT-FAI « a connencé à s’éloigner de ses principes à partir de la fin de l’été 1936 ».
3 Murray Bookchin, Une société à refaire. Vers une écologie de la liberté, Ecosociété, 1993, pp. 204-221.
4 Lire à ce sujet Ignacio Diaz, Asturies 1934. Une révolution sans chefs, Smolny…, 2021.
5 Ces mots sont de Gerald Brenan, auteur du Labyrinthe espagnol. Origines sociales et politiques de la guerre civile, Champ libre, 1984.
dimanche, octobre 13 2024
Etre marchand au Moyen Age
Par Patsy le dimanche, octobre 13 2024, 18:30 - Notes de lecture
Laure-Hélène Gouffran, Etre marchand au Moyen Age. Une double biographie XIV-XVe siècle, CNRS Editions, 2023.
A ma gauche, Bertrand Rocafort. A ma droite… Bertrand Rocafort. Des homonymes, deux marchands, des contemporains, résidant dans la même ville (Marseille), insérés dans les mêmes réseaux de notabilité. Ils sont au coeur du livre de Laure-Hélène Gouffran, Etre marchand au Moyen Age. Une double biographie, publié par CNRS Editions.
Deux homonymes donc, que seule une particule parfois distingue.
Bertrand Rocafort est né à Hyères. Fils d’un charpentier, il a commencé sa carrière comme notaire puis s’est mis dans les affaires commerciales et immobilières à la fin du 14e siècle profitant du dynamisme du port de sa localité. C’est un lettré qui maîtrise aussi bien le latin que la comptabilité, et c’est, nous dit l’autrice, un « self-made-man » qui a su saisir les opportunités qui se présentent pour s’enrichir, se notabiliser et gagner Marseille et ses promesses de félicité pécuniaire.
Bertrand de Rocafort est natif de Marseille où sa famille, qui fait partie de la noblesse locale, tire ses ressources autant des rentes liées à la terre qu’à ses activités dans l’immobilier et le commerce, celui de la draperie comme du corail. Bertrand entre en politique au début des années 1380, s’occupant de gérer les affaires de la ville : là encore, la maîtrise de la comptabilité est fondamentale, et « les villes gouvernées par la marchandise sont de celles où la comptabilité communale est tenue avec le plus de rigueur1 ». Bertrand le Hyérois est en ascension sociale tandis que Bertrand le Marseillais consolide la situation familiale. Aucun d’eux ne fait partie de la caste des marchands aventuriers : leur domaine, c’est leur ville, et non l’Orient et ses épices par exemple.
Laure-Hélène Gouffran le rappelle, « l’influence politique constitue un capital social qui se transmet de génération en génération au même titre que le nom et la richesse ». Nos deux Bertrand font donc partie de ces élites urbaines médiévales qui nouent entre elles des relations aussi foisonnantes que fructueuses, notamment par des alliances matrimoniales. Le développement des relations amicales joue un rôle fondamental au Moyen Age : dans un monde incertain, politiquement comme économiquement, où pour faire des affaires, ces hommes et femmes ont besoin d’emprunter ou de prêter de l’argent2, « L’ami est un allié, un témoin, un garant de la moralité et de la bona fama », autrement dit de la bonne réputation ; une bonne réputation indispensable par ailleurs pour le salut de son âme et celui de sa lignée. Les marchands marseillais qui se sont enrichis et parfois font la démonstration de leur aisance financière soutiennent financièrement les ordres mendiants qui incarnent la pauvreté volontaire et vivent de la charité publique ; des ordres mendiants qui savent frapper aux bonnes portes pour financer leurs activités charitables. Cynisme des marchands ? Non, « les hommes impliqués dans les affaires commerciales et politiques sont traversés d’une tension permanente entre le gain individuel – auquel chaque commerçant doit tendre – et le souci de la communauté et du bien de tous que l’on attend d’eux ». Pour comprendre les élites urbaines, il faut « émanciper les marchands de leur seule pratique marchande », et les considérer comme des « individus aux identités plurielles » chez qui « la recherche du gain ne constitue pas forcément l’élément primordial de leur identité. »
Notes
1. Jean Favier, De l’or et des épices. Naissance de l’homme d’affaires au Moyen âge, Fayard, 1987, p. 363.
2. Sur l’usure et la société médiévale, lire Jacques Le Goff, La bourse et la vie - Economie et religion au Moyen âge, Hachette, 1986.
dimanche, octobre 6 2024
La Nouvelle droite et le nazisme
Par Patsy le dimanche, octobre 6 2024, 20:41 - Notes de lecture
Stéphane François, La Nouvelle Droite et le nazisme, une histoire sans fin. Révolution conservatrice allemande, national-socialisme et alt-right, Le Bord de l’eau, 2023.
Avec son livre, La Nouvelle droite et le nazisme. Une histoire sans fin, publié par Le Bord de l’eau Editions, le politiste Stéphane François revisite les évolutions doctrinales et les stratégies d’euphémisation de l’extrême-droite.
La Nouvelle Droite1 a émergé à la fin des années 1960. L’un des fondateurs l’a défini comme une « fédération instable de parcours individuels plus ou moins erratiques », ce qui en dit long à la fois sur l’absence d’homogénéité de cette mouvance, et sur le poids des individualités (et donc des rivalités personnelles) dans son développement. Hétérogénéité donc mais aussi points de convergence comme le refus de l’américanisation du monde (la civilisation américaine incarnant la vulgarité, le fastfood et le matérialisme), du métissage, et la défense d’une civilisation et d’une race européennes qui auraient traversé 5000 ans d’histoire.
Parmi les influences intellectuelles de cette nébuleuse, il y a la « révolution conservatrice allemande »2 avec son romantisme, son refus de l’intellectualisme et du modernisme, son tropisme xénophobe et son paganisme, son culte de la nature et du peuple ; non du peuple démocratique, mais d’un peuple-race fantasmé, enraciné, dans sa terre et dans sa communauté. Hitler a baigné dans cette atmosphère qui a nourri son national-socialisme, tout comme il fut marqué par le système ségrégationniste américain3, mais, Shoah oblige, il valait mieux pour la Nouvelle Droite se réclamer d’intellectuels comme Mohler, Nietzsche ou Schmitt que du moustachu autrichien génocidaire, et travestir son racisme pathologique en ethnodifférentialisme, au nom du droit à la différence et en défense du polygénisme qui considère qu’il « existerait des races humaines ayant leur propre genèse » et donc un patrimoine génétique à préserver de toute altération. « Les vieux discours n’ont pas disparu, ils ont juste muté » écrit Stéphane François.
Nous pourrions rire de ces théories fumeuses si elles ne connaissaient pas une seconde jeunesse, notamment aux Etats-Unis avec ce que l’on appelle l’Alt-right. Une alt-right qui dispose de relais puissants au sein de l’université américaine où elle peut y défendre ses thèses racistes ou racialistes. Une alt-right peuplée de suprémacistes blancs, racistes, antisémites, complotistes, païens, fondamentalistes, survivalistes, séparatistes, néonazis… à laquelle Donald Trump fait les yeux doux à l’occasion ; mais l’extrême-droite française n’est pas en reste et, du RN à Reconquête, elle maintient des liens forts avec la Nouvelle Droite si difficilement dédiabolisable puisqu’accusée de recycler les thématiques nazies « sous couvert de références respectables manipulées et de formulations édulcorées ». Une alt-right avec laquelle la Nouvelle Droite européenne, malgré un anti-américanisme jamais démenti, entretient des relations soutenues depuis longtemps puisque les thèses des uns et des autres sont traduites, diffusées et discutées des deux côtés de l’Atlantique.
Que peut-il sortir de ces échanges entre obsédés paranoïaques de l’identité4 ? Rien de bon si nous leur laissons gagner la bataille culturelle et la guerre des imaginaires5.
Notes
1. Par « Nouvelle droite », l’auteur entend les membres et collaborateurs de deux structures : le Club de l’Horloge et le GRECE (Groupement de recherches et d’études de la civilisation européenne).
2. George Mosse, Les racines intellectuelles du Troisième Reich : la crise de l'idéologie allemande, Paris, Calmann-Lévy, 2006 ; Johann Chapoutot, La révolution culturelle nazie, Gallimard, 2017.
3. James Q. Whitman, Le modèle américain d'Hitler. Comment les lois raciales américaines inspirèrent les nazis, Colin, 2018.
4. Régis Meyran, Obsessions identitaires, Textuel, 2022.
5. Jean-François Bayart, L’illusion identitaire, Fayard, 1996.
mercredi, octobre 2 2024
L'Algérie sous séquestre
Par Patsy le mercredi, octobre 2 2024, 22:13
Didier Guignard, 1871. L’Algérie sous séquestre, CNRS Editions, 2023.
Alors qu’à Paris, la jeune Troisième République massacre les insurgés de la Commune sous le regard intéressé du chancelier Bismarck, en Algérie, l’armée réprime les Kabyles révoltés. Avec 1871. L’Algérie sous séquestre, Didier Guignard ne s’intéresse pas à l’insurrection et à sa répression, mais à une mesure exceptionnelle prise par le gouvernement français : châtier les Kabyles, impliqués ou pas dans la révolte, en accaparant leurs terres et en leur imposant des amendes extrêmement lourdes.
Comme la prise des biens appartenant aux révoltés ne garantit nullement que l’État va mettre la main sur des terres intéressantes pour la colonisation, il est plus pertinent de punir tout le monde. Aux séquestres nominatifs touchant les réfractaires, la puissance coloniale y ajoutent donc des séquestres collectifs. L’occasion a donc fait le larron. Cette mesure, prise en urgence et portée davantage par les colons que par le pouvoir central, donne une nouvelle impulsion au projet colonial en « libérant » des terres de leurs usagers locaux. Ce sont près d’un million de colonisés qui sont victimes de cette politique, et un demi-million d’hectares qui changent de propriétaires, alors que Paris n’en attendait que 100 000 pour les futurs colons.
Mais la volonté de vengeance se heurte rapidement à l’impossibilité de mettre en œuvre cette politique brutale dont les conséquences sociales peuvent être dévastatrices : outre la chute des recettes fiscales, la misère, le banditisme et les risques de nouvelle révolte. Pensant se sortir d’affaire, les autorités jugent alors plus judicieux de négocier avec les autorités villageoises… qui ne sont guère en position de force : 20 % des terres appartenant aux tribus sont séquestrées, et d’autres terres intéressant les colons leur sont achetées à vil prix.
La région kabyle des Issers, à l’est d’Alger, fut particulièrement frappée par cette punition collective. En s’y intéressant, l’auteur « modifie radicalement notre compréhension » de cette crise, en soulignant que cette séquestration fut en réalité un « processus long et fastidieux », la puissance coloniale devant affronter des populations rurales profondément attachées à leur lieu de vie et de travail. Long et fastidieux car la brutalité coloniale et libérale se heurte à son propre droit qui protège la propriété privée. La commission mise en place pour organiser le séquestre se heurte aux us et coutumes locales, au droit d’usage comme de propriété, en somme au droit foncier kabyle, mais aussi aux divergences quant à l’appréciation de la qualité et l’utilité des terres à séquestrer. Les conséquences de cette politique ? « La privation des ressources foncières et numéraires est évidemment dramatique dans une économie de subsistance » nous dit l’auteur, mais cela ne se traduit pas par un exode rural massif comme on l’a longtemps pensé, mais plutôt par l’émergence d’un prolétariat rural, les anciens fermiers ou petits propriétaires les plus chanceux devenant les ouvriers agricoles ou métayers des nouveaux possédants, provoquant des tensions au sein des communautés rurales précarisées. Les colons européens qui s’installent sur les anciennes terres tribales sont conscients, écrit l’auteur, qu’ils vivent entourés d’« autochtones toujours pauvres ou appauvris, n’ayant rien oublié des violences passées » ; des autochtones, qui loin d’être des victimes accablées de la violence coloniale, lui résistèrent de mille façons pendant des décennies.
lundi, septembre 30 2024
Mes lectures de septembre 2024
Par Patsy le lundi, septembre 30 2024, 22:05
Hélène Combes, De la rue à la présidence. Foyers contestataires à Mexico, CNRS Edtions, 2024.
Rachad Antonius, La conquête de la Palestine. De Balfour à Gaza, une guerre de cent ans, Ecosociété, 2024.
Enzo Traverso, Gaza devant l'Histoire, Lux, 2024.
Edouard Morena, Paysan, Anamosa, 2024.
Rosa-Maria Gelpi et François Julien-Labruyère, Histoire du crédit à la consommation. Doctrines et pratiques, La Découverte, 1994.
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