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En une douzaine de chapitres, Paul Frölich évoque la politique de grandeur de l'Allemagne, sa volonté de disposer elle-aussi d'un empire colonial, seule façon dans le monde bouleversé du début du 20e siècle d'« être pris au sérieux ». L'Empire pouvait-il décemment laisser la France et l'Angleterre conquérir le monde? Evidemment pas. Les racines de la Première Guerre mondiale sont ici, dans la volonté affichée de s'affirmer comme une puissance impériale, de se partager le monde en en prenant la meilleure part. « Regardez le monde tel qu'il était avant la guerre, nous dit Frölich, c'était un monde qui était fait pour la guerre », avec ces élites politiques et économiques qui voient dans la déflagration de quoi satisfaire leur orgueil national et remplir leurs poches. Mais il n'y a pas que la bourgeoisie à entonner l'hymne impérial la main sur le coeur ; le peuple sombre lui aussi dans le chauvinisme, d'autant plus que les socialistes allemands se rallient sans tarder à l'Empire. Comme l'écrit le ministère de la guerre le 31 juillet 1914 : « De source sûre, la parti social-démocrate allemand a la ferme intention d'adopter l'attitude qui convient à tout Allemand dans les circonstances présentes. » Le SPD soutient donc le Kaiser au nom bien sûr de la civilisation contre la barbarie tsariste, de la même façon que des socialistes français rallièrent l'Union sacrée au nom des valeurs universelles de 1789 contre le militarisme prussien et l'impérialisme (celui des autres, of course).

Frölich livre ici des pages remarquables sur la dégénérescence du mouvement socialiste allemand, mais aussi syndical, tout comme sur la façon dont la société allemande, et principalement la classe ouvrière, a subi le conflit. Entre 1914-1918, des millions d'hommes sont morts au champ d'horreur, pendant que des millions d'autres souffraient dans les bagnes industriels qui tournaient à plein régime, à l'arrière, pour nourrir la Grande Boucherie. Frölich parle longuement de la « mise en esclavage » de ces hommes et de ces femmes survivant avec des salaires de misère et des rations de famine, tandis que le lobby militaro-industriel garnissait ses poches en vendant cher à l’État les armes de mort indispensables à la poursuite de la guerre.

Bien peu de socialistes osèrent aller à contre-courant. Liebknecht et Rühle furent de ceux-là, Frölich également, et d'autres encore, plus anonymes, qui payèrent de quelques années d'enfermement leur opposition à la guerre. Il faut attendre 1917 pour que le consensus nationaliste se fissure. La guerre, enlisée depuis bien longtemps, entre dans une nouvelle phase avec l'intervention américaine ; le Tsar n'est plus ; les émeutes de la faim et les grèves secouent une Allemagne à l'agonie. Qu'importe ! Sur les décombres d'un Empire agonisant, la social-démocratie déclare encore : « Parmi tous les peuples qui sont touchés par cette guerre, le peuple allemand est celui qui a le moins de raisons de désespérer. On voit désormais qu'il n'y a pas d'autre solution aux troubles mondiaux que la victoire totale promise de l'Allemagne également à l'Ouest. « Bobards » répond Frölich ! Nous sommes alors en avril 1918. Six mois plus tard, dans la plupart des grandes villes allemandes, le prolétariat forme des conseils ouvriers, cesse de travailler, fait s'effondrer l'Empire et advenir une République qui certains veulent rouge… sauf la social-démocratie qui choisira là-encore la réaction plutôt que la révolution, c'est-à-dire sa survie en tant qu'appareil d'encadrement des masses. Mais ceci est une autre histoire1...

Inédit en français, ce témoignage avait pour but, dixit l'auteur de « transmettre au travailleur tout ce qu'il devait savoir sur la guerre ». But atteint ! Merci donc aux éditions Science marxiste d'avoir rendu accessible au public francophone ce témoignage remarquable.

Note
Paul Frölich, Autobiographie 1890-1921. Parcours d’un militant internationaliste allemand : de la social-démocratie au Parti communiste, Ed. Science marxiste, 2012.