Jean-Philippe Martin, Des paysans écologistes. Politique agricole, environnement et société depuis les années 1960, Champ Vallon, 2023.

Quel visage aura l’agriculture de demain ? Cette question traverse le dernier livre de l’historien Jean-Philippe Martin, Des paysans écologistes. Politique agricole, environnement et société depuis les années 1960, publié par Champ Vallon.
Le constat ne pousse pas à l’optimisme. Sols appauvris, nappes phréatiques à l’état critique, abeilles aux abonnés absents, algues vertes, cancers professionnels, perte de biodiversité… tout concourt à remettre en question radicalement l’agriculture productiviste. Mais, des méga-bassines aux recherches génétiques sur le vivant, l’agro-business prouve qu’elle n’entend pas rendre les armes. Son credo demeure : le Progrès nous sauvera du Progrès.

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Contre les « représentations paresseuses sur les paysans », l’auteur nous conte un demi-siècle de remise en question du modèle dominant en agriculture par les agriculteurs eux-mêmes. Dès les années 1960, avec la biodynamie, des paysans s’intéressent aux sols maltraités par l’usage massif des produits phytosanitaires. A partir des années 1970, le propos se fait plus radical : c’est la logique du capitalisme lui-même qui est attaquée par les paysans-travailleurs. La modernisation de l’agriculture, ça tue le petit paysan et ça endette les autres !
Sur tout le territoire, des paysans, souvent réunis en associations ou collectifs, inventent alors d’autres possibles. Leurs motivations ? Etre plus autonomes sur leur exploitation, protéger le vivant, se garantir un revenu suffisant et vivre au pays, autrement dit lutter contre les déserts ruraux et les accapareurs de terre. Les raisons qui les ont poussés à rompre sont nombreuses : la chimie les a rendus malades, une épidémie a décimé leur troupeau, le métier a perdu son attrait. Les différents scandales sanitaires (veau aux hormones, vache folle, algues vertes, chlordécone) mettent définitivement au premier plan la question du lien entre agriculture et détérioration de l’environnement, et l’importance de développer une agriculture biologique. Les paysans « marginaux », ces « hurluberlus », cessent de l’être aux yeux du grand public, obligeant les pouvoirs publics et le syndicat majoritaire à « greenwasher ». Car il n’aura échappé à personne qu’aucun gouvernement n’a osé remettre en question radicalement le modèle dominant qui a fait de la France une puissance agricole mondiale ; et la FNSEA se dit même aujourd’hui porteuse d’une « ambition agroécologique pragmatique » ! Or, le pragmatisme en agriculture, ça donne des Sainte-Soline, des Sivens, et ça répand des néonicotinoïdes dans les champs !

Aujourd’hui, d’autres questions se posent. Elles concernent : l’avenir de l’agro-pastoralisme confronté à la présence de l’ours et du loup ; celui de l’élevage, du respect de l’animal et de place de la viande dans l’alimentation humaine ; celui de la chasse et du partage des espaces ruraux ; mais aussi, de façon marginale, « l’idéologie du ré-ensauvagement » qui transforme l’agriculteur et l’éleveur en intrus d’une « nature » sacralisée qu’il faudrait restaurer pour rendre à sa sauvagerie initiale… alors que les humains n’ont pas attendu l’avènement de l’agriculture pour transformer leur environnement immédiat et en tirer de quoi vivre. Quel visage aura l’agriculture de demain ? Réponse difficile. Mais si l’on veut qu’elle soit respectueuse des écosystèmes, des travailleurs et des consommateurs, et que le bio soit accessible à tous, alors l’alliance entre paysans en rupture et citoyens-consommateurs autour de ce qu’on appelle « la démocratie alimentaire » se posera avec acuité.