Martin Cennevitz, Haymarket. Récit des origines du 1er mai, Lux, 2023.

On les appelle les martyrs de Chicago. Ils étaient militants ouvriers et révolutionnaires, et ils finirent au bout d’une corde. Martin Cennevitz en fait le portrait dans Haymarket. Récit des origines du 1er mai, publié par les éditions Lux.

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L’histoire est connue de beaucoup. A Chicago, fin avril 1886, la classe ouvrière naissante entre en action. A la faveur de la renégociation annuelle des contrats de travail, elle veut obtenir les huit heures. Le patronat ne veut évidemment pas en entendre parler. A l’issue d’un meeting de protestation contre les violences patronales, et alors que la foule commence à se disperser, une bombe est lancée sur les forces de l’ordre. La presse, aux mains des industriels, se déchaîne alors contre les syndicalistes et les anarchistes qu’elle rend responsables de l’attentat. La Police rafle huit hommes (Neebe, Lingg, Schwab, Fielden, Spies, Engel, Parsons et Fischer). Leur particularité : aucun n'était sur place lors de l'explosion, hormis Fielden, présent à la tribune. Le procès se tient dans la foulée, procès politique, truqué dont l’issue ne fait aucun doute : seul Neebe échappe à la peine de mort. Malgré les campagnes internationales de solidarité, quatre hommes sont pendus en novembre 1887, trois sont maintenus en détention ; le dernier, Louis Lingg, a préféré le suicide à la potence. deux ans plus tard, le mouvement socialiste international décidera de faire du 1er Mai un moment d’hommages à ces martyrs et d’affirmation des revendications ouvrières.

L’historien Martin Cennevitz mêle dans ce livre le récit des événements et le portrait de ces huit victimes de la justice de classe en tentant d’imaginer les sentiments qui les habitèrent. Huit hommes assez représentatifs de la jeune classe ouvrière américaine : un seul est né sur le sol américain, les autres sont des immigrants venus de la vieille Europe pour s’inventer une vie ou fuir la répression. Chicago est ainsi une Babel ouvrière où les nationalités se côtoient : Polonais, Irlandais, Tchèques et bien sûr Allemands. Chicago est une ville-phare où la presse révolutionnaire et syndicale est largement diffusée et les noyaux militants, nombreux.

Martin Cennevitz nous fait mieux connaître Louis Lingg, l’adepte de la propagande par le fait, Albert Parsons, homme de tous les combats à l’âme syndicaliste, Fischer et Engel les radicaux qui pensent que seule la dynamite émancipera le prolétariat, ou encore, Spies, l’intellectuel renégat qui, pour sauver sa peau, a fait acte de contrition… comme l’ont fait Fielden et Schwab. Martin Cennevitz ne juge personne, de la même façon qu’il ne met pas sur le dos des amis de Louis Lingg, anarchistes individualistes comme lui, l’organisation de l’attentat ; car on ne sait toujours pas si l’attentat fut leur œuvre ou le fruit d’une manipulation policière.
En conclusion, Martin Cennevitz nous emmène à Islamabad, le 1er mai 2020, où une femme a brandi « un grand panneau rouge sur lequel (s’étalaient) huit visages surgis du passé », ceux des martyrs de Chicago, « parce qu’au crépuscule d’un vendredi noir se dessine toujours l’horizon lumineux de formes de vie plus dignes à gagner ».