Sylvain Boulouque, Le Pen. Le Peuple, Atlande, 2022.

« Le Pen, le peuple », tel est le titre d’une anthologie de textes que l’on ne doit pas à l’un des bourgeois occupant le manoir de Montretout, mais à un syndicaliste révolutionnaire prénommé Julien.

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En 2020, l’historien Sylvain Boulouque nous proposait une passionnante anthologie des écrits de ce Breton libertaire couvrant une vingtaine d’années, de l’après Première Guerre mondiale aux prémices de la suivante1. Il récidive aujourd’hui avec un choix de textes publiés dans les années 1930 et centrés sur les problèmes de cette décennie : la montée du fascisme, la crise économique et l’avenir du syndicalisme.

Julien Le Pen n’étant pas entré dans la postérité, résumons en quelques mots son caractère et sa vie militante. Nous n’avons pas affaire à un doctrinaire mais à un ouvrier révolutionnaire demeuré fidèle aux principes adoptés par la CGT lors de son congrès d’Amiens en 1906, dont le principal demeure l’indépendance totale de l’organisation de classe, donc le refus de sa mise sous tutelle par l’État comme par les partis. Son itinéraire est semblable à celui de bien d’autres : en 1921, il quitte une CGT compromise dans l’Union sacrée pendant la Grande boucherie et compte parmi les fondateurs de la CGT-Unitaire. Il n’y reste qu’une poignée d’années, le temps de constater que la CGTU tend à devenir la courroie de transmission du jeune Parti communiste au sein de la classe ouvrière. Tandis qu’une poignée de syndicalistes d’esprit libertaire se rassemble au sein d’une maigrichonne CGT-SR (syndicaliste révolutionnaire), il fait le choix de revenir au sein de la CGT et d’y assumer sa position de minoritaire ; mais un minoritaire qui a troqué l’impatience de sa jeunesse pour le pragmatisme.

Dans ces textes, Julien Le Pen fustige toujours le militarisme qui mène à la boucherie, la cupidité capitaliste qui ne l’en éloignera pas, tout comme ce fascisme qui monte et lui apparaît comme une des options s’offrant à la bourgeoisie pour assurer sa domination ; il fustige le réformisme syndical qui accompagne plus qu’il ne combat l’évolution du capitalisme, notamment le développement du fordisme et du culte de la rationalité. Il fustige et rappelle que seule une classe ouvrière unie et volontaire peut s’opposer aux va-t-’en-guerre, aux patrons, mais il est obligé de composer avec des travailleurs qu’il juge apathiques, attentistes et sensibles aux discours guerriers de la « presse servile » ; d’où les espoirs qu’il met dans la Société des nations pour empêcher un nouveau conflit mondial en « mettant au ban du monde civilisé les gouvernants qui voudront attenter à la liberté, à la vie des peuples ».
Il rêve d’une classe ouvrière unie qui aurait la droiture morale pour principe de base. C’est pourquoi Julien Le Pen n’a pas de mots assez durs pour critiquer la CGTU tombée malgré lui entre les mains d’un Parti communiste, soumis aux desiderata du pouvoir soviétique : « Même dans les manœuvres les plus subtiles, pour arriver à ses fins, le Parti communiste ne parvient pas à masquer entièrement son furieux désir de mainmise, ses prétentions à tout vouloir diriger et domestiquer ». L’amoralisme communiste le révulse, et les « moscoutaires » lui feront payer son antistalinisme quand ils mettront la main sur la fédération du bâtiment après la réunification syndicale de 1936.


1 Sylvain Boulouque, Julien Le Pen, un lutteur syndicaliste et libertaire, ACL, 2020.