Jean Charles, Naissance et implantation de la Confédération générale du travail unitaire (1918-1927), Presses universitaires de Franche-Comté, 2024.

Dans l’histoire plus que centenaire du syndicalisme français, une organisation n’a guère attiré l’attention. Avec Naissance et implantation de la Confédération générale du travail unitaire (1918-1927), publié par les PUFC, nous en savons désormais un peu plus sur cette scission de la CGT survenue en 1922 ; une CGTU qui n’a pas encore trouvé son historien près de 90 ans après sa disparition. Pire même : si l’on parcourt les ouvrages classiques sur l’histoire du syndicalisme hexagonal, la plupart ne lui consacre que quelques pages1. Le travail de l’historien Jean Charles, décédé en 2017, est donc de première importance quand bien même il s’agit ici d’une thèse inachevée, entamée au milieu des années 1960 et abandonnée à la fin du 20e siècle.

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La première partie du livre, passionnante, s’intéresse aux origines de la CGTU : nous sommes en 1918, la Grande boucherie va bientôt s’arrêter ; la révolution russe captive, inquiète, intrigue ce que la France compte de militants anticapitalistes ; certains, et ils sont nombreux, n’ont pas digéré le ralliement de « leur » CGT à l’Union sacrée, eux qui depuis plus de vingt ans clamaient que le devoir des révolutionnaires était de faire la Révolution et non de s’acoquiner avec la bourgeoisie au nom de l’intérêt national. Jean Charles nous plonge dans cette période de rêves et d’incertitudes (1918-1922), et souligne à quel point la plus grande confusion (le mot est faible) régnait alors au sein de la confédération et des tendances qu’elle abritait. Faut-il quitter immédiatement cette CGT embourgeoisée, briseuse de la grève des cheminots de 1920, ou bien en conquérir la direction ? Et si une nouvelle organisation doit voir le jour, quelle orientation défendra-t-elle : sera-t-elle syndicaliste révolutionnaire, anarchisante ou intimement liée à ce Parti communiste qui vient de naître ? Mille débats et mille combats car la direction réformiste va employer tous les moyens pour contenir la dissidence puis rendre la scission inévitable. Celle-ci intervient à la fin de l’année 1921. Le plus dur commence : comment faire cohabiter dans une même organisation des syndicalistes qu’une seule chose unissait : la détestation de l’ancienne direction.

Dans une seconde partie, beaucoup plus austère, Jean Charles s’est intéressé à la façon dont la nouvelle organisation s’est construite et sur quelles forces elle pouvait compter. Combien sont-ils ces syndicalistes unitaires ? Un peu plus de 400 000... sans doute. L’auteur en convient, il est impossible d’être précis, même vaguement, et n’allez pas croire que cette opacité soit voulue. Non, elle est bien davantage structurelle, liée à la façon dont les syndicats, les fédérations d’industrie, les trésoriers locaux et ceux des syndicats d’entreprise gèrent les fameux timbres payants mensuels destinés aux syndiqués, et surtout font remonter les informations à la trésorerie confédérale. Alors, pour appréhender un peu mieux la puissance de la CGTU, Jean Charles a analysé ce qu’il appelle la « natalité et la mortalité syndicale », autrement dit il a comptabilisé les créations et disparitions des syndicats durant cette poignée d’années et évalué leur puissance numérique. De cela ressort un constat : 80 % des syndicats comptent moins de deux cents adhérents, mais ils représentent moins de 30 % des effectifs globaux. La force de la CGTU, à son apogée (1927) repose donc massivement sur une poignée de secteurs (les chemins de fer, les métaux, le bâtiment, l’énergie) ; et sur une poignée de départements comme le Nord et la région parisienne.

Note 1. Michel Dreyfus, Histoire de la CGT, Editions Complexe, 1995, pp. 126-137.