Alain Caillé, Extrême-droite et autoritarisme partout, pourquoi ? La démocratie au risque de ses contradictions, Le Bord de l'eau, 2023.

Et si le couple démocratie dynamique/protection sociale n'avait été qu'une parenthèse dans l'histoire, par ailleurs très géographiquement centré ? C'est ce que craint le sociologue Alain Caillé dans un livre court et instructif intitulé Extrême-droite et autoritarisme partout, pourquoi ? La démocratie au risque de ses contradictions (Le Bord de l'eau)

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Et d'ailleurs, qu'entend-on par démocratie ? Une récente étude, signalée par Alain Caillé, concluait à l'existence de 87 états démocratiques sur un peu moins de 200 états reconnus par l'ONU. Mais le sont-ils vraiment, y compris si l'on s'appuie sur une définition peu exigeante de la démocratie : séparation des pouvoirs, compétition électorale régulière, ou pour le dire avec les mots du sociologue libéral Raymond Aron, « organisation de la concurrence pacifique en vue de l'exercice du pouvoir » ? Pour comprendre la droitisation du monde et l'émergence des démocraties illibérales, l'auteur nous invite donc à « faire un retour sur l'idée même de démocratie et sur les tensions qui la nourrissent, la travaillent et la menacent à la fois ».

L'idéal démocratique est porté depuis toujours par une forte aspiration à l'égalité, aspiration qui a permis la naissance de systèmes sociaux de protection ambitieux. Or cette aspiration à une égalité qui ne se réduirait pas à une égalité des droits est menacée aujourd'hui, nous dit Alain Caillé, par la parcellisation croissante du corps social : « On ne voit plus l'inégalité fondamentale objective entre classes dominantes et classes dominées, on ne perçoit et ne ressent plus que l'inégalité particulière de chacun avec chacun de ses semblables ou de ses proches. (...) L'inégalité se diffracte en de multiples micro-inégalités, l'injustice en de multiples injustices1. » Dans une société aussi fragmentée, « l'idéal de justice est désormais celui de l'égalité des chances », inséparable d'une valorisation du mérite individuel et de l'égoïsme, en adéquation avec le néolibéralisme triomphant du dernier demi-siècle. Alors que le totalitarisme ne veut voir qu'une tête (l'individu se niant dans la masse soumise au chef), le néolibéralisme valorise l'archipellisation des sociétés et ce faisant, la stigmatisation/ringardisation de celles et ceux qui porte un idéal démocratique élevé. Il est pour l'auteur un « totalitarisme à l'envers » ou un parcellitarisme.

Dans un monde aussi bouleversé par la dynamique du capitalisme, les individus cherchent désespérément à qui et à quoi se raccrocher pour « affronter à la fois la panique identitaire, la panique économique et la panique écologique ». Guerres, vagues migratoires, retour du religieux, remise en question de la protection sociale et peur du déclassement, crise climatique aigüe, xénophobie, nationalisme... tout cela favorise la « peste émotionnelle qui préside à l'avènement du fascisme ». Pour lutter contre ce « totalitarisme à l'envers », pour sortir donc de ce néolibéralisme mortifère, Alain Caillé promeut depuis une décennie le « convivialisme », une philosophie politique qui appelle à lutter contre la démesure, l'hubris, le sentiment de toute-puissance, "matrice de tous les dérèglements (...) dont la vertigineuse explosion des inégalités à l'échelle du monde est la traduction la plus immédiatement concrète et délétère".

1. A sa création en 2004, la Halde retenait 5 critères de discrimination (sexe, origine, opinion...). Elle en compte désormais 25.