La grande idée défendue par Renzi est le remplacement du CDI par un CDI à protection croissante pour les nouveaux salariés, histoire de fragmenter un peu plus le monde déjà si morcelé du salariat.

« Protection croissante » signifie simplement qu'en cas de licenciement individuel ou collectif reconnu abusif par la justice, le salarié en nouveau CDI sera moins protégé que son collègue entré dans l'entreprise avant lui, non pas tant en regard de l'ancienneté mais par le fait que la loi indique des planchers et des plafonds d'indemnisation. Il faut rassurer le patronat y compris quand il se fait voyou. En Italie, l'article 18 du statut des travailleurs protégeait les exploités de l'arbitraire patronal. Dorénavant, la nouvelle loi garantit à l'employeur qu'il ne sera pas obligé de réintégrer le salarié qu'il a abusivement licencié, et en plus elle lui permet de savoir ce que son abus de pouvoir va lui coûter. Il n'en fallait pas plus pour convaincre la gauche de gouvernement française qu'il lui fallait importer cette bonne idée sous nos cieux. Evidemment la barémisation des indemnités prudhomales ne pouvait que faire réagir les organisations syndicales, y compris celles que l'on affuble du qualificatif de « réformiste » et qui considérait que cette mesure, choquante d'un point de vue éthique, les empêchait de soutenir l'audacieuse politique sociale du gouvernement. Ce qui était essentiel hier, devînt accessoire le lendemain ; C'est ce qui est extraordinaire avec le spectacle de la politique. Quand on sait qu'on peut licencier facilement, on tergiverse moins et on embauche plus : cqfd ! Cette mesure était donc un signal fort adressé au MEDEF. Eh bien celui-ci devra s'en passer. La CFDT n'en voulait pas et elle a obtenu du gouvernement que cela disparaisse du projet ; tout ça évidemment sans descendre vulgairement dans la rue mais en laissant faire des bureaucrates syndicaux experts, adeptes du dialogue social en costard-cravate. Amen ! La seule chose de nature à nous rassurer est que l'on sait dorénavant que la CFDT se situe à la gauche de Manuel Valls.

Mais revenons en Italie. Renzi clame que grâce à sa réforme du marché du travail, qu'il appelle le Jobs Act, comme s'il fallait angliciser tout pour faire moderne, ce sont des centaines de milliers d'emplois qui ont été créés. 500 000 ? 700 000 ? Qu'importe, les chiffres parlent d'eux-mêmes : ça marche ! Sauf que les voix s'élèvent pour pondérer très largement l'enthousiasme du gouvernement. C'est que, voyez-vous, pour faire de cette mesure un succès, le gouvernement propose aux entreprises signant des CDI à protection croissante des exonérations de charges sociales. En conséquence, de très nombreuses entreprises se sont ruées sur le dispositif pour profiter de l'aubaine fiscale ! Mais quand les cadeaux fiscaux ne seront plus de saison, il est à craindre qu'elles se débarrassent de ces encombrants CDI et qu'elles embauchent à la place des salariés avec des contrats précaires ; en somme, comme avant.

Pour faciliter comme toujours l'emploi à peu de frais, le gouvernement Renzi a également assoupli les règles relatives au recours à l'équivalent italien des chèques emploi-service. Bref, il a mis de la souplesse partout, autrement dit de la précarité et de la docilité. De la docilité parce que vous imaginez bien qu'il sera extrêmement difficile de mener des actions revendicatives dans le cadre professionnel si l'on peut se faire licencier du jour au lendemain, sans motif valable, par son patron.

Un patron n'est ni bon ni mauvais. Il défend son intérêt de patron. Il a pour boussole l'intérêt, celui de sa boîte, le sien propre. Plus la loi lui donnera les coudées franches pour mener ses affaires, plus il en profitera. En 1840, lors des débats parlementaires relatifs à la réglementation du travail des enfants, un libéral comme Gay-Lussac déclara ceci : « Je persiste à croire que le fabricant n’a pas autre chose à faire qu’à acheter la main-d’oeuvre..., quand elle est achetée, (il) n’a qu’à en disposer loyalement et en bon père de famille qui doit être maître chez lui. » On n'en est pas encore là, mais on en prend le chemin.