Etienne Penissat, Classe, Anamosa, 2023.


On a prédit cent fois sa mort et nié son intérêt pour penser les sociétés modernes. Et la voici qui retrouve aujourd’hui une nouvelle jeunesse. Classe est le nouveau mot ausculté par le sociologue Etienne Penissat pour le compte des éditions Anamosa et de son excellente collection Le mot est faible.

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Etienne Penissat nous rappelle tout d’abord que longtemps « la classe a servi de langage pour rendre visibles et audibles les conflits et les inégalités » et que le mot est demeuré « un enjeu de luttes ». Car la classe, comme tout concept, a une histoire ; je dirais même une histoire nationale. Elle est donc une « construction intellectuelle », un outil pour décrire et penser le monde, notamment à l’ère industrielle, quand apparaît et se structure la classe ouvrière.

Le singulier pose ici question car durant le 19e siècle, le pluriel était de rigueur : le monde des travailleurs manuels était un univers éclaté où se côtoyaient l’ouvrier-artisan, fier de ses savoir-faire et capable d’en imposer aux maîtres à l’occasion, et le prolétaire sans-le-sou, obligé de se vendre à vil prix pour survivre. Ce n’est qu’au 20e siècle que le singulier s’est imposé, conséquence de l’homogénéisation du monde ouvrier. La classe ouvrière prend le visage de l’ouvrier des grandes concentrations industrielles, celui qui a le coeur à gauche et une carte syndicale dans la poche. Classe ouvrière et mouvement ouvrier tendent alors à se confondre. Puis, avec la crise des années 1970 et la victoire idéologique du libéralisme, nous assistons à la « marginalisation de la classe comme vision légitime des divisions du monde social », y compris dans les travaux de sciences sociales. La classe n’a plus sa place sur le marché des idées…

Cependant, cette éclipse offre l’opportunité de mettre en question le « réductionnisme dont le mot classe a fait l’objet pendant son âge d’or ». Car l’ouvrier d’antan était aussi une ouvrière ou encore un immigré pas toujours catholique ! La prise en compte de la question du genre ou de l’origine permet, nous dit l’auteur, non d’affaiblir mais d’« enrichir la notion de classe sociale » et de rappeler que la classe ouvrière fut toujours plurielle, qu’« ouvrière n’est pas le féminin d’ouvrier » (D. Kergoat) et que les OS, sans espoir de promotion sociale, étaient massivement étrangers. Cette pluralité des formes de la domination était connue mais en faire un usage politique semblait à beaucoup délicat. Il y avait un front prioritaire et des fronts secondaires,voilà tout.

L’auteur se réjouit qu’aujourd’hui les « références à la classe (aient) repris une certaine vigueur », non parce que ceux qui les portent fantasment une « classe » forte et indivise mais parce que leurs discours constituent un antidote contre ceux qui fabriquent des « nous » à usage politique dangereux puisqu’ils enferment « les classes populaires dans des oppositions binaires » : Français contre immigrés, travailleurs contre chômeurs...
L’intersectionnalité, dont Etienne Penissat se fait le promoteur, « invite à sortir d’une vision essentialiste de chacune des formes de domination » et à « penser stratégiquement le développement des luttes spécifiques et leur articulation ». Compliqué ? Exigeant ? Sans doute, mais les combats émancipateurs d’hier laissèrent trop de dominés sur le bord du chemin...