Collectif à l’Ouest, Protester à Rennes dans les années 1968. Mobilisations et trajectoires biographiques, Presses universitaires de Rennes, 2023.

Dans les années 2010, des collectifs de chercheurs, sociologues, politistes, historiens décidèrent d’ausculter l’activité et le milieu militant des années 1970 dans cinq villes françaises. Rennes fut l’une d’elles. Grâce aux Presses universitaires de Rennes et aux chercheurs, pour l’essentiel des politistes, réunis sous le nom de Collectif à l’Ouest, nous découvrons ce que c’était que de Protester à Rennes dans les années 1968.

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Depuis longtemps, et c’est heureux, les chercheurs intéressés par Mai 1968 ont porté leurs regards loin du Quartier latin, des élites intellectuelles et des bastions ouvriers revendicatifs. Sortir de Paris, négliger les figures iconiques tant chéries par les grands médias permettent de mieux appréhender ce que l’événement 68 a ouvert comme perspectives émancipatrices à toute une génération de militants. Les années 1970 furent bien des années d’insubordination, de remise en question de l’autorité, que celle-ci s’exerce dans le cadre professionnel, familial, scolaire…

Je pensais trouver dans ces pages des contributions spécifiques sur le mouvement nationaliste breton, le PSU et son « Vivre et travailler au pays », ou encore sur les maoïstes, même si ces questions ont déjà travaillé par d’autres1. Il n’en est rien ou presque : une contribution sur le salariat féminin du textile évoque la question identitaire et l’implication des enfants de Mao dans le mouvement ouvrier ; et nous les retrouverons à l’occasion du mouvement des étudiants en médecine descendant dans la rue en 1973, transformant la faculté en lieu de vie, vouant aux gémonies les mandarins, leur pédagogie et leur absence d’empathie pour les malades.
Le Collectif à l’Ouest a préféré porter son regard sur le dynamisme du mouvement lesbien, créateur d’espaces revendicatifs, conviviaux, affinitaires où l’on apprend à se défendre et à assumer publiquement son orientation sexuelle, même si pour beaucoup les « stratégies de dissimulation » demeurent indispensables pour vivre sereinement. Il s’est intéressé au syndicalisme réactionnaire de la Confédération française du travail, solidement implanté dans les deux usines Citroën de la région rennaise mais, en fait, incapable de s’imposer au-delà, voire tout simplement d’exister sans le soutien du patronat2.

Ils se sont également intéressés à la conversion du capital contestataire militant en capital politique, trajectoire classique qu’on ne peut réduire à un vulgaire opportunisme, ou encore aux relations de ces militants avec leur famille qui relativise l’idée d’une rupture radicale entre les générations.
Comme le souligne le postfacier, ces différentes études sur Mai 68 sont nécessaires pour « disqualifier les clichés (et) ruiner (les) visions simplettes ou légendaires de Mai 68, solidifiées par un demi-siècle de sédimentation mémorielle. » Il se murmure qu’un travail similaire devrait paraître bientôt sur Nantes l’indocile...

Notes

1 Tudi Kernalegenn, Drapeaux rouges et gwenn-ha-du. L’extrême gauche et la Bretagne dans les années soixante-dix, Rennes, Apogée, 2005, 223 p. ; Kernalegenn (Tudi), Prigent (François), Richard (Gilles), Sainclivier (Jacqueline) dir., Le PSU vu d’en bas. Réseaux sociaux, mouvement politique, laboratoire d’idées (années 1950-années 1980), Rennes, PUR, 2010, 373 p.

2 Voir le remarquable travail de Vincent Gay (Pour la dignité. Ouvriers immigrés et conflits sociaux dans les années 1980, Presses universitaires de Lyon) qui décrit de façon précise les pratiques développées par la CFT chez Talbot et Citroën.