Pascal Marchand, Volga. L’héritage de la modernité, CNRS Editions, 2023.

La Volga ne fut ni le Rhin, ni le Nil, et pourtant nombreux furent les pouvoirs à se pencher sur son lit pour lui imaginer un avenir grandiose. L’immense fleuve est au coeur du livre du géographe Pascal Marchand, Volga. L’héritage de la modernité, publié par CNRS Editions.

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La Volga ne fut pas le Rhin car son caractère capricieux, avec ses crues gigantesques l’empêcha d’accueillir sur ses berges des centres commerciaux d’envergure ; elle ne fut pas plus le Nil car aucune agriculture ne put profiter de ses crues fertilisantes, du fait des étés trop courts. L’immense Volga est ainsi : indomptable.
Tsars comme bolcheviks, tous rêvèrent de faire de la Volga autre chose qu’une réserve à poissons, notamment du plus célèbre d’entre eux : l’esturgeon et la richesse qu’il porte (le caviar).
Dompter le fleuve, en faire un moteur du développement économique et du socialisme grâce à l’hydroélectricité : tel fut le credo du pouvoir soviétique. Leur raisonnement, rappelle l’auteur, était simple : il suffit de retenir l’eau au moment de la fonte des neiges en créant d’immenses lacs-réservoirs liés chacun à une centrale hydroélectrique, puis de relâcher cette eau en fonction des besoins. Raisonnement simple n’implique pas une politique à la hussarde : Pascal Marchand souligne au contraire la profusion d’études, d’articles, de rapports sur les conséquences du projet « Grande Volga » pour la flore, la faune, l’économie de la pêche, l’érosion des berges… : « nulle part ailleurs dans le monde un projet aussi vaste n’avait été fondé sur une telle somme de recherches scientifiques » ; la « Petite Mère Volga » allait se mettre au service du communisme ! Mais dans un univers bureaucratisé où chacun doit répondre aux exigences du Plan, la méfiance est de rigueur : l’auteur cite le cas des alevins de carpe relâchés en masse pour stimuler le secteur de la pêche, et qui ont fait le bonheur, non des pêcheurs, mais des carnassiers...

« Sur les cinquante années (1933-1987) de la phase de construction (de cette Nouvelle Volga), rien ou presque ne s’est passé comme prévu », nous dit l’auteur. On peut évidemment en rendre responsable, et à raison, la bureaucratie soviétique, ou encore la décennie de sécheresse inédite qui frappa la zone au début des années 1930 et remit en question tant de certitudes. Mais il me semble que de la lecture de ce livre, au moins trois leçons peuvent être retirées. La première est que toute politique volontariste de développement est vouée à l’échec sans implication et formation des populations : l’échec des plans d’irrigation ou de développement de l’agriculture et de la pêche en attestent. La seconde est qu’il est périlleux de poursuivre plusieurs lièvres en même temps : difficile de concilier la construction de barrages et la production hydro-électrique, qui repose sur des lâchers d’eau importants, avec la survie/protection des frayères ou l’alvinage intensif qui redoutent plus que tout les variations de température ; difficile de retenir l’eau en amont sans conséquence pour les nappes phréatiques et l’apport en sédiments en aval ; difficile d’industrialiser sans polluer...

La troisième leçon, je vous laisse la tirer de cette citation de Pascal Marchand : « La Volga a toujours davantage inspiré la démesure que la mesure ».