Noam Chomsky, Un monde complètement surréel, Lux, 2023.

« Un monde complètement surréel », tel est le titre d’une courte brochure rassemblant quatre textes du célèbre militant de la gauche radicale nord-américaine Noam Chomsky.
Publié initialement en 2004, ce livre permet d’appréhender les grandes lignes de la pensée de ce critique inlassable du monde médiatique et de l’America First.

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Parce que la « langue peut aussi bien servir à obscurcir et à tromper qu’à expliquer et à clarifier » (Neil Brooks), le nonagénaire Chomsky nous aide depuis un demi-siècle à « décrypter le vocabulaire des puissants » avec un sens consommé de la formule et la ferme volonté de se faire comprendre du plus grand nombre. Pas de jargon, pas d’artifices littéraires. Et si les textes rassemblés ici ont entre trente et quarante ans, ils n’ont malheureusement guère perdu en pertinence.
Dans Contrôler l’opinion publique (1996), Chomsky pointe la mainmise du big business sur les grands médias et glisse, sarcastique, que « la liberté d’expression existe aux Etats-Unis (…) : il suffit d’avoir suffisamment d’argent pour se l’acheter ». Oui, le consentement se fabrique, et nous dit Chomsky « la propagande est à la démocratie ce que la violence est au totalitarisme ».
La critique de l’impérialisme américain est au coeur de la pensée chomskyenne. Elle le fut dès ses premiers écrits, et elle continue à l’être. Ce n’est plus contre la guerre du VietNam que Chomsky se dresse mais contre les accords économiques internationaux comme l’ALENA qui offrent le monde aux multinationales, sans grandes contreparties. Le business avant tout, et qui sommes-nous pour oser intervenir dans des débats qui dépassent notre entendement ? « Le nouvel âge impérial, écrit Chomsky, marque une transition vers l’extrémité réactionnaire de l’éventail antidémocratique. »
Un nouvel âge impérial qui s’est bâti sur les ruines du Moyen-Orient à coups de mensonges et de propagande d’État. « Le monde complètement surréel » se tient là. « Washington détient le record mondial des tentatives d’assassinat de leaders étrangers » (songeons seulement à Salvador Allende), mais l’Empire du Bien continue à être honoré comme le pays de la liberté. L’intelligentsia américaine avale tout, et applaudit : « N’importe quel Etat totalitaire serait fier d’avoir une classe intellectuelle capable de telles acrobaties », et rares sont les Vladimir Danchev. Le nom de ce journaliste soviétique n’est pas passé à la postérité. Au début des années 1980, il avait dénoncé à la radio la politique de son pays en Afghanistan. Les médias occidentaux saluèrent son courage, Paris lui décerna un prix, et Vladimir Danchev écopa d’un séjour de quelques mois en hôpital psychiatrique. A coup sûr, il fallait être psychologiquement dérangé pour confondre la défense d’un gouvernement ami avec une invasion !

En Occident, nous dit Chomsky, « il n’y a pas de Danchev ici, excepté aux confins du débat politique », tellement les journalistes sont « inféodés au système doctrinal ». Pour lutter contre ce contrôle idéologique, « il ne peut y avoir de tâche plus urgente que d’arriver à comprendre les mécanismes et les méthodes de l’endoctrinement (…), faciles à saisir dans les sociétés totalitaires » mais bien moins là, écrit-il, où règne « le système de lavage de cerveau sous régime de liberté ».