Nicolas Rouillé, T’as pas trouvé pire comme boulot ? Chronique d’un travailleur en maison de retraite, Lux, 2023.

Pendant un an et demi, Nicolas Rouillé a enfilé une blouse blanche et travaillé dans un EHPAD. Il en a tiré, pour le compte des éditions Lux, un livre au titre évocateur : T’as pas trouvé pire comme boulot ? Chronique d’un travailleur en maison de retraite.

Rouille-ConvertImage.jpg

Ce livre court et qui se lit agréablement s’appuie sur une vingtaine de chroniques que Nicolas Rouillé avait alors écrites pour le journal CQFD. Lui qui avait « tout à apprendre » de cet univers singulier s’était mis à noter dans son journal de bord « l’indispensable pour (s’en) sortir, les consignes officielles » et les façons de « les adapter pour faire l’infaisable ». Puis, rapidement, il a consigné anecdotes et remarques, il est allé au-delà de l’énumération des tâches à effectuer pour faire toucher du doigt la vie dans un EHPAD. Se lancer dans la rédaction de ces chroniques l’a ainsi poussé à « prêter une attention plus grande aux personnes », résidents comme collègues.

Car il y a de la vie dans ce que certains appellent des mouroirs. Précisons, comme le fait l’auteur : « Pour beaucoup, les journées à l’EHPAD sont de grandes étendues de néant percées d’irruptions plus ou moins joviales ». Irruptions trop souvent fugaces qui provoquent des rires et des regards attendris en un lieu où la douleur et la mort prennent trop souvent leur quartier.
Comment ne pas sourire quand on demande aux aides-soignantes de mettre en place des « projets de vie individualisés » pour des personnes dépendantes, en grande souffrance qui ne demandent qu’une chose : mourir ou fuir ce lieu ? Comment redonner de l’autonomie aux résidents quand « l’institution achève de les rendre dépendants pour presque tout » ? Comment oublier que le personnel est épuisé, que le sous-effectif est la règle, le turn-over endémique, et qu’au moindre dysfonctionnement, c’est toute la chaîne qui s’enraye ? Comment faire tourner un EHPAD quand on dispose de si peu de temps à consacrer aux résidents, à leurs humeurs changeantes, à leurs angoisses ? Comment insuffler de la vie dans une structure où toute initiative est compliquée à mettre en place, y compris le simple fait de sortir du bâtiment ? Comment innover quand les budgets sont à ce point comprimés ?
Et puis, comment tenir avec ces horaires à rallonge et la dureté physique et psychologique du métier ? Pas facile d’affronter les corps abîmés par la vieillesse et la maladie, pas facile d’affronter la mort, pas facile de se protéger émotionnellement. Comme l’écrit l’auteur : « Je comprends mieux certains comportements de collègues qui me choquaient parfois : pour durer, il faut se blinder, dès qu’on dépose l’armure, c’est foutu ! »

Comment enfin ne pas avoir honte de ce que l’on fait à nos vieux ? Honte, oui, quand on sait que ce matin-là, pour une raison ou une autre, un résident n’a pas été traité avec le respect qui lui est dû.
Ce récit n’est pas un témoignage à charge contre des institutions âpres au gain et maltraitantes , de celles qui défrayèrent la chronique il y a peu. C’est le témoignage d’un jeune homme qui, pour vivre, a pris le pire des boulots et en est ressorti humainement transformé.