Jean A. Chérasse
Noël 1920 à Tours. La grande déchirure… Le congrès fratricide
Editions du Croquant, 2020.

En ce mois de décembre 1920, près de 300 délégués socialistes se pressent dans la salle du Manège. Ils savent que ce congrès, le 18e, sera historique, et que les jeux sont faits. C’est cette histoire que nous raconte Jean Chérasse dans Noël 1920 à Tours. La grande déchirure… Le congrès fratricide, publié par les éditions du Croquant.
A quoi ressemble le Parti socialiste en cette année 1920 ? A une pétaudière. Plus grand-chose ne peut unir sous un même drapeau un ancien partisan de l’Union sacrée et un militant demeuré attaché à l’internationalisme d’antan, un défenseur de la Révolution russe et un partisan du socialisme à petits pas : « Notre unité n’est plus que le manteau de nos divisions » dira l’un d’eux, avec raison. Pour certains, la cause est entendue : il faut rompre, exclure ceux qui faillirent, et transformer le parti pour en faire une organisation disciplinée, prête au combat, et non plus une machine électorale aux mains de notables grands et petits, de socialistes embourgeoisés.

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Pour Jean Chérasse, un souffle particulier parcourt les allées de la salle du Manège, car l’euphorie révolutionnaire est de retour. Et cette euphorie lui rappelle ces journées intenses du printemps 1871 quand les Parisiens firent Commune et jetèrent les bases d’une république sociale, fédéraliste et libertaire. Il nous invite ainsi à « envisager Tours comme la résurgence partielle de l’illumination communeuse et de son rêve fou pour changer la vie »1.

Que veulent la majorité des congressistes qui bientôt prendront le nom de communistes ? En finir avec les compromissions et le modérantisme. Les trois quarts des délégués sont jeunes. Ils ont connu l’Union sacrée et l’abominable des tranchées, Ils ont vécu les frustrations sociales de l’arrière et la mise au pas du syndicalisme. Peuvent-ils se reconnaître dans ces députés dits socialistes vivant de leur sinécure et n’en faisant qu’à leur tête ? Non ! Ils ne veulent plus être des moutons conduits par de « mauvais bergers », ils veulent des élus contrôlés par les militants et un parti de combat.
Ont-ils tous conscience de ce que le bolchevisme va induire dans le fonctionnement du parti ? Non ! Ainsi, ils ne peuvent qu’être sourds aux appels d’un Léon Blum pour la liberté de pensée au sein du parti, pour son indépendance, celles des syndicats et coopératives2, contre la dictature de Moscou. Parce que ceux qui refusent d’adhérer à l’Internationale communiste portent en eux tous les travers de la social-démocratie : légalisme sclérosant, parlementarisme, opportunisme, chauvinisme. Choisir de se dire « communiste » est ainsi une façon de faire table rase d’un passé honteux si proche3.

Pour beaucoup de militants qui se rallièrent au bolchevisme, celui-ci était un état d’esprit plus qu’une doctrine et un vademecum. Pour ces hommes, la Russie, c’était les soviets, créations spontanées du peuple révolutionnaire, et non la dictature du parti sur le prolétariat au nom de sa défense. C’est pourquoi les années 1920 furent pour le PCF une décennie marquée par des crises récurrentes dues à l’indiscipline chronique de cette génération de militants, passée par le syndicalisme «révolutionnaire, incapables de se faire au centralisme, au caporalisme et au sectarisme. Si certains firent carrière, beaucoup prirent très vite leur distance avec le marxisme-léninisme en phase de béatification... ou furent sommés de le faire, car comme le rappelle l’auteur citant Saint-Just : « Un pur trouve toujours un plus pur qui l’épure ». Ce fut le cas en Loire-Atlantique, et je ne doute pas qu’il en fut ainsi dans bien d’autres endroits.

Je ne suivrai pas l’auteur quand il avance que le congrès de Tours a introduit « le poison de la division dans la doxa politique de la gauche », car le socialisme français fut dès l’origine un territoire bigarré qui ne parvînt que très rarement à faire son unité. Mais il est toujours utile à l’approche d’élections générales de se rappeler cette parole communarde placardée sur les murs : « Cherchez des hommes aux convictions sincères, des hommes du Peuple, résolus, actifs, ayant un sens droit et une honnêteté reconnue. Portez vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages ; le véritable mérite est modeste, et c'est aux électeurs à choisir leurs hommes, et non à ceux-ci de se présenter. Nous sommes convaincus que, si vous tenez compte de ces observations, vous aurez enfin inauguré la véritable représentation populaire, vous aurez trouvé des mandataires qui ne se considéreront jamais comme vos maîtres. »

Notes :
1. Sur la place de la Commune dans l’imaginaire politique français, lire Eric Fournier, La Commune n'est pas morte : les usages politiques du passé de 1871 à nos jours, Libertalia, 2013. Ma note.
2. N’oublions pas que la CGT, une partie des coopératives ou encore des mutuelles sont entre les mains des réformistes.
3. Julien Chuzeville, Un court moment révolutionnaire. La création du parti communiste en France, Libertalia, 2017.

A noter : les livres publiés par les Editions du Croquant sont disponibles sur le site des éditions du Croquant (editions-croquant.org) en version papier et en version numérique.