Daniel Mollenhauer, A la recherche de la « vraie république ». Les radicaux et les débuts de la Troisième République (1870-1890), Le Bord de l’eau, 2023.

Avec A la recherche de la « vraie république » (1870-1890), l’historien allemand Daniel Mollenhauer revisite deux décennies d’affrontements au coeur de l’hémicycle.
Sur les décombres du second Empire, naît en septembre 1870, la Troisième République. Mais nous pourrions également la faire naître en mai 1871 sur les cadavres des Parisiens révoltés, tant la radicalité politique de la Commune de Paris et sa sanglante répression par le nouveau régime marquèrent les esprits, y compris voire surtout, le camp républicain.

Mollenhauer.jpg

La France républicaine d’alors est une France dominée par les élites réactionnaires, catholiques et d’esprit monarchiste, mais dont certains membres commencent à évoluer politiquement : va pour la République si elle défend l’ordre social et la propriété !
Le camp républicain est tiraillé : doit-il tendre la main à cette droite politique en plein aggiornamento afin d’installer durablement l’idée républicaine dans le pays, notamment dans les campagnes, ou bien se battre avec intransigeance pour instaurer une « vraie » république, dans laquelle la souveraineté populaire ne serait pas qu’un mot. Les premiers, majoritaires prirent le nom d’opportunistes, les seconds, celui de « radicaux », et ce sont à ces derniers que Daniel Mollenhauer s’est intéressé.

Pour les radicaux, un homme incarne la trahison : Gambetta. Gambetta le boutefeu est devenu un réformiste prudent qui n’entend pas brusquer une population massivement conservatrice et effrayer ses alliés de droite. La France a besoin de stabilité et de certitudes, dit-il, et les revendications des radicaux, notamment celles appelant à une profonde révision constitutionnelle, ne lui apporteront ni l’une ni les autres. On s’affronte donc, avec violence et éloquence : faut-il amnistier tout de suite les communards ? Faut-il supprimer le budget du culte et séparer l’église de l’État ? Une réforme constitutionnelle doit-elle supprimer le Sénat, cénacle de notables non élus au suffrage universel et chargés de faire contrepoids à l’Assemblée nationale ? Et si le peuple est souverain, pourquoi le pouvoir exécutif a-t-il plus de pouvoir que le pouvoir législatif ? Les députés doivent-ils voter en conscience ou sont-ils tenus de respecter impérativement leur mandat ? Et s’ils trahissent leurs électeurs, n’est-il pas juste que ces derniers puissent les révoquer ?

Tout cela est au coeur des polémiques secouant le monde républicain, alors que pointe au mitan des années 1880 un nouveau péril : le socialisme. Péril car les radicaux se considèrent comme les défenseurs des ouvriers. Or, « une rhétorique extrémiste (côtoie) de plus en plus une pratique réformiste modérée », nous dit Daniel Mollenhauer. Les radicaux se déchirent entre une aile, surtout provinciale, qui a fini par se faire une belle place dans le monde politique, et un noyau d’intransigeants qui entend resté fidèle à la radicalité d’antan ; noyau qui, bientôt, ira se perdre dans l’aventure du Général Boulanger. On ne rêve plus d’une « vraie » république, on saisit les opportunités qu’offre celle en place… Quant à l’utopie, elle irriguera désormais la pensée syndicaliste-révolutionnaire.